La “biture express” des adolescents: ses conséquences inflammatoires et épigénétiques.

 L’alcool est la substance psychoactive la plus expérimentée chez les adolescents. En anglais “binge drinking”, c’est cette pratique répétée d’alcoolisation rapide et massive pour atteindre une ivresse violente. Elle entraîne des déficits cognitifs en impliquant immédiatement des processus neuroinflammatoires et épigénétiques sur le long terme.

La recherche de l’ivresse semble être un but important chez les jeunes. Ils sont 36,4 % en classe de seconde et 52,2 % en classe de terminale à déclarer avoir eu un épisode de consommation excessive au cours du mois précédant l’enquête. Un bilan plus exhaustif de l’évolution de la consommation d’alcool chez les jeunes révèle que si les chiffres diminuent depuis 2003, ceux concernant les usages excessifs, qu’ils soient réguliers, mensuels ou plus ou moins répétés dans le temps, restent stables depuis 2005, avec un nombre d’épisodes de consommations excessives qui augmente avec l’usage de l’alcool. De fait, l’image globale de la consommation d’alcool chez les jeunes est celle d’une exacerbation des comportements de consommations excessives. En milieu étudiant, les enquêtes sont peu nombreuses, mais une étude a montré, en 2016, que 50 % des étudiants de 17 établissements français, rapportaient au moins un épisode de consommations excessives au cours du mois précédant l’enquête.

Ce mode de consommation, qui consiste donc à atteindre l’ivresse en consommant d’importantes quantités d’alcool en peu de temps, s’apparente à la notion d’intoxication éthylique aiguë : « … ingestion, délibérée, aiguë, d’alcool éthylique dont la traduction clinique est l’ivresse » [4]. Dans les pays anglo-saxons, ce mode de consommation se nomme binge drinking (BD). En français, le terme de « biture express » a été proposé.

Adolescent/jeune adulte : un cerveau encore immature et très vulnérable

L’éthanol est un puissant psychotrope toxique (mais également un excellent tératogène…). On peut donc s’attendre à des conséquences importantes du BD chez l’adolescent et/ou le jeune adulte, puisque son cerveau est encore immature. En effet, la maturation cérébrale, selon les neuroscientifiques, se poursuit jusqu’à l’âge de 20 à 25 ans. Les dernières étapes de cette maturation concernent une réorganisation morpho-fonctionnelle des synapses, qui consiste à éliminer les connexions en surplus, tout en conservant celles qui sont le plus utiles, et en une myélinisation finale des axones, afin de rendre les réseaux de neurones les plus efficaces possible. La substance grise et la substance blanche continuent d’évoluer donc tardivement dans leur organisation structurelle : la substance grise corticale s’affine, alors que la substance blanche s’épaissit. Cette maturation finale suit, globalement, un ordre chronologique, commençant par les régions corticales postérieures pour se terminer vers le pôle antérieur, le cortex frontal. C’est cet ensemble de modifications dynamiques, tant anatomique que fonctionnelle et temporelle, qui fait du cerveau adolescent une cible particulièrement vulnérable aux dommages causés par l’alcoolisation. Il a d’ailleurs bien été montré une plus grande sensibilité à l’alcool du cerveau adolescent par rapport au cerveau adulte, faisant de cette période une fenêtre de vulnérabilité particulière.

Chez l’homme, au cours de cette période de maturation cérébrale finale, une accélération de la réduction de la substance grise dans le cortex frontal latéral et les aires temporales est observée. Celle-là est corrélée à l’intensité de la pratique du BD et est indépendante de la co-consommation de cannabis, une autre substance consommée par les jeunes. Sur le plan fonctionnel, des études en imagerie par résonance magnétique (IRM) révèlent des activations cérébrales aberrantes en réponse à des tâches relativement exigeantes sur le plan cognitif, dont la mémoire de travail et les processus d’inhibition. Ces résultats sont proportionnels à la durée de l’alcoolisation avec des effets plus proéminents après plus de deux ans de pratique. Chez l’adolescent qui pratique le BD, la substance blanche est réduite au niveau du corps calleux, qui relie les deux hémisphères, et du pont de Varole, situé entre le mésencéphale et le myélencéphale. De plus, l’intégrité de la substance blanche (mesurée par la technique d’imagerie du tenseur de diffusion [DTI] d’anisotropie fractionnelle)4 est détériorée, notamment dans le lobe frontal.

Mise à jour au 11 mars 2023: Le “borg”, recette de cocktail étourdissant pour une biture express … 46 jeunes à l’hôpital … La recette: remplir un récipent de plusieurs litres avec de la vodka, du café, des arômes selon votre goût, et c’est parti…

Le borg, boisson douçâtre, a son public féminin …

Ces conséquences morphologiques ont des répercussions sur la sphère neurocognitive. Des déficits attentionnels, d’apprentissage et de mémorisation verbale, de process visuospatial ou émotionnel, et mnésique, ont ainsi été rapportés dans la littérature, chez les jeunes pratiquant le BD même de manière modérée. Certaines altérations de structures cérébrales sont particulièrement bien documentées : le corps calleux est de volume réduit comme celui du cortex préfrontal, de même que les hippocampes, chez les adolescents/jeunes adultes présentant un trouble de l’usage d’alcool.

Ce que nous apprennent les rats rendus alcooliques

Chez le rat adolescent, peu d’épisodes d’intoxication aiguë à l’éthanol sont nécessaires pour déclencher des altérations de la mémoire, qui sont certes transitoires, mais qui durent plusieurs jours. Ces effets délétères, tant sur le plan comportemental que sur le plan de la plasticité synaptique, sont prévenus par des anti-inflammatoires et impliquent une reconfiguration des récepteurs NMDA via des mécanismes épigénétiques. Nous commençons à comprendre les mécanismes cellulaires par lesquels le binge drinking altère la mémoire à un moment où le cerveau achève sa maturation et où les apprentissages sont primordiaux dans le devenir des jeunes, ce qui donne des pistes thérapeutiques pour limiter les effets, tant inflammatoires qu’épigénétiques de cette pratique d’alcoolisation.

Source: Medecine/Science

Auteur principal: Olivier Pierrefiche