L’oxygène et la santé (1): les besoins, les pathologies.

L’oxygène, un médicament ? En tous cas un apport essentiel à l’organisme. Sous diverses formes, l’oxygène est employé en médecine, avec de beaux succès, mais dans des limites à connaître.

L’oxygène (O, numéro atomique = 8), est un élément chimique du groupe des chalcogènes (avec le soufre, le sélénium, le tellure et le polonium) de la colonne 16 du tableau de Mendéléiev, avec une forte tendance à capter 2 électrons ou à former des liaisons covalentes  afin d’acquérir une couche externe saturée (ex : les molécules H2O ou H2S).

Son nom provient du grec « j’engendre l’acidité », proposé par Lavoisier. En effet, l’action directe de l’oxygène, en captant des électrons, libère le plus souvent  des ions H+, c’est donc (mais pas toujours) un facteur d’acidité.

Dans les conditions naturelles, l’oxygène se présente sous forme de gaz, avec des atomes reliés en doublettes (dioxygène) via une liaison covalente.

Présent dans l’air à la proportion très stable de 20,8% au niveau de la mer, l’oxygène est spontanément très actif avec les minéraux (formations d’oxydes avec une foultitude de corps).

C’est le 2ème élément le plus abondant sur Terre (29,5%), après le fer (34,6%), et devant le silicium (15,2%).

Notre planète était à l’origine dépourvue de gaz oxygène, celui-ci s’est formé grâce à la photosynthèse des algues et des cyanobactéries, il y a plus de 2,8 milliards d’années. L’oxygène est à la fois indispensable à la respiration des organismes aérobies (la majorité des espèces vivantes), et toxiques pour les organismes anaérobies qui constituent l’essentiel de nos pathogènes, depuis les champignons et bactéries jusqu’aux cellules cancéreuses.

La concentration en oxygène de l’atmosphère terrestre a provoqué la mort de nombreuses espèces, mais a permis la survie d’organismes ayant intégré un nouveau constituant, la mitochondrie. C’est cette organite qui désormais fournira l’énergie aux cellules.

Diverses formes chimiques pour l’oxygène

La forme classique est le gaz dioxygène O2, mais l’oxygène existe également sous forme activée avec les spins électroniques appariés, on parle alors d’oxygène singulet. C’est le cas dans les cellules végétales où la photosynthèse, sous l’action de l’énergie solaire, extirpe de molécules d’eau protons et électrons, et garde l’oxygène activé qu’il faut gérer très vite (rôle des caroténoïdes) avant qu’il ne lèse les tissus alentour :  CO2 + H2O + énergie solaire >>>  (CH20) + O2 .

L’oxygène singulet est également produit dans la troposphère lors de la photolyse de la couche d’ozone, et également dans certaines cellules immunitaires comme source d’oxygène actif, toxique pour des bactéries ou des cellules à éliminer.

Le trioxygène 03, habituellement nommé ozone, est un allotrope très actif de l’oxygène, au point qu’il est dangereux à respirer. L’ozone est un gaz métastable produit naturellement dans les hautes couches de l’atmosphère quand le dioxygène se combine à l’oxygène atomique, cette réaction permettant de filtrer une grande partie des ultra-violets solaires.

Au niveau du sol, l’ozone est un polluant issu de la décomposition d’oxydes d’azote dus aux véhicules, sous l’action encore des UV. Dans certaines conditions, on déplore des inflammations pulmonaires chez les sujets sensibles. Mais comme nous le verrons plus loin, l’ozone est un “super-oxygène” qu’on peut utiliser avec précaution dans bien des domaines médicaux.

Solubilité et transport chez les êtres vivants

L’oxygène est plus soluble dans l’eau que l’azote, cette solubilité dépendant de la température : l’eau froide (0°) dissout deux fois plus d’oxygène (14,6 mg/l) que l’eau à 20° (7,6 mg/l), ce qui explique entre autre la richesse biologique des eaux profondes.

La concentration du dioxygène sur Terre, unique dans le système solaire, est le résultat des cycles de l’oxygène. Ce cycle biogéochimique décrit les mouvements de l’oxygène entre ses trois principaux réservoirs sur terre : l’atmosphère, la biosphère, et la lithosphère. Dans l’équilibre actuel, la production (photosynthèse) et la consommation (respiration, décomposition) se réalisent dans les mêmes proportions.

Chez les êtres vivants, divers dispositifs physiques ou chimiques sont utilisés pour augmenter la capacité de transport de l’oxygène par un liquide au contact de chaque cellule de l’organisme. Et inversement pour récupérer les déchets et les transporter jusqu’aux émonctoires.

Chez les vertébrés, ce rôle est dévolu à une molécule spécialisée, l’hémoglobine, elle-même contenue strictement dans des cellules particulières, les hématies.

L’hémoglobine comprend une partie « transport », de type protéique (quatre molécules accolées de globine), et une partie  « capture de l’oxygène », une molécule cyclique (l’hème) qui contient en son centre un atome de fer ionisé, normalement sous forme ferreuse FE++.

