Comme la plupart des médicaments, la caféine est une molécule étrangère à l’organisme qui trouve une cible membranaire qui ne lui était pas destinée, mais qui va provoquer une action pharmacologique profitable. Et ce dans bien des domaines physiologiques.
Article précédent: le café, la plus douce des addictions.
La consommation du café, dès ses débuts en Afrique, reposait sur ses capacités à soutenir l’organisme, contre la fatigue et le sommeil. Les soufis musulmans voyaient en ce breuvage une aide à l’éveil mental lors de la prière, et un soutien physique lors des pèlerinages.
L’instauration de la torréfaction, en faisant découvrir les arômes jusqu’ici masqués, apporte aux dégustateurs la notion de plaisir.
Mais l’effet caféine reste prédominant, et les « vertus éveillantes » sont recherchées par nombre d’intellectuels ou de voyageurs qui ont besoin d’un appui pharmacologique, d’autant que les effets secondaires sont minimes.
Et Dieu, dans tout ça ?
Les Eglises, pointilleuses sur tous phénomènes qui influencent nos esprits, auront une attitude fluctuante concernant le café.
Au départ, cette boisson rituelle (gage de fertilité et de force) de tribus animistes devient un puissant levier au service de l’Islam. Comme chef de guerre, le Prophète, rapporte un haddit, estime que sous l’emprise d’un bon café, « il pourrait maîtriser quarante hommes et posséder quarante femmes »… Mais quand il s’agit de gérer des pèlerins passionnés, le café devient une menace et en 1511, le gouverneur de La Mecque en interdit la consommation. Puis en 1620 la prohibition s’étend à l’empire Ottoman, et en 1595, le Pape Clément VIII déclare le café « boisson du Diable »…
En fait, ce sont plus les lieux de consommation (et par là de sédition) qui sont visés, et la consommation à domicile balaye tous ces interdits …
Parallelement, une pratique honnie des religions se développe, la cafédomancie, ou la lecture de l’avenir dans le marc de café, encore pratiquée couramment dans les Balkans et au Proche Orient.
La caféine démasquée
C’est au début du XIXème siècle que les chimistes isolent les alcaloïdes végétaux, comme la caféine, mais aussi la nicotine du tabac, la théobromine du chocolat, la théophylline du thé.
Mais aussi l’atropine, la pilocarpine, la yohimbine, le début d’une saga pharmaceutique très productive.
La caféine, principe actif principal, est le « dopant » quotidien de milliards de terriens à la dose moyenne de 100 milligrammes par tasse.
Mais la caféine est rajoutée dans des sodas toniques, dans des barres chocolatées dites « d’effort », et plus récemment dans des boissons énergisantes dont le produit leader est le Redbull.
L’absorption de la caféine commence dès l’estomac, et se poursuit dans l’intestin, c’est une petite molécule qui passe facilement dans le sang, mais en fonction du contenu stomacal : un estomac encombré (repas plantureux) retarde la diffusion de la caféine. Il en est de même lorsque le café est mélangé à du lait (qui contient graisses et protéines), ou lorsqu’elle est apportée par une boisson gazeuse alcaline.
La caféine ingérée va remonter directement par la veine porte vers le foie, où va s’opérer une première dégradation, puis remonter encore vers le cerveau, principale cible puisqu’on cherche à le stimuler.
Une partie de la caféine sera néanmoins séquestrée et transportée par des protéines de type albumine, ce qui provoquera un effet retard, sauf chez les personnes âgées ou fatiguées, où la caféine sera principalement sous sa forme solubilisée, donc avec une action rapide et intense.
C’est le foie qui procède à l’élimination de la caféine du sang (une partie s’est accolée aux récepteurs cellulaires), à raison de 50% de dégradation en quatre heures.
Là encore, on note des différences d’efficacité hépatique en fonction de l’âge, du statut hormonal (l’estradiol des contraceptifs en diminue l’efficacité, donc la caféine est plus active, plus longtemps), de médicaments concomitants.
Un récepteur ubiquitaire, qui cible également l’adénosine.
Comme la plupart des médicaments, la caféine est une molécule étrangère à l’organisme qui trouve une cible membranaire qui ne lui était pas destinée, mais qui va provoquer une action pharmacologique profitable.
En l’occurrence, le récepteur que la caféine va en quelque sorte squatter est le récepteur de l’adénosine.
Qu’est ce que cette adénosine ? Une petite molécule qui dépend de la dégradation de l’ATP, carburant universel des cellules, et qui au niveau du cerveau va par effet cumulatif entraîner le sommeil. En se fixant sur les mêmes récepteurs, et en les bloquant, la caféine retarde ou empêche l’endormissement.
Mais ces récepteurs sont présents également sur les membranes cellulaires des muscles, et la caféine aura des effets différents selon les muscles considérés :
- les muscles lisses des vaisseaux seront contractés, ce qui provoque une hypertension.
- Les muscles lisses des bronchioles se dilatent, provoquant une bronchodilatation, donc une meilleure oxygénation de l’organisme.
Comme on s’en doute, les sportifs ont là à portée de tasse (ou de canette !) une molécule idéale pour augmenter leur potentiel, en principe sans risques secondaires, et sans risques non plus de passer pour un affreux dopé !
En effet, depuis 2004 la caféine a été retirée de la liste des produits illicites en compétition, alors que cette liste s’est considérablement alourdie de substances de synthèse qui apparaissent chaque mois (avec bien sûr toujours une saison de retard).
