Mieux gérer les nappes phréatiques.

Le niveau des nappes phréatiques est un problème récurrent depuis quelques années en France où l’on constate une baisse notable des niveaux par rapport à la moyenne des relevés des dernières décennies. Par quels phénomènes, et comment réagir ?

En juillet 2023, 75 % des nappes phréatiques françaises sont à un niveau inférieur à la normale à cette époque de l’année. Cela est dû en partie à des pluies hivernales très faibles qui n’ont pas permis une recharge suffisante permettant de soutenir les nappes au cours de leur vidange pendant la saison sèche.

Un aquifère phréatique ou libre est un réservoir rocheux perméable affleurant en surface dont une partie est remplie d’eau appelée communément la nappe ou zone saturée. Cette dernière repose sur une autre formation géologique, qui elle est imperméable, ce que l’on appelle le mur de l’aquifère. Ce dernier est alimenté directement par la pluie qui s’infiltre verticalement dans le sol.

  • En répartition, même dans la plupart des zones semi-arides et arides où il y a peu ou pas d’écoulement de surface, on pourra en général trouver de l’eau souterraine dans les premiers 200 m de profondeur.
  • En qualité, puisqu’elles sont davantage protégées des contaminations que les eaux de surface.

Les quantités d’eaux stockées peuvent être très importantes, non pas par le volume qu’elles occupent mais par la taille et l’épaisseur de la plupart des aquifères qui peuvent s’étendre sur des centaines voire des milliers de km2 et qui peuvent avoir des épaisseurs de plusieurs centaines de mètres. C’est le cas des aquifères que l’on trouve dans les grands bassins sédimentaires parisien et aquitain, dont l’aquifère de la craie dans le bassin parisien étendu sur environ 110 000 km2 et qui affleure en Normandie et en Champagne.

Comment l’eau circule-t-elle dans les aquifères ?

Pour que l’eau circule dans le réservoir, il faut qu’il y ait des vides interconnectés, les aquifères les plus nombreux sont à porosité primaire, c’est-à-dire que la circulation se fait à travers les vides autour des grains de la roche. C’est le cas des formations géologiques sédimentaires par exemple les terrasses alluviales des fleuves.

La seconde catégorie d’aquifère recouvre ceux à porosité secondaire, en général ils ont une capacité de stockage de l’eau plus faible. Dans ce cas l’eau circule dans des fissures et fractures connectées dans une roche compacte. Ces fractures peuvent être dues à des phénomènes tectoniques par exemple.

La texture et la structure de la roche vont définir la quantité moyenne d’eau dans le réservoir et les conditions de circulation de cette eau. Ces paramètres vont dépendre principalement de la taille des pores ou des fissures, que cela soit dans le mouvement vertical c’est-à-dire l’infiltration de la pluie de la surface jusqu’à la nappe puis latérale dans la nappe. C’est un processus lent et les ressources en eau accumulées dans l’aquifère sont le résultat de dizaines, centaines, voire milliers d’années de fonctionnement.

Un aquifère phréatique à l’état naturel dans des conditions climatiques stables est en équilibre c’est-à-dire que ce qu’il reçoit en entrée : la pluie, ce que l’on appelle la recharge, il le restitue particulièrement sous forme d’eau de rivière tout le long de l’année.

Ainsi, grâce aux aquifères les écosystèmes des rivières peuvent continuer à vivre sans être trop perturbés. Ce cycle annuel se matérialise dans l’aquifère par une petite variation du niveau d’eau de quelques cm à plusieurs mètres entre la fin de la saison des pluies (hautes eaux) et la fin de la saison sèche (basses eaux), c’est ce fonctionnement retardé qui permet d’avoir un écoulement dans les petites et moyennes rivières pendant les mois d’été en France.

Quand on parle de baisse de niveau anormale d’une nappe phréatique, cela veut dire que la part d’eau qui sort de l’aquifère est plus importante que la part qui rentre, c’est-à-dire que le stock d’eau à l’équilibre que constitue la réserve de plusieurs dizaines ou centaines d’années se réduit.

Quelles en sont les causes ? Contrairement à ce que l’on peut penser, ce n’est pas parce que l’on a une année peu pluvieuse que l’on va enregistrer des baisses importantes. L’aquifère est un système avec une grande inertie due à son stockage d’eau sur de nombreuses années et il faudrait beaucoup de sécheresses consécutives pour qu’il ressente ces effets et commence à amorcer une baisse de niveau inférieur à son niveau d’équilibre. Cependant l’exploitation souvent intensive de l’aquifère est un facteur aggravant qui peut accélérer les effets d’un déficit annuel de l’eau.

