Huiles essentielles et antibiotiques ne font pas toujours bon ménage

Des travaux récents démontrent notamment que certaines d’entre elles, comme les huiles essentielles de cannelle et de citronnelle, peuvent interférer avec l’usage des antibiotiques.

Selon une revue de la littérature scientifique publiée en 2019, sur les quelques 250 huiles aujourd’hui commercialisées, une douzaine (lavande, thym, cannelle, arbre à thé, menthe, eucalyptus, sauge, clou de girofle, cajeput…) présente des propriétés antimicrobiennes intéressantes, qu’elles soient antifongiques, antivirales ou antibactériennes.

Soulignons que ces huiles n’ont pas toutes la même efficacité et qu’elles ne sont pas actives sur les mêmes microorganismes. Par exemple, les bactéries à Gram positif semblent plus sensibles aux huiles essentielles que les bactéries à Gram négatif, décrites par l’OMS comme étant les plus hautement résistantes. Enfin, même si l’activité antimicrobienne des huiles essentielles est scientifiquement établie, leur effet est plus modeste que celui des antibiotiques, et les concentrations utilisées doivent être très supérieures.

Parmi les bactéries à Gram négatif les plus problématiques figure, à l’heure actuelle, Pseudomonas aeruginosa, qui est en quelque sorte l’archétype des bactéries résistantes pointées par l’OMS.

Pseudomonas aeruginosa, une redoutable bactérie opportuniste

Grâce à un génome particulièrement grandP. aeruginosa est capable d’adapter son métabolisme à de nombreux environnements, une caractéristique qui lui permet de coloniser des milieux très variés voire hostiles. On la trouve ainsi fréquemment dans les sites humides anthropisés, tels que les siphons d’éviers, les canalisations ou même les piscines.

À partir de ces réservoirs, cette bactérie colonise l’être humain et peut provoquer des infections aiguës ou chroniques chez les personnes présentant des prédispositions : patients immunodéprimés, dénutris, atteints de cancer, brûlés, polyopérés, polytransfusés, intubés-ventilés…

Ce biofilm bactérien est formé de millions de cellules de Pseudomonas aeruginosa. Cette organisation leur permet de coopérer les unes avec les autres, de s’adapter aux changements de leur environnement et d’assurer leur survie. Chaque année, P. aeruginosa est responsable de plus de 700 000 infections nosocomiales rien qu’aux États-Unis. Scott Chimileski and Roberto Kolter, Harvard Medical School, Boston

P. aeruginosa est non seulement responsable d’infections associées aux soins, mais aussi d’infections pulmonaires chroniques chez les patients atteints de mucoviscidose ; elle y trouve en effet un terrain propice à son développement, entraînant le déclin de leur fonction respiratoire et réduisant leur espérance de vie.

Une championne de la résistance aux antibiotiques

Actuellement, la seule stratégie pour traiter les infections à P. aeruginosa consiste en la prise d’antibiotiques incluant un petit nombre de molécules souvent anciennes (aminosides, β-lactamines, fluoroquinolones et polymyxines). Malgré l’efficacité clinique prouvée de ces traitements et le développement récent de nouvelles molécules, l’antibiothérapie peut être mise à mal en raison de l’émergence de mutants résistants.

P. aeruginosa dispose en effet de nombreux mécanismes de résistance : la production d’enzymes inactivatrices d’antibiotiques ou la modification de la cible des antibiotiques (qui empêchent leur fonctionnement), la diminution de la perméabilité membranaire (qui limite l’entrée des antibiotiques dans la bactérie), ou la surproduction de systèmes d’efflux (qui permettent à la bactérie de rejeter les antibiotiques dans le milieu extérieur).

En plus de ces mécanismes intrinsèques, les bactéries peuvent développer des résistances supplémentaires, soit par l’acquisition d’ADN provenant d’autres bactéries, soit par mutation.

En raison de ces résistances, P. aeruginosa est considéré aujourd’hui comme un pathogène opportuniste redoutable, et la recherche d’alternatives thérapeutiques aux antibiotiques conventionnels est encouragée dans les programmes de recherche.

Les huiles essentielles, une arme à double tranchant

Selon plusieurs enquêtes menées entre 2019 et 2023au moins un quart des patients atteints de mucoviscidose déclarent consommer des huiles essentielles, afin d’améliorer leurs conditions de vie, souvent en parallèle à leur traitement antibiotique.

Dans ce contexte, il est donc particulièrement important de comprendre comment interagissent antibiotiques et huiles essentielles. Il s’agit notamment de détecter d’éventuelles synergies, qui pourraient améliorer l’efficacité des traitements pris par les patients ; ou, à l’inverse, de mettre en évidence des antagonismes qui la diminuerait.

C’est, malheureusement, ce second type d’interactions qu’ont révélé les récents travaux menés dans notre laboratoire (thèse de doctorat, Alexandre Tetard). En étudiant les effets de l’huile essentielle de cannelle et, plus particulièrement, de son composé majoritaire le cinnamaldéhyde, sur P. aeruginosa, nous avons constaté que cette substance induisait l’expression de quatre pompes d’efflux différentes chez cette bactérie.

Suite de cet article paru dans TheConversation

Auteure:

Catherine Llanes. Professeur en microbiologie, Université Marie et Louis Pasteur (UMLP)

Publié par

admin1402

Vétérinaire à Toulouse, je gère bénévolement ce blog suite à l'arrêt de parution du journal "paper" Effervesciences" survenue durant la crise covid. Désormais, les infos sont en ligne, gratuietement.