Qu’ont donc les sportifs à gagner avec la caféine ?
- La caféine active le système nerveux central
- Elle stimule la sécrétion d’adrénaline
- Sur les muscles, la caféine augmente la force de contraction grâce à un meilleur recrutement des fibres musculaires.
- A petite dose, elle améliorerait effectivement la respiration, la disponibilité des glucides et la réactivité du système cardiovasculaire.
- A moyenne dose, elle favorise la consommation des graisses et épargne de ce fait les réserves de glycogène. Cette action explique aussi une partie de ses vertus amincissantes
- Elle contribue au maintien de la glycémie et aide à combattre les hypoglycémies.
- L’ajout de caféine aux boissons énergétiques, permet d’accroître l’absorption intestinale des glucides. Elle lève ainsi un des facteurs limitant l’efficacité de ces boissons.
- Elle réduit la sensation de pénibilité de l’effort.
Pourtant, certains sportifs comme les cyclistes s’en méfient, pour un autre effet incongru en particulier pour les cyclistes : l’effet diurétique.
En effet, la caféine en agissant sur les récepteurs des muscles lisses des vaisseaux sanguins des néphrons, permet une intense filtration du sang avec production d’urine abondante (+30% en quelques minutes). De quoi avoir à descendre de vélo tous les quarts d’heure !
D’ailleurs, les « handicapés de la prostate » savent qu’après un café, il faut vite se diriger vers les toilettes, mais que le sphincter vésical récalcitrant se débloque alors, ses fibres musculaires lisses se dilatant comme celles des bronchioles respiratoires. D’où pour eux l’intérêt de prendre un café le soir, afin de “purger” efficacement leur vessie avant le coucher.
La caféine, agent d’amaigrissement ?
La caféine, toujours via les récepteurs d’adénosine, stimule les lipases qui dégradent les graisses, pour en extraire une énergie sous forme de corps cétoniques. Très bien … sauf que la caféine est généralement accompagnée d’une bonne dose de sucres, ce qui fiche par terre tout bénéfice d’amaigrissement. Mais en application locale (savons et lotions de massage), la caféine joue son rôle sur les zones visées, sans action sur le reste de l’organisme.
De l ‘éveil, oui, mais avec un cerveau bien irrigué ?
Ainsi, en coupant les neurones des effets de l’adénosine, la caféine empêche l’établissement du sommeil. Est-ce pour autant que le cerveau sera performant ?
Sans doute non, car la caféine agit également sur les fibres lisses des capillaires sanguins, dans le sens d’une constriction : le cerveau est alors moins irrigué, que ce soit en oxygène ou en glucose.
Effet bénéfique induit : en diminuant localement l’apport de substances inflammatoires, la caféine agit comme un antimigraineux, au point qu’elle est intégrée à de nombreux médicaments contre les maux de tête (ex : céphyl, migralgine, vasobral, gynergène, lamaline, etc).
Effet calamiteux annexe : lors d’un sevrage à la caféine, la mise en route de migraines qu’on ne peut justement pas soigner avec la caféine …
Effet calamiteux permanent : cette moindre irrigation du cerveau entraine une faiblesse intellectuelle et mentale, qui s’installe alors que justement ce sujet éveillé, voire speedé, se croit en pleine possession de ses moyens.
Avec l’effet cumulé de la diurèse, donc d’une déshydratation qui passe inaperçue, on est là aux limites de sécurité pour un conducteur de camion ou de train, aux limites des capacités sociales pour des esprits diminués en situations de conflits…
Actuellement, des recherches sont faites pour utiliser de la caféine à action prolongée (gélules contenant également un liant qui se délite en une dizaine d’heures), nous dirons très bien pour des usages militaires, sous contrôle médical, mais si ces gélules passent dans le domaine public, on peut s’attendre à des catastrophes …
Car à hautes doses et sur des prises répétées, la caféine n’est pas innocente. On a forgé le terme de caféinisme pour ces personnes agitées, irritables, privées de sommeil, sous l’effet de palpitations, d’hypertension et d’anorexie. Cet état peut être dû à une hyperconsommation, mais aussi à des dérèglements hormonaux ou iatrogènes (personnes âgées poly-médicamentées).
Une dépendance sans la récompense
Contrairement aux drogues addictives comme l’alcool ou la cocaïne, la caféine n’agit pas sur le « circuit de la récompense ».
Le plaisir procuré par la dégustation est purement gustatif, au niveau du palais, avec également un bien-être mental qui repose sur un phénomène bien connu : la facilité de se remémorer, de revivre des souvenirs ou expériences qui ont eu lieu dans le même état cérébral. Ainsi, de même que sous l’effet de trois verres de vin, on se souvient mieux d ‘évènements survenus dans le même état d’imbibition, en dégustant un café et faisant remonter la caféine, on accède facilement à tous nos souvenirs « sous café ». Ce qui entraîne des prises répétées, en particulier chez les travailleurs intellectuels où la caféine apporte un confort mental et de meilleures performances.
On peut alors parler de dépendance, mais pas d’addiction.
Qui dit dépendance dit sevrage … Celui-ci est bien plus facile qu’un sevrage de stupéfiant, mais on assiste alors bien souvent à des céphalées et à des pertes de mémoire (voir plus haut) qui remettent en cause le bien-fondé dudit sevrage …
Jean-Yves Gauchet