Quand une chenille se transforme en papillon, les modifications tissulaires sont telles qu’il est difficile de croire qu’ils appartiennent à la même espèce, qu’ils partagent les mêmes chromosomes …
Pourtant, même si leur carapace de chitine si bien organisée, avec ces ailes fabuleuses d’ingéniosités aérodynamiques et optiques, n’a rien à voir avec la « mollusquitude » de son état de chenille, même si le régime alimentaire nouveau implique des trompes souples et élégantes plutôt que ces mâchoires broyeuses précédentes, hé bien ces papillons gardent des souvenirs de quand ils étaient tout mous …
Les chercheurs de la Georgetown University ont imaginé une manip simple, et qui est tout à fait démonstrative : sur des chenilles du Sphynx du tabac, ils ont appliqué des électrodes pour leur coller des mini décharges électriques, alors qu’au même moment, ils leur faisaent respirer des odeurs bien particulières.
Ces chenilles , en quelques séances, ont appris à anticiper, et à se recroqueviller d’avance lorsque elles sentaient les odeurs en question. Donc, du Pavlov pur sucre, c’est à la portée du premier vermisseau …
Oui, mais lorsque après métamorphose, donc refonte totale de tous les tissus (dont les tissus nerveux, car l’architecture nerveuse du papillon est calquée sur l’organisation de ses nouveaux organes), le Sphynx tout nouveau tout beau … a gardé ces réflexes de défiance pour ces odeurs.
Donc soit une partie au moins des neurones de la chenille est restée en l’état, avec un contenu mnésique, soit leur mémoire … se situe ailleurs …
En l’occurrence, il semble que ces neurones « à mémoire persistante » puissent se situer à la base des antennes (de la larve comme du papillon), ce sont les neurones ( en anglais, les « mushroom bodies ») totalement dédiés à la reconnaissance des odeurs. Comme c’est bizarre !
Chez les vertébrés (donc chez nous pareil ), ce sont précisément ces cellules olfactives, au ras de nos sinus et déjà dans l’encéphale, qui reconnaissent les odeurs et les expédient pour les stocker directement en zone limbique (donc en zone d’émotion et de mémoire)… mais qui également recèlent un pourcentage important de cellules souches, donc totipotentes, donc qui passeraient à travers une métamorphose en restant elles-mêmes …
Jean-Yves Gauchet