1934 : un aigrefin se faite élire roi d’Andorre ! !

Les à-cotés de l’Histoire regorgent de personnages hauts en couleur, mystificateurs de haute volée, opportunistes parfois chanceux, mais généralement rattrapés par la justice bienséante … l’épisode andorran de Boris Skossyreff  en est un bel exemple.

Combien de passeports aura eu cet intrigant personnage au cours de sa vie tumultueuse ? Et avec combien d’identités ? Grâce à ses papiers falsifiés, il avait le don d’ubiquité, il pouvait se situer à plusieurs endroits en même temps, sous des patronymes distincts, flanqué de compagnes différentes …

Il est né (en une seule fois !) le 12 juin 1896 à Vilnius, à l’époque territoire de l’Empire russe tsariste (qui en 1918 (traité de Brest-Litovsk) passe sous contrôle polonais. Mais en 1939, l’Allemagne annexe la Lituanie … qui redevient soviétique en 1944 pour acquérir son indépendance en 1990.

Cette complexité historique a permis à Skossyreff de jongler avec les identités.

Se prévalant d’une origine aristocrate russe, il rejoint l’Angleterre en 1917 affirmant que ses proches ont  été anéantis par les Bolchéviks pour extorquer une fortune familiale toujours à l’abri en Russie …  et joue alors un rôle mal défini comme agent de liaison et traducteur.

En 1919, le conflit terminé, Skossyreff est arrêté pour grivèlerie dans plusieurs hôtels britanniques, mais il trouve un prêt pour régler ses dettes et se fait oublier … jusqu’en 1925 où il est carrément expulsé d’Angleterre. On est là dans une période difficile pour l’opposition tsariste en Europe. Enlèvements, assassinats se succèdent.

Skossyreff obtient un passeport néerlandais avec le titre de « comte d’Orange », et raconte à demi-mot qu’il est un agent secret de la famille royale des Pays-Bas …

En 1931, il épouse Marie Luise Parat, qu’il quitte pour rejoindre une jeune anglaise, puis une milliardaire américaine : Florence Marmon.

En 1932, il s’installe à Majorque avec sa milliardaire, il se prétend alors lecteur d’anglais et prof de culture physique … et se fait expulser.

C’est alors qu’il débarque en Andorre, une petite principauté oubliée, entre France et Espagne, qui justement traverse une crise politique dont il compte bien profiter.

Andorre est un petit territoire souverain de 468 km2 coincé dans le massif pyrénéen, sa capitale Andorre la Vieille est à 1023 m d’altitude.

Cette principauté crée sous Charlemagne en 780 fonctionne sous le système féodal du paréage : l’autorité est concédée à deux coprinces, l’un étant l’Evêque d’Urgel, en Catalogne espagnole, l’autre étant le chef de l’Etat Français, à savoir le Président de la République.

Les affaires courantes sont gérées par le Conseil Général, et c’est  justement une période où l’Andorre est en pleins troubles : les deux co-princes exigent de nouvelles élections, en pleine période des récoltes, ce n’est pas le bon moment, et un groupe de gendarmes français vient même faire du zèle, ce qui relance l’agitation.

D’autant que des travaux sur une centrale électrique a fait venir des dizaines d’employés d’Espagne, autant d’anarchistes qui en rajoutent dans la révolte.

C’est dans cette ambiance que notre fin renard de Skossyreff se rapproche du Conseil Général, en leur proposant une nouvelle constitution reposant sur l’indépendance du territoire, et sur une monarchie libérale dans laquelle le souverain serait élu … lui-même étant candidat.

Au passage, Skossyreff fait comprendre qu’il a derrière lui des capitaux importants qui ne demandent qu’à s’investir dans une Andorre désormais stable … Les représentants andorrans sont séduits, Andorre va basculer !

La manœuvre n’échappe pas aux services français et espagnols, et notre aventurier est arrêté et évacué manu-militari par cette fois-ci des policiers espagnols.

Le voilà « en exil » à l’hôtel Mondial de Seu d’Urgel, à deux pas de l’évêché du co-prince désormais son ennemi. Et il ne lâche rien.

Par téléphone, il reste en contact avec le Conseil Général, mais aussi avec la presse internationale, mais aussi avec les royalistes de France (coté légitimistes).

Le 6 juillet 1934, il se sent prêt : il se proclame roi d’Andorre sous le nom de Boris 1er, mais également  régent du futur roi de France Jean d’Orléans,  duc de Guise.

Le 8 juillet, le Conseil Général des Vallées ratifie ce coup d’Etat,

 Et la monarchie est proclamée de 10 juillet.

Boris 1er publie une nouvelle constitution  en 17 articles plutôt fumeux : le plus long d’entre eux comprenant  moins de 30 mots ! Et allons-y gaiment, il déclare au passage la guerre à l’évêque d’Urgell.

Dans un premier temps, la France accepte la décision du Conseil Général, mais elle se reprend très vite, et une résolution franco-espagnole est prise : un escadron de Guardia Civil espagnole vient cueillir le néo-monarque pour l’emmener cette fois-ci à Barcelone, puis à Madrid, en novembre  d’où il est alors expulsé vers le Portugal.

Ce passe-murailles professionnel s’exfiltre immédiatement et on le retrouve à Gênes, puis à Marseille, où il retrouve sa femme légitime quelque peu délaissée : Marie Louise.

Il était bien sûr attendu par la police. Arrestation, et 3 mois de prison pour défaut de titres de séjour, le voilà à nouveau extradé vers le Portugal, qu’il quitte encore pour l’Espagne, donc en pleine guerre civile : il retourne alors en France où il est bien sûr arrêté et place en camps de prisonniers avec les réfugiés espagnols.

En 1942 les Allemands envahissent la zone libre, et Skossyreff leur offre alors ses services comme traducteur, peut-être pour des missions plus compliquées …

Mais là encore, mauvaise pioche : en 1944, il est récupéré par les Américains qui le repassent aux Français, qui ne le connaissent que trop bien ! Le voilà à nouveau incarcéré à Coblence, puis relâché …

Il disparaît à nouveau pour ne revenir en 1956 en Allemagne à Boppard, où il finira sa vie en 1989.

Qu’a t’il fait pendant tout ce temps ? Hé bien il en a publié un ouvrage appelé « l’homme de Yalta », dans lequel il se décrit comme un agent secret d’Hitler, déguisé en officier français (sous le nom de François Rodet), prétendu observateur des négociations de Yalta en février 1945 pour le compte de de Gaulle ( !!!), et se fait alors engager par les américains dans l’embryon de ce qui allait devenir « l’organisation Gehlen », un groupe d’anciens nazis désormais affectés à la lutte anti-communiste et imposés par Washington au gouvernement ouest-allemand.

Une autre version, corroborée par des documents soviétiques exhumés lors de la Glasnosk, c’est que notre Skossyreff se serait fait arrêter par les Russes, et reconnaître comme un officier allemand du front de l’est, et condamné aux travaux forcés en Sibérie comme des milliers d’autres soldats allemands. Dont il n’aurait été libéré qu’en 1956.

Revenu en Allemagne à Boppard où il rejoint son épouse Marie Louise, il devient un paisible ( ?) veuf avant d’épouser en 1969 une jeune femme avec laquelle il finira cette vie pour le moins compliquée …

Angelina Viva