Les vautours, gestionnaires de l’environnement.

Le vautour a soudain pris la place du loup, le méchant prédateur qui dévaste les troupeaux. Entre le sensationnalisme journalistique et les mesquineries paysannes, ce rapace timoré a du mal à faire reconnaître son rôle écologique :  il constitue pour tous un allié sanitaire gratuit, qui permet un recyclage utile et à bon compte de toutes les charognes abandonnées dans la nature. A ce titre , il fait barrage à bien des affections redoutables.

« Trente vautours attaquent un veau », « Les vautours attaquent à nouveau dans la plaine », voici les titres que vous pouvez lire sporadiquement dans presse locale, voire nationale …

Avec des commentaires pleins de compassion, mais pas forcément en phase avec les réalités scientifiques.

Le discours contemporain repose sur une crainte rémanente, celle de la « mutation » d’une espèce jusqu’ici discrète  dans son rôle de nettoyeuse de la Nature, en une entité prédatrice qui ne se contente plus de cadavres, mais qui désormais viserait des proies vivantes. Avec quelques exemples de veaux ou d’agneaux dévorés à peine arrivés sur l’herbe des alpages.

Et c’est bien un fait, mais qu’il faut observer en respectant la valeur des mots : rétrospectivement, on remarque que tous ces nouveaux-nés étaient déjà en situation délicate, après une mise-bas dystocique, avec une mère elle-même en difficulté qui s’éloigne de sa progéniture au lieu de s’affirmer pour la défendre. Autant dire qu’il s’agissait très probablement d’animaux condamnés, qui sans les vautours auraient constitué une pitance pour les corbeaux ou les petits omnivores.

Seulement les vautours ne sont pas discrets, et un vol de trente individus à flanc de montagne,  hormis un régal pour les photographes, serait plutôt facteur de crainte, voire de panique.

Il est alors judicieux de faire un point scientifique sur ce sujet ,

Les détails de biologie et d’ornithologie proviennent des travaux de Jean-Pierre Choisy, chargé de mission au parc naturel du Vercors, disponibles sur le site http://www.carnivores-rapaces.org.

Quel est le statut naturel du vautour ?

Le vautour est un rapace diurne, comme les buses, les aigles, les milans. Mais si ces derniers sont le plus souvent prédateurs d’animaux vivants,  les vautours sont eux physiologiquement et mentalement spécialisés dans le charognage :

–       ils ont perdu les instruments armés des rapaces prédateurs : les serres. Les vautours ne peuvent fondre sur les proies pour les emporter, quant aux lambeaux de chair emportés au nid, ils sont tenus dans le bec, comme pour n’importe quel oiseau. Leur bec crochu est très efficace pour achever une agonie engagée, ou pour dépecer une dépouille.

–       Exception : les serres sont restées chez le casseur d’os Gypaetus  barbatus, qui les utilise pour transporter des os au dessus des rochers pour les laisser tomber  et les récupérer sous forme d’esquilles pour en sucer la moelle..

–       Au niveau du comportement, le vautour est très attentif au mouvement des animaux qu’il surveille du ciel. Toute immobilité continue lui est suspecte, et il s’approche, seul ou en groupe. Il est capable de « porter l’estocade » à un animal en agonie , mais il n’attaque pas l’individu qui bouge. Ce qui fait qu’en conditions « physiologiques », le seul mouvement  de la mère , d’un chien … ou de l’éleveur, le mettent en fuite systématiquement, et on n’a pas de témoignages concernant , même des blessures, pour un berger ou son labrit de service …

–       D’ailleurs, les animaux tant sauvages ( bouquetins) que domestiques ( moutons, bovins, ânes, chevaux), ne redoutent pas les vautours : les « escadrilles » de plusieurs dizaines de volatiles ne provoquent aucune panique : ou bien le principe d’évolution est une erreur ( et vivent les créationnistes ! Là, c’est le gros bug !), ou bien les vautours ne représentent réellement aucun danger repéré par des des milliers de générations d’animaux. On retrouve cette sérénité sur le terrain, lorsque des vautours s’affairent sur un cadavre : les autres animaux du troupeau prennent leur distance, sans plus, et observent calmement le dépeçage du congénère. Comme s’il s’agissait d’un acte naturel, à rapprocher de ces oiseaux qui se posent sur des hippopotames pour les débarrasser de leurs parasites …

–        Accidents, incidents à la naissance, ou fautes d’élevage ?

–         Selon  Jean-Pierre Choisy, les rares cas où les vautours ont pu s’attaquer à des animaux vivants correspondent à des situations où les animaux, certes vivants, étaient en graves difficultés et délaissés par le reste du troupeau : chutes avec fractures de membres, mises-bas dramatiques, morsures de chiens.

