Les algues brunes (fucus, ascophylles, sargasses, etc) sont des végétaux marins qui ont évolué au cours des millénaires, dans des conditions critiques puisque livrées aux agressions permanentes des UV solaires, à la dessiccation (au gré des marées basses), à la salinité, et aux outrages de prédateurs minuscules (mollusques et copépodes brouteurs) ou majuscules (poissons, mammifères).
Ces algues ont développé des systèmes de défense moléculaires très efficaces, en particulier d’action anti-oxydante, d’amertume dissuasive, et d’anti-adhésif contre les prédateurs brouteurs.
Les premières utilisations en ont été la production d’alginates, très recherchés dans l’industrie agro-alimentaire, et les compléments iodés pour soigner l’hypothyroïdie.
Mais la palette des molécules “utiles” est bien plus large, et les recherches récentes ont maintenant bien déterminé les substances les plus efficaces, ainsi que leur mode d’action et qui vont bien au-delà des capacités de défense qui ont préservé ces algues au cours des millénaires.Parmi les différents métabolites secondaires des Ascophylles, on peut souligner l’importance des phlorotannins, c’est à dire une classe de composés phénoliques que l’on trouve exclusivement dans les organismes marins, notamment dans les macroalgues brunes. Il s’agit de composés très hydrophiles, constitués de déhydro-polymères formés de monoméres de phloroglucinol.
Ce phloroglucinol, vous le connaissez bien, car c’est la molécule principale d’un médicament de grande utilisation: le spasfon
(pour les humains) ou le spasmoglucinol (pour les animaux), prescrits dans les cas de souffrances urinaires (spasmes, calculs).
Les algues brunes sécrètent cette petite molécule, qui sert de base à toute une cascade de molécules (polymères) qui lui servent pour édifier leurs parois cellulaires (ces algues n’ont pas inventé la cellulose), mais aussi, avec une belle économie de moyens, des substances de protection contre les rayons ultraviolets (antioxydants), des agents anti-bactériens, et des produits dissuasifs contre les prédateurs. Nous verrons que chez nous autres mammifères, toute cette chaîne de molécules de la même famille présente des effets thérapeutiques variés que l’on peine à découvrir chaque année.
encadré: les phénols, un jeu de construction sans limites
Les phénols sont des molécules dont l’élément de base est le phénol, où six atomes de carbone sont réunis dans un cycle aromatique hydrocarboné très solide, et très réactif. Les petits phénols, au départ ”déchets”du métabolisme végétal, s’agglomèrent en polymères indispensables aux plantes pour les structurer (lignine) et les défendre (polyphénols, tannins).
Une action précieuse anti-oxydante pour préserver les aliments
Les phlorotannins dans leur ensemble (il existe une trentaine de molécules toutes issues d’un assemblage de la molécule de base, le phloroglucinol) sont produits par les algues brunes, en particulier celles de l’estran, cette zone côtière régulièrement mise à sec en marée basse.
Pour résister aux effets oxydants du soleil, les phlorotannins ont cette capacité de piéger et d’inactiver les radicaux libres (ROS) issus des dégâts cellulaires dus aux UV solaires. Toutes les plantes ont développé ce type de protection en produisant des polyphénols, des caroténoïdes, des flavonoïdes, des tannins (dont nos phlorotannins), ou encore des vitamines (vit C et vit E).
Chez l’Ascophyllum, très exposée, le taux de phlorotannins atteint les 15% du poids sec. Et de nombreuses études montrent que les extraits d’ascophyllum ont des effets anti-oxydants comparables ou supérieurs aux vitamines C et E.
Or, celles-ci sont les anti-oxydants les plus employés dans les industries agro-alimentaires et cosmétiques pour inhiber la rancification et améliorer les durées de conservation.On les utilise par exemple pour des mayonnaises, et même dans des yaourts malgré le goût “de marée”.
Une autre activité des phlorotannins (voir plus loin) est leur action bactéricide (gram+ et gram -) , qui vient épauler l’action anti-oxydante pour la conservation des aliments.
Action anti-oxydante, mais aussi “anti fouling” pour les gencives
Les bienfaits de l’algues Ascophyllum sur la santé bucco-dentaire ont été repérés et exploités tout d’abord en Scandinavie, où des vétérinaires ont mesuré l’amélioration de l’état inflammatoire et infectieux de la bouche de chiens âgés, avec ou sans la prise régulière d’extraits d’algues.Une amélioration flagrante, de l’ordre de 50% (indices de plaque,de tartre, de saignements gingivaux) entre les animaux traités et les placebos.