L’affinité de l’oxygène pour l’hémoglobine dépend du taux d’oxygène sanguin, de la température, du pH, du taux de gaz carbonique.

L’hémoglobine peut se trouver piégée par certaines substances comme l’oxyde de carbone (CO) qui se trouve plus affine au fer de l’hème que l’oxygène, et qui donc « prend sa place » pour ne plus la quitter, on a formation de méthémoglobine, et risque d’asphyxie tissulaire.

D’autres substances très oxydantes, comme les nitrates, ou l’ion cyanure, sont également en mesure d’oxyder le fer Fe++ en ion ferrique Fe+++ qui devient alors inopérant. Le contre-poison indiqué est alors un réducteur puissant, le bleu de méthylène.

Les hématies chez l’homme, se présentent sous la forme de cellules sans noyau, donc des vésicules « non vivantes » dont la circulation est passive. Leur forme biconcave leur donne une grande souplesse, à la fois pour résister aux variations osmotiques, et pour se glisser dans les artérioles jusqu’au plus profond des tissus.

Leur biosynthèse a lieu dans la moelle osseuse, et leur trajet s’achève au bout d’environ 120 jours dans la moelle, le foie et la rate. Le fer et les acides aminés sont récupérés et recyclés immédiatement, alors que les molécules d’hème sont transformées en bilirubine, puis expédiées du foie par la bile. Lorsque la bile ne peut être excrétée par la bile (hépatites diverses), la concentration sanguine en son précurseur bilirubine augmente, et les tissus se colorent en jaune, c’est l’ictère, accompagné de selles blanchâtres et d’urines très colorées.

Avec des rôles chimiques analogues (quoique inverses), les molécules d’hémoglobines et de chlorophylle se ressemblent, avec pour la chlorophylle un support métallique différent : le magnésium Mg ++ .

Chez les invertébrés qui vivent souvent en milieu liquide (respiration cutanée importante), la molécule de transport d’oxygène est l’hémocyanine, directement véhiculée dans le plasma (on ne parle pas de sang …), avec pour métal le cuivre Cu++. L’hémocyanine semble en fait largement aussi efficace que l’hémoglobine, et ceci dans un éventail de températures bien plus large …

Sur un plan médical :

Le taux d’hémoglobine est exprimé en g /100ml. Il dépend de l’âge et du sexe, ainsi que des conditions de vie. Sous la moyenne, on parle d’anémie.

La saturation SaO2 définie en % représente la quantité d’oxyhémoglobine/ quantité totale d’Hg dans le sang, c’est un paramêtre important qu’on mesure sur le sang veineux ou artériel. Il a été fondamental de la mesurer sur les malades du Covid.

La cyanose est le signe clinique d’un déficit en hémoglobine réduite : il s’agit d’une coloration bleutée des téguments, parfois masquée (vieillards, suites de chimiothérapie) par une anémie.

Oxydation ou oxygénation ?

L’oxydation est un cas particulier de réaction d’oxydo-réduction, ou réaction redox, au cours de laquelle se produit un échange d’électrons. L’espèce chimique qui capte les électrons s’appelle l’ « oxydant », celle qui les cède est le « réducteur ».

Exemples : 2Cu + O2 >>  2 CuO :  le cuivre et deux oxygènes échangent au total deux électrons.

                  Cu + Cl2 >> CuCl2 : le cuivre et le chlore échangent au total deux électrons.

                  Le chlore et l’oxygène ont un point commun : ils sont plus électronégatifs que le cuivre, ils savent lui subtiliser deux électrons par atome.

Ces réactions sont fondamentales au sein de la Vie, où l’oxygène en est justement, avec la complicité de l’eau H2O, le modérateur essentiel.

Certains composés chimiques peuvent se comporter aussi bien en oxydant qu’en réducteur, selon les éléments en présence. C’est notamment le cas de l’eau oxygénée  (H2O2)  et de nombreux acides organiques faibles, comme la vitamine C.

Un élément réducteur dans une réaction peut se trouver oxydant dans une autre. Mais il est possible de construire une échelle de la force oxydante (ou à l’inverse, de la force réductrice), c’est le potentiel d’oxydo-réduction , qui dépend entre autres du pH et des éléments chimiques en jeu.

Mais si l’oxydation est un phénomène intime qui se produit des milliards de fois chaque seconde dans le corps, encore faut-il que l’agent principal, l’oxygène, soit présent au bon moment et en bonne quantité.

Comme vu plus haut, l’oxygénation dépend à la fois des conditions extérieures (taux d’oxygène de l’air inspiré, pression des gaz dans les poumons),  et internes (température, présence d’autres substances dans le sang, qualité de l’hémoglobine et des globules rouges).

Anémie, ou bien hypoxie ?

Les pathologies principales de l’utilisation de l’oxygène, reposent sur un déficit en hémoglobine (anémie), ou bien sur un défaut d’apport en oxygène (hypoxie).