Le sort des victimes était alors scellé, la curée des vautours a dans ces cas abrégé des souffrances, puis le dépeçage dégagé la zone des dangers d’épidémie.

–       Ce chercheur fait d’ailleurs remarquer que dans les élevages bovins, ce sont des races inadaptées aux alpages qui comptent le plus de victimes : vaches limousines en tête, pourtant des bêtes rustiques, puis les blondes d’aquitaines, enfin les charolaises. Les races d’origine montagnarde sont nettement moins touchées. Enfin, il signale que les éleveurs « sérieux » gardent les vaches gestantes à l’étable , et ne les libèrent en estive que lorsqu ‘elles ont mis bas. Dans ce cas, les problèmes n’arrivent jamais …

–         Les limites de l’indemnisation

            Qui dit malheur dit préjudice, et les organisations professionnelles agricoles se démènent actuellement pour instituer un fond d’indemnisation pour les pertes imputées à l’action des vautours, tout en en élargissant le champ à d’autres acteur comme les corbeaux.

            Pour les fins connaisseurs du problème ( vétérinaires, gestionnaires de faunes, mais aussi éleveurs), ce serait mettre les pieds dans les traces d’un échec précédent, qu’on évoque sans jamais le citer tant il s’est agi d’un scandale larvé : l’indemnisation systématique des animaux victimes de méfaits de l’ours. Car elle avait bon dos, cette       petite dizaine d’ursidés répartis dans trois départements pyrénéens : ils étaient partout à la fois , et  pas un jour se passait sans qu ‘un troupeau ne soit attaqué, des brebis affolées retrouvées au fond d’un ravin, des petits enlevés pour être dévorés …

A lire également, l’article de ce blog sur le mystère des mutilations bovines et équines.

            Une thèse vétérinaire, qui dans les années 1970 recensait les dégâts imputés aux ours, convenait qu’il y avait un hic : il aurait fallu plus de 80 ours pour justifier de tels ravages … et de telles indemnisations …

            Repartir vers de tels errements serait une faute multiple, car ça ne changerait en rien le statut biologique des vautours, et cela constituerait une prime aux éleveurs négligents.

            En effet, les éleveurs, en touchant des primes de montagne, s’engagent à « de bonnes pratiques », dont la mise-bas  à l’ étable, avant de lâcher les mères et leur veau à l’estive.

            Certains censeurs vont plus loin : le laxisme est arrivé à un point où il faudrait envisager de lourdes sanctions financières en cas de fraude avérée et répétée.

            A savoir : il s’agit d’un arêt du conseil d’Etat : « ” tout particulier doit pouvoir supporter un certain prélèvement sur ses propriétés de la part de la faune sauvage en tant que participation à la sauvegarde d’un patrimoine commun “. Même si ce texte  ajoute, à juste titre que texte laisse à chacun le soin de définir le niveau du “certain prélèvement” , il n’en demeure pas moins que, au niveau des principes et du droit, c’est fondamental.

         Retour au rôle sanitaire

On bien du fait de ces vautours, un rôle d’« équarisseur naturel », de surcroît gratuit, pour éviter l’extension saisonnière d’une maladie ubiquitaire, la myase, ou multiplication dans un organisme fragile, de larves de mouches ( des asticots).

Les adultes mués ( à partir de ces larves), vont ensuite parasiter d’autres animaux cibles, plus ou moins débilités par le piétin, les diahrées, ou des plaies corporelles. Le cycle évolutif œuf-larve-nymphe-mouche se déroule en moins de 10 jours lors de conditions favorables.

Le vautour ne fait pas dans la dentelle : lorsqu’il s’attaque à une dépouille, il ingère tout ensemble la chair, les  pupes et les asticots :le cycle est interrompu pour de bon …

Et ce au bénéfice de tous les troupeaux alentours, car la myase, sans être mortelle sur des animaux adultes en bonne forme, entraine des pertes économiques en production de lait ou sur la valeur des peaux.

Mais cette protection s’étend également au charbon bactéridien, une vieille « maladie de terroir » qui perdure ou s’étend par l’enfouissement de dépouilles en pleins champs. En jouant ce rôle d’équarisseur naturel, les vautours empêchent la sporulation des bactéridies et bloquent l’extension de cette maladie.

En conclusion, le vautour est bien un charognard opportuniste qui se développe sur le terrain des erreurs d’élevage et des carences de nos modes de vie (système d’équarrissage déficient, décharges sauvages de produits agro-alimentaires, etc …). Il joue un rôle sanitaire régulateur largement positif.

Jean-Yves Gauchet, vétérinaire.