L’activité anti-infectieuse et anti-inflammatoire des phlorotannins a été évoquée, mais sans preuve absolue de l’action moléculaire, on reste dans le vague tout en en constatant les bienfaits.
Mais il y a un phénomène que les marins connaissent et qui nous donne une toute autre explication: c’est le “fouling”, cette propension des bactéries vivant en milieu liquide (milieu marin, mais aussi salive…) à secréter des mucus, une véritable colle biologique sur tout ce qui les entoure, pour mieux s’y installer et se multiplier. Sur nos muqueuses, cela nous donne les biofilms où prolifèrent bactéries et parasites, sur les coques de bateaux, cela donne des encrassements où adhèrent et s’accrochent des milliers de passagers clandestins (bactéries, vers, mollusques) qui l’alourdissent et la détériorent. On doit ainsi traiter régulièrement les coques de bateaux mais aussi les hydroliennes, avec des peintures “anti-fouling” … qui contiennent, devinez ? Des tannins d’algues (issus plutôt du fucus) qui ont cette action recherchée de dissoudre le mucus des hôtes indésirables.
Cette capacité, commune aux algues brunes pour se protéger elles-mêmes, nous est particulièrement utiles pour soigner certaines pathologies, comme bien sûr les gingivites, mais aussi (voir plus loin) des engorgements des voies respiratoires, des infections urinaires (souvenez vous: le spasfon, ce phlorotannin médical, est prescrit systématiquement en cas d’infection urinaire. Et puis, au passage, citons un autre effet naturel antifouling de la canneberge, qui empêche dans la vessie les bactéries de s’accrocher à la paroi (biofilm vésical)et de s’y développer et d’y entraîner des douleurs.
Revenons aux phlorotannins, cet effet prouvé et maintenant et exploité dans le monde entier (le brevet originel est maintenant public…) ne doit pas être négligé, au moins pour une bonne santé de nos compagnons.
La protection contre les brûlures dues aux rayonnements
Cette capacité de réduire les effets oxydatifs des rayonnements, qui a protégé les algues depuis des millions d’années, est à exploiter dans nos domaines médicaux: ce sera le cas pour les chats blancs (albinisme, défaut de mélanine protectrice de la peau) dont la truffe et les oreilles en été s’échauffent jusqu’à s’ulcérer et dégénérer en carcinome.Si l’on ne peut empêcher son chat d’aller “au soleil”, la prise de poudre d’ascophyllum sera sa meilleure prévention contre ces inflammations.
A noter: les études concernant la fibrose du cristallin (qui alors évolue en cataracte) n’ont pas donné de bons résultats.
Dans l’usage cosmétique, les extraits d’algues brunes sont maintenant d’usage constant dans les formulation “anti-âge” (contour des yeux) ou dans les crêmes d’après bronzage.
On ne fait quasiment pas de traitement anticancéreux par rayons X sur les animaux. Mais sur les humains, les brûlures d’organes essentiels (exemple, la vessie, la gorge) suite aux radiothérapies sont trop fréquentes et difficilement soignées. Voici un domaine de recherches quasiment vierge.
L’action anti-inflammatoire
A ne pas confondre avec l’action anti-oxydante, mais la confortant, l’action anti-inflammatoire des phlorotannins est constatée en laboratoire. Si le processus biologique n’est pas encore déterminé, on a pu mesurer en parallèle une baisse notable des médiateurs parmi clesquels, on peut souligner l’importance du facteur de nécrose tumoraleα (TNFα), dont la fonction principale est l’ activation du facteur nucléaireκB, qui à son tour est responsable de la transcription de plusieurs gènes codant pour d’autres médiateurs proinflammatoires, dont le TNFα lui-même, les interleukines (IL), les chimiokines, les molécules d’adhésion et les enzymes inflammatoires clés, dont la cyclooxygénase2 et la synthase d’oxyde nitrique inductible (COX2 et iNOS, respectivement), qui diffusent davantage les stimuli proinflammatoires.
Par conséquent, les activités antiinflammatoires décrites des phlorotanins de Fucaceae sont basées sur leur capacité à neutraliserun ou plusieurs de ces médiateurs
Plusieurs études in vitro montrent une activité égale à celle de la dexaméthasone. A ce jour, aucune utilisation médicale n’a été publiée dans ce sens.