L’anémie est une anomalie de l’hémogramme, soit par un manque de globules rouges, soit par un taux insuffisant d’hémoglobine active dans ces globules.

Le nombre d’hématies est normalement de 5 millions /mm3 (ou 4,5 chez la femme), avec un taux d’hémoglobine de 15 g/100ml (13,5 chez la femme). On parle d’anémie à partir d’un déficit de 10% par rapport aux chiffres normaux.

En cas d’anémie suspectée, il est bon de doser les réticulocytes, c’est à dire les « jeunes globules rouges », afin de savoir si ce déficit est dû à une insuffisance de production médullaire, ou bien au contraire à une destruction accélérée des hématies adultes.

Les symptômes habituels d’une anémie  sont la fatigue, la perte de poids, une pâleur des muqueuses et de la peau, et une accélération des rythmes cardiaque et respiratoire. Une anémie rapide ou aggravée entraine des étourdissements et des céphalées.

Selon leurs causes, les anémies sont classées en deux familles :

  • les anémies non régénératives, chez lesquelles le taux de réticulocytes est diminué. C’est un trouble de la moelle osseuse, soit spontané (dénutrition, manque de fer parfois par saignements occultes, manque d’hormone EPO, de vitamine B12 ou de folates), soit nocosomial (chimiothérapies, rayonnements X, irradiations accidentelles).
  • Les anémies régénératives, chez lesquelles la moelle n’est pas en cause. L’origine peut être une perte de sang (cancers internes), une parasitose intense, un emballement immunologique contre les hématies (anémie hémolytique), un fonctionnement excessif de la rate (spénomégalie).

Les traitements sont bien sûr fonction de la cause. En urgence , la transfusion sanguine est de rigueur.

Puis on s’attaque à la cause, souvent avec un accompagnement d’EPO pour booster la production médullaire.

L’hypoxie est la conséquence immédiate d’une inadéquation entre les besoins tissulaires en oxygène, et les apports sanguins.

Les causes peuvent être accidentelles (intoxication au CO, aléa de plongée) ou pathologiques (anémie sévère, cardiopathie, pneumopathie). La suite dramatique de l’hypoxie est l’anoxie, qui entraine des nécroses tissulaires, en particulier du muscle cardiaque, et son arrêt définitif.

L’organisme est doté de chimiocapteurs qui lui permettent de s’adapter momentanément à l’hypoxie, en augmentant l’ampleur et le rythme de la respiration, puis en augmentant le débit sanguin.

Au niveau musculaire, l’hypoxie induit des crampes, en relation avec une acidose métabolique. Les tissus en hypoxie sont sujets à une inflammation locale et une tendance à la néovascularisation. C’est ainsi que des traitements anticancéreux, entre l’anémie induite, donc une hypoxie latente, et une inflammation due aux radicaux libres, fait de lit de nouvelles tumeurs en poussant à la néovascularisation.

Le signe immédiat de l’hypoxie est la cyanose (couleur bleue) de la peau, en particulier au niveau des extrémités.

En cas d’hypoxie grave (noyade, décompression dans un avion), le cerveau perd connaissance au bout de 30 secondes.

Les hypoxies contrôlées concernent principalement les sportifs, qui gèrent leur « capital hémoglobine » en fonction des compétitions (appelons cela de la gestion …).

L’analyse sanguine permet de différencier les diverses causes d’anémie.

L’hypoxie d’altitude  (en milieu naturel, vers 2500 m) est dite hypobare. C’est la diminution de pression atmosphérique de l’air qui conduit à la diminution de la pression partielle des gaz du sang, dont l’oxygène. L’organisme réagit en produisant plus d’hématies, elles-mêmes plus chargées en hémoglobine : les sportifs y acquièrent une meilleure capacité à l’effort, mais surtout un confort très recherché dans la récupération après l’épreuve.

L’hypoxie normobare se réalise en plaine, mais en milieu médical,  en diminuant la part d’oxygène dans le mélange de gaz inspiré, elle simule l’effet de l’altitude, sans se déplacer …

L’hypoxie peut également se provoquer par hypoventilation. La baisse de la fréquence respiratoire, selon des périodes programmées, permet d’arriver à une hypoxie contrôlée, et par là même, à une hématocrite maîtrisée.

Nous venons de passer en revue les pathologies correspondant à un déficit en oxygène.

A part l’inhalation excessive d’ozone (pollution atmosphérique, incident en milieu industriel), il y a très peu de troubles dûs à une hyper-oxygénation. En revanche, notre organisme est en permanence confronté à l’action de substances oxydantes qui agissent de proche en proche par l’intermédiaire de radicaux libres très nocifs.

Ainsi, l’utilisation thérapeutique de l’oxygène sous différentes formes, pour stabiliser les pathologies en « hypo » détaillées ci-dessus, doit se faire dans un cadre contrôlé, avec le risque permanent de « brûler » l’organisme.

Suite de cet article: les utilisations médicales.

Jean-Yves Gauchet