L’ADN est bien sûr le gardien de nos caractères biologiques, mais on peut désormais élargir l’éventail des facteurs de l’hérédité à des causes insoupçonnées qui font rapprocher Lamarck de Darwin.
Avec la découverte de l’ADN, des gènes enrobés dans la chromatine des noyaux, de la synthèse des protéines via l’ARN et les ribosomes, on croyait que la connaissance concernant l’hérédité était pliée. Mettez des gènes égoïstes dans un contexte de concurrence où le meilleur gagne, et ce sont les mutations favorables qui dirigent l’évolution… Vive Darwin, et Lamarck peut aller se rhabiller avec ses girafes …
Cette “synthèse moderne de l’évolution”, assise sur l’intangibilité du pouvoir de l’ADN sur l’ensemble de la biologie, est en train de s’effilocher à toute allure, avec beaucoup de résistance de la part des détenteurs de brevets magiques concernant les OGM et les vaccins ARN. Car oui, si l’ADN est le coffre fort des bonnes recettes de la cuisine biologique, le cuisinier passe par derrière, et c’est lui qui prépare les plats. Voilà pour l’épigénétique. Mais il y a aussi l’énigme de la transmission de caractères non moléculaires. Les souvenirs inter-générationels, les mythes et peurs ancestrales qui se déclarent dès l’enfance.
Un ouvrage vient de sortir (La synthèse inclusive de l’évolution, chez Actes Sud), par Etienne Danchin, un spécialiste de l”évolution du comportement. Un gros pavé de 400 pages qui dissèque après un historique des découvreurs de l’hérédité, l’ensemble des facteurs qui agissent, avec les générations, sur la transmission de caractères physiques, mais aussi psychiques quand il s’agit du règne animal.
Tout d’abord, un rappel sur les travaux de Lamarck, critiqué, voire humilié pendant des siècles. C’est lui qui a montré via la paléontologie, que les espèces se transforment au cours du temps, et à ce titre, Darwin l’a suivi sur le principe. Mais là où Lamarck en cherchait l’explication par une règle “de l’usage et du non usage” des organes et donc des fonctions, ce qui était difficile à démontrer, Darwin au cours de ses voyages, a pu observer les résultats de la sélection naturelle.
Les deux théories (pourtant cousines) ont été débattues durant deux siècles, avec des interactions politiques et religieuses. Et quand on a découvert l’ADN, les gènes et les conséquences de mutations géniques, le grand gagnant était Darwin, exit ce naturaliste rêveur de Lamarck …
Comment expliquer que dans un organisme complexe comme le nôtre, toutes les cellules ont le même ADN issu des parents, mais leur développement prend des chemins différents pour donner des organes aussi différents que le foie, un cartilage ou un cerveau ?
C’est qu’au delà de l’enchaînement des séquences de gènes, immuable sauf mutation, le choix des gènes qui pourront s’exprimer dépend de leur accessibilité aux enzymes qui produisent les ARN judicieux pour tel ou tel besoin de la cellule. Durant toute la mise en place des tissus (foetus, puis bébé et jusqu’à tard dans la vie), les gènes “utiles” sont mis en avant, décortiqués de leur gangue protéique par l’action de molécules ad hoc, les radicaux méthyle.
Ces radicaux méthyle, qui sont la clé de l’activité des gènes “méthylés”, se placent spontanément au bon endroit dès le développement de l’embryon. Et là, pourquoi là et pas ailleurs, on en reste à parler de mystère …
Mais cette méthylation, on la retrouve au cours de la vie adulte, sous de multiples actions extérieures (perturbateurs chimiques, mais aussi malnutrition, divers types de stress). Avec des conséquences immédiates sur l’activité métabolique, immédiates, mais aussi transmissibles sur plusieurs générations.
On a nommé épigénétique l’ensemble des capacités d’un organisme à dévier de son activité purement génique. Et cette action des radicaux méthyle a été la première à être comprise et mesurée.
Mais on en a trouvé d’autres: les micro-ARN …
Avec le développement fantastique du séquençage des macromolécules nucléiques, on s’est rendu compte de plusieurs choses surprenantes.
Tout d’abord, on a découvert qu’une proportion conséquente de l’ADN ne code pas pour des protéines. D’où ce terme maintenant abandonné d’ADN”poubelle”. Abandonné car on a observé que non codantes, ces séquences avaient des rôles importants dans ce cadre d’épigénétique. En particulier en suivant l’évolution biologiques de végétaux OGM, où les séquences d’ADN “poubelles “prenaient le pas sur les séquences rajoutées de gènes “utiles”.
Deuxième découverte importante: il existe dans nos tissus et dans le sang des petits ARN non codants qui peuvent, s’ils ne participent pas à l’élaboration directe de protéines via les ribosomes, agir de manière décisive sur les ARN messagers issus des parties codantes de l’aDN nucléaire. Et mieux! Ces petits ARN peuvent agir au sein du noyau pour modifier la chromatine, donc l’accessibilité des gènes destinés à coder. En quelque sorte une action parallèle à celle des radicaux méthyle.
Et cerise sur le gâteau, ces petits ARN peuvent se retrouver dans les glandes sexuelles, et s’intégrer au contenu des noyaux des gamètes, donc à faire sauter une génération (ou plus) à cette action épigénétique.
Ainsi, en 2022 si l’on veut avoir une vue exacte de notre modèle physiologique et des modalités de l’hérédité, il faut élargir le champ et intégrer de nouvelles observations, bien au delà du “génisme” des années 60.
Dans son ouvrage, Etienne Danchin explore sa partie d’expertise (l’évolution du comportement) et il s’étend sur l’hérédité culturelle, un domaine âprement disputé par les religions et les politiques et où la science est bien silencieuse. Raison de plus de venir partager ces pages …
Jean-Yves Gauchet