L’action anti-infectieuse
Elle est constatée quotidiennement lors de l’utilisation des extraits d’algues pour la conservation des aliments.
Mais des études plus poussées font apparaître une action notable sur les bactéries Grampositives (Staphylococcus aureus, Staphylococcus epidermidis) et Gramnégatives (Escherichia coli, Proteus mirabilis, Pseudomonas aeruginosa), réduisant leur croissance de 85 % par rapport aux témoins, avec une concentration inhibitrice minimale de 2mg/ml, et une action quinze fois plus importante que celle de l’éthylparabène, du benzoate de sodium et du sorbate de potassium, qui sont trois bactéricides importants utilisés comme conservateurs alimentaires.
On comprend alors tout l’intérêt de leur utilisation dans la conservation des aliments, mais aussi pour l’hygiène bucco-dentaire des carnivores, le tartre étant un milieu de multiplications de germes divers (qui via les lésions gingivales, entrent dans le circuit sanguin et atteignent des organes sensibles comme les reins, le coeur ou les poumons).
Des études sont en cours concernant les effets inhibiteurs particuliers contre la croissance de plusieurs dermatophytes, révélant des CMI de 3,9 à 31,3 mg/m pour Trichophyton rubrum, Candida albicans, Epidermophyton floccosum, Trichophyton mentagrophytes, Microsporum canis et Microsporum gypseum, ce qui présente un certain intérêt pour le développement de produits de soin de la peau pour le traitement de la dermatophytose. Ou encore (la plupart des tumeurs solides sont infiltrées de dermatophytes) pour améliorer les traitements anti tumoraux (voir plus loin).
Ascophyllum, l’obésité et le diabète.
L’obésité et le diabète sont deux pathologies liées, qui touchent les humains pour des raisons génétiques et diététiques, mais aussi nos compagnons carnivores dont l’alimentation “tout croquettes” est trop riche en glucides.
Dans le cas spécifique du diabète sucré de type 2, les cibles thérapeutiques les plus courantes sont l’αamylase et l’αglucosidase, deux enzymes responsables de l’hydrolyse de l’amidon libérant les monomères de glucose pour une absorption ultérieure par l’intestin grêle. Par conséquent, l’inhibition de ces enzymes réduit la disponibilité des monomères de glucose libres et diminue par conséquent le pic postprandial des niveaux de glucose sanguin.
Concernant l’alphaglucosidase, des extraits d’algue à 24 microgrammes/ml montrent un effet similaire à celui de l’acarbose, mondialement prescrite sous le nom de Glucor comme antidiabétique.
Concernant l’alpha-amylase, les effets de neutralisation moléculaire sont identiques, toujours en comparaison avec l’action de l’acarbose.
En résultat biologique, l’administration orale de 200 mg/kg/jour de deux extraits différents de phlorotannin d’A. nodosum permet d’améliorer les taux de glucose sérique à jeun et abaisser le taux de glucose sanguin postprandial de 25 % par rapport aux témoins diabétiques..
Bien que les extraits phénoliques de Fucaceae aient été principalement décrits pour leurs effets de type acarbose lors de l’évaluation de leurs effets antidiabétiques, d’autres mécanismes possibles ont également été signalés. Par exemple, il a été démontré que l’extrait éthanolique riche en phénols d’A. nodosum stimule l’absorption basale du glucose dans les adipocytes, contribuant ainsi à la réduction des taux de glucose sanguin et à l’amélioration de l’hyperglycémie .
Un appoint non négligeable: la fucoxanthine. Ce pigment caroténoïde vient dans l’algue en complément de la chlorophylle pour augmenter sa capacité de photosynthèse. La fucoxanthine présente une action de réduction des graisses , d’une part en induisant la production de thermogenèse (la graisse “part en chaleur” plutôt que de s’accumuler), d’autre part en favorisant la production par le foie de DHA, un acide gras essentiel lui-même anti-inflammatoire.
Il s’avère donc que les phlorotannins constituent un modèle de soins naturels jusqu’ici totalement ignoré pour traiter efficacement et économiquement des diabètes lorsque l’utilisation de l’insuline n’est pas imposée.
C’est le cas de ces milliers de chats et chiens obèses et en prédiabète pour lesquels la préconisation se limite à la consommation de croquettes “allégées”.
