Chez les éponges, les prémices de nos systèmes nerveux et immunitaires.

On a mis en évidence chez ces organismes on ne peut plus simples et archaïques, des relations intercellulaires en complètes phases avec les fonctionnements de nos organes bien plus élaborés. Y compris les relations entre fonctions nerveuses et digestives.

Longtemps considérées comme des végétaux, les éponges sont des colonies de cellules peu différenciées, sans agencement fixe. Elles ne possèdent ni appareil génital, ni appareil excréteur, Le système nerveux est très primitif et diffus. Elles ne possèdent ni bouche, ni anus, ni d’ailleurs aucun organe différencié. En cela, elles sont homéomères, c’est-à-dire faites de parties qui ne sont pas différentes entre elles (contrairement, par exemple, aux poissons, dont les organes diffèrent entre eux).

Les éponges sont parmi les premières lignées ramifiées de l’arbre évolutif de la vie animale ; leurs corps simples n’ont même pas de motif de symétrie ou un nombre défini d’organes.

La fonctionnalité essentielle acquise par les éponges est simple : c’est la capacité qu’ont leurs cellules de se spécialiser et de vivre en société. La capacité pour des cellules de se différencier suivant leur position dans un groupe est déjà observable chez les protozoaires, mais les éponges systématisent cette organisation, et la rendent permanente.

Les progrès en expertise moléculaire ont permis de nouvelles connaissances sur les rapports intercellulaires chez ces organismes archaïques, et là, surprise, “ça marche comme chez nous”! En particulier les rapprts entre les cellules digestives (choanocytes) qui sont fixes, et qui opérent la fonction digestive, et les cellules mobiles (amiboecytes, ou encore neuroïdes) qui sont en contact avec les précédentes.

Les choanocytes ont un collier de protubérances en forme de doigt (microvillosités) et un flagelle. Les choanocytes battent leurs flagelles pour réguler le flux d’eau à travers la chambre digestive, tout en se nourrissant de petites particules et débris que l’eau transporte. Les chambres digestives contiennent également des cellules «neuroïdes» mobiles qui ont été décrites il y a des années, bien que leur identité et leur fonction soient mystérieuses.

On a donc récemment découvert que les choanocytes expriment des gènes qui, dans les neurones, produisent l’« échafaudage » postsynaptique impliqué dans la réception et la réponse aux neurotransmetteurs. Ils ont également découvert que les cellules neuroides mobiles expriment une suite de gènes qui sont généralement actifs dans le bulbe présynaptique d’un neurone. Cela a conduit les chercheurs à émettre l’hypothèse que les cellules neuroïdes pourraient parler aux choanocytes et que le travail des cellules neuroïdes pourrait être de patrouiller l’environnement microbien dans la chambre digestive et de réguler les comportements alimentaires des choanocytes en conséquence.

Ce fait suggère que les modules génétiques responsables à la fois des extrémités émettrices et réceptrices des systèmes de communication cellule-cellule ont été déployés dans divers types de cellules animales ancestrales. Les neurones pourraient donc avoir évolué de manière répétée et indépendante grâce à différentes applications de ces modules génétiques.

Mieux, les cellules névroïdes des éponges expriment non seulement une partie de la machinerie présynaptique des neurones, mais elles expriment également des gènes immunitaires. (Il est possible que si les cellules neuroïdes surveillent le contenu microbien des chambres digestives pour les éponges, ces gènes immunitaires contribuent à ce rôle.)

Synapse “moderne” de nos tissus nerveux

Les éponges ont également des cellules appelées pinacocytes qui se contractent à l’unisson comme des cellules musculaires pour presser l’animal et éliminer les déchets ou les débris indésirables. ; les pinacocytes ont une machinerie sensorielle qui répond à l’oxyde nitrique, un vasodilatateur.

L’oxyde nitrique est ce qui détend nos muscles lisses dans nos vaisseaux sanguins, donc lorsque nos vaisseaux sanguins se dilatent, c’est l’oxyde nitrique qui provoque cette relaxation. Comme le glutamate, l’oxyde nitrique pourrait avoir fait partie d’un mécanisme de signalisation précoce pour coordonner les comportements primitifs dans l’éponge.

Ainsi, dès les premiers stades des métazoaires, ces premiers organismes avaient déja mis en route des fonctions très élaborées sur un plan moléculaire, au point qu’on les retrouve quasiment intactes dans nos propres organismes. La Nature est une grande économe …

Jean-Yves Gauchet

Source: Quanta magazine