Les nappes d’eau douce constituent une ressource en eau importante :

  • En quantité, elles représentent 30 % du total des eaux douces sur la terre, les glaciers et neiges 69,6 % et les eaux de surface, rivières, lacs et zones humides seulement 0,34 %.
  • En répartition, même dans la plupart des zones semi-arides et arides où il y a peu ou pas d’écoulement de surface, on pourra en général trouver de l’eau souterraine dans les premiers 200 m de profondeur.
  • En qualité, puisqu’elles sont davantage protégées des contaminations que les eaux de surface.

Seuls 10 % de la pluie qui tombe alimente les nappes

Cependant la quantité de la recharge d’un aquifère est plus complexe qu’une simple relation avec des années plus ou moins sèches ou humides. En premier lieu seule une petite partie de la pluie va alimenter l’aquifère. C’est ce que l’on appelle la pluie efficace, qui correspond en général à un maximum de 10 ou 15 % du total de la pluie.

Si l’on regarde le bilan hydrologique, la pluie va se répartir suivant les termes :

– P= R+E+RU+G

– P=pluie, R=écoulement de surface, RU=réserve utile du sol, G= l’eau qui va à l’aquifère.

Les deux termes les plus importants qui vont influer sur G sont l’évapotranspiration (évaporation directe de l’eau et respiration des plantes) et la réserve utile du sol. Ce dernier représente la capacité du sol à retenir l’eau, soit le taux d’humidité maximum du sol et c’est seulement quand il est dépassé que l’eau va pouvoir circuler dans le sol et atteindre la nappe. Pour l’évapotranspiration, plus il fera chaud plus l’eau de la pluie pourra s’évaporer dans les premiers cm du sol, et plus la végétation sera en période de croissance plus elle pompera de l’eau par ses racines dans les premiers mètres du sol.

De ce constat on voit bien que ce n’est pas obligatoirement la quantité totale de pluie dans l’année qui conduit à un déficit de la recharge mais une mauvaise répartition temporelle des pluies limitant une recharge efficace. En effet en France, les pluies se concentrent entre septembre et mars dans des conditions où il fait plus froid et où la végétation est en repos, ce qui limite l’évapotranspiration et permet de conserver une bonne humidité dans le sol et favorisant ainsi une bonne infiltration, d’autant plus que les pluies sont continues et peu intenses, privilégiant l’infiltration par rapport au ruissellement de surface qui lui rejoint la rivière puis s’écoule vers la mer. Un manque de pluie durant l’automne et l’hiver réduira la recharge même si avril, mai et juin montrent un excès de pluie par rapport à la normale.

Quelles sont donc les solutions pour tenter de remédier à cette baisse qui pourrait s’amplifier avec le changement climatique, matérialisée soit par une baisse des pluies, un déphasage des pluies dans le temps ou soit par des pluies dont l’intensité augmentera.

La plus simple mais qui ne peut être qu’à titre exceptionnel : restreindre l’utilisation de l’eau de la nappe. C’est ce que l’on fait en France en réduisant l’usage de l’eau aux particuliers ou aux agriculteurs certains étés.

Dans les pays semi-arides comme la Tunisie, l’une des solution est de stocker dans des barrages les eaux de surface récoltées pendant la saison des pluies dans la partie nord du pays, plus humide. Une partie est transférée dans la région au sud plus sèche qui sera utilisée pour recharger certaines nappes par épandage de l’eau dans des zones favorables à l’infiltration.

Pour terminer, la baisse du niveau des nappes ne concerne pas que les nappes phréatiques. Un second type de nappe dite captive représente les réservoirs géologiques emprisonnés entre deux couches imperméables et qui sont alimentés par un ou plusieurs petits affleurements qui restent de petites zones par rapport à la taille du réservoir. C’est par exemple le cas des formations géologiques qui ont été plissées par des mouvements tectoniques. Dans ce cas de figure en dehors des zones d’affleurement qui sont les zones de recharge, les vitesses de circulation dans l’aquifère sont très faibles et le renouvellement assuré seulement par le flux latéral. Exploiter ce type d’aquifère conduit toujours à une réduction globale du volume d’eau dans le réservoir car le renouvellement de l’eau extraite va prendre des centaines voire des milliers d’années (eaux dites fossiles) car la recharge reste très limitée et peut être très éloignée du forage d’exploitation.

Auteur:

Jean-Denis Taupin

Responsable Laboratoire des isotopes stables de l’eau, Institut de recherche pour le développement (IRD)

Source: The Conversation