Ascophyllum et les tumeurs
Le stress oxydatif et l’inflammation sont depuis longtemps associés au développement du cancer. La production de ROS, notamment de radicaux hydroxyles (OH ) et de superoxydes (O2 −), et d’espèces réactives de l’azote telles que l’oxyde nitrique (NO ) et le peroxynitrite (ONOO), associées à des états inflammatoires chroniques, peut conduire à des environnements propices aux lésions génomiques et à l’initiation de tumeurs.
On comprend alors que par leurs activités anti-inflammatoires et anti-oxydants décrites plus haut, les phlorotannins se situent en bonne place pour une action anti-tumorale.
Etudiée sur différents cancers, l’action d’extraits d’Ascopyllum (à 30 microg/ml) montre en effet des effets d’inhibition sur des cultures de cellules tumorales de colon, de pancréas. On note en effet une progression des apoptoses (par inhibition de l’aromatase), mais aussi une action intéressante d’inhibition de la hyaluronidase, cette enzyme qui permet à une tumeur de s’enfoncer dans les tissus environnants et d’échapper aux lymphocytes de la défense immunitaire.
Un appoint non négligeable: les fucoïdanes. Ces polysaccharides présentent un mimétisme avec les parois bactériennes, et provoquent ainsi un sursaut immunitaire des cellules tueuses NK, celles qui par ailleurs ont en charge d’éliminer les tumeurs.L’Ascophyllum contient jusqu’à 10% de fucoïdane sur son poids sec.
On peut également évoquer les recherches actuelles sur l’action anti-dermatophytes (champignons parasites) des extraits d’Ascophyllum, pleins de promesses car la plupart des tumeurs sont infiltrées de dermatophytes (essentiellement Candida et Microsporum) qui profitent de l’acidité lactique et des effluents métaboliques de ces tumeurs (pour l’organisme malade, un double parasitisme).
Des soins efficaces, économiques, sans effets secondaires
Les phlorotannins d’Ascophyllum présentent une excellente biodisponibilité: en cours de digestion, les “grosses” molécules (on compte une trentaine des polyphénols à base de phloroglucinol) sont dé-polymérisées pour donner des métabolites actifs facilement absorbés dans le circuit sanguin, une partie étant conjuguée dans le foie.
On peut ainsi compter sur des concentrations sanguines, puis tissulaires, urinaires… ou salivaires d’un niveau thérapeutique fiable, sans réels effets secondaires.
Les précautions à prendre concernent l’apport en iode (donc à surveiller sur des individus hyperthyroïdiens), ainsi que la fonction digestive, les tannins à partir d’un certain apport étant irritants pour les muqueuses et perturbants pour le microbiote.
Une autre qualité de ces extraits d’algue, sera leur faible coût.
Concernant les animaux, un brevet mondial concernant surtout les soins de bouche est arrivé à expiration, et on peut se procurer ces phlorotannins à des prix raisonnables (encore que, sur 5 produits équivalents proposés sur Amazon, les prix vont du simple au quadruple …).
La première application, déjà bien adoptée par la profession vétérinaire, est l’hygiène bucco-dentaire. Que ce soit en prévention ou en soins post-détartrage, la prise quotidienne dans la nourriture de poudre d’algue se traduit par une moindre inflammation des gencives et un dépôt de tartre empêché ou retardé. L’effet “anti-fouling” de l’algue, accompagné des actions anti-infectieuses et anti-inflammatoires expliquent les bons résultats de cette thérapie.
Une autre application, plus confidentielle mais précieuse, est la protection (action anti-oxydante et anti-inflammatoire) des oreilles des chats blancs contre l’action des UV solaires.
Concernant nos compagnons enrobés, voire obèses et en prédiabète (20% de nos patients), la prise quotidienne d’extraits d’Ascophyllum permet (actions sur l’amylase et l’αglucosidase équivalente à celle du Glucor) un étalement de l’absorption du glucose suite au repas, et ainsi une glycémie sans acoups, une économie d’insuline et une mise au repos du pancréas.
Concernant les cancers, aucune étude à grande échelle n’est disponible. Mais notre logique empirique nous signale une possibilité des soins économiques , en particulier en première intention avant exérèse, et en post-op pendant la phase inflammatoire à soulager.
Jean-Yves Gauchet
Docteur Vétérinaire
gauchet31@gmail.com