l’alchimie a toujours été considérée comme une activité louche, pratiquée sous le manteau par des individus asociaux et cupides. Difficile d’attacher autant de défauts à Newton, et pourtant …
Car depuis belle lurette, les alchimistes qui s’intéressaient aux origines et aux ressorts de la Vie (un domaine réservé à la reli- gion), mais aussi à la jonglerie possible d’un métal à l’autre, donc à cette capacité à créer des richesses (un domaine réservé aux souverains), étaient en permanence sujet à des tracasseries qui dans les temps anciens conduisaient en enfer … D’où ces précautions naturelles qu’on prend pour des tartufferies.
Si la science a évolué, les esprits n’ont pas forcément suivi, si l’on observe les tourments qui ont accablé certains Benveniste, Beljanski, ou qui sont sur la tête d’un certain Luc Montagnier, protégé jusqu’ici par son prix Nobel.
L’origine même du mot « alchimie » est évanescente : s’agit-il d’une évolution d’un terme égyptien (Ki- miya = terre noire, à rapprocher de l’étonnante « terra negra » amazonienne, que les agronomes du monde entier n’ont jamais su reconstituer), s’agit-il de l’ « alkymia » arabe, qui signifiait « la bonne mesure » ?
Ce qui est certain, c’est que c’est bien au Proche Orient, sans doute sur des bases grecques, que les premiers travaux suivis en laboratoire ont commencé à faire avancer les connaissances.
Le texte fondateur semble dater du IIème siècle avant JC, sous le stylet très hypothétique du gréco-égyptien Hermès Trimégiste : La Table d’Emeraude.
Il s’agit d’un texte court, plutôt un condensé de diverses pensées helléniques, avec des tournures « qui font tilt » encore de nos jours, comme « Ce qui est en bas est comme ce qui est en haut, et ce qui est en haut est ce qui est en bas, pour accomplir les miracles d’une même chose.
Et de même que toutes choses sont sorties d’une chose par la pensée d’un, de même toutes choses sont nées de cette chose par adaptation ».
Vingt cinq siècles plus tard, on y relève les prémices des religions monothéistes, de la Relativité d’Einstein, comme de l’Evolution de Darwin …
On retrouve cet opus comme appendice d’un ouvrage en langue arabe du VI ème siècle, sous la plume de Balinus : « Le Livre du secret de la Création ». Ce livre a parcouru le monde arabe sous le manteau, hérétique qu’il était puisque pourvoyeur de savoir en dehors des révélations divines.
Deux personnages se distinguent parmi les savants de langue arabe : Geber (nom latin de Jebir), auteur d’environ 3000 traités où le contenu n’est pas facilement exploitable, selon son précepte indiquant ouvertement qu’il « occultait l’apparent pour mettre en évidence l’occulté » … Le second est Rhazès (ou Razi), né en Perse mais grand voyageur et organisateur de soins médicaux, il a inventé les premiers hôpitaux. Razhès a développé de nombreux remèdes à partir de distillats végétaux, de sels de zinc et d’aluns, dans un esprit très large d’où il distinguait ses activités d’alchimiste (l’ « astronomie inférieure ») et ses activités d’astrologue (l’astronomie supérieure »). Ce qui nous ramène à la physique quantique …
C’est par l’Espagne et la Provence que se propagent en Europe les préceptes de l’Alchimie. Une Alchimie qui « en l’état de l’art », se donne deux directions principales :
– la purification des substances, en particulier des métaux. On peut parler de pouponnière de la chimie actuelle, même si elle repose sur de grossières erreurs : le soufre, par exemple, est considéré comme l’élément combustible, mâle et primordial, qui avec le mercure de type féminin donne naissance à tous les autres métaux… dont bien sûr l’or, résultat d’une synthèse parfaite.
– L’accès à une situation mentale supérieure, qui permet de commander aux éléments « chimiques », par exemple pour des trans- mutations, mais aussi pour acquérir le Savoir absolu, c’est la quête de l’élixir philosophal.
C’est dans cet esprit que dans un secret relatif, un grand nombre de gens instruits et suffisamment à l’aise pour acquérir matériel et grimoires, se lancent dans cette quête doublement dangereuse, d’une part à cause du contact permanent avec (mercure, antimoine) des substances toxiques ou explosives, d’autre part à cause du caractère satanique de l’objet des recherches.
Cette quête est le plus souvent le fait de solitaires méfiants et peu partageux, mais parfois de groupes éclairés qui préfigurent les encyclopédistes. C’est le cas en Angleterre dans les années 1600 avec le Cercle de Hartlib, où se sont rencontrés ou succédés des figures de l’alchimie, mais aussi des sciences des éléments et de l’esprit, comme Robert Boyle, Issac Barrow ou encore Henry More, qui tous vont tracer des chemins de réflexion dans l’esprit du plus brillant d’entre eux : Isaac Newton.
Newton est le fils né prématuré d’un fermier modeste, et il aurait pu endosser le métier familial, si un oncle citadin n’avait remarqué sa curiosité et sa propension à créer des jouets scienti- fiques (un précurseur des « petits débrouillards ») très élaborés.
Le voilà élève au Trinity Collège de Cambridge où son esprit se développe, jusqu’à obtenir en quelques années la chaire de mathématiques en remplacement d’Isaac Barlow.
Il mène en parallèle ses célèbres travaux sur l’optique, puis sur la gravitation. En 1696, il est même nommé inspecteur de la Monnaie royale, en charge de réformer le système monétaire anglais et de lutter contre les faux-monnayeurs.
Il finit sa vie riche et célèbre, pas du tout inquiété pour les travaux alchimiques discrets qui ont toujours accompagné sa démarche scientifique.
Riche, célèbre… mais discrèt !
Durant deux siècles, les travaux historiques ou scientifiques développés au sujet de Newton ont été soigneusement expurgés de toute description ou allusion à ses travaux d’Al- chimie.
Les choses ont changé en 1936, lorsque le compagnie Sotheby organisa une vente aux enchères de ses textes « non scientifiques ». Apparurent alors les preuves d’un cheminement intellectuel aux racines obscures jusque là enfoui, honteux …
L’économiste Keynes, à la lecture de ces textes, peut alors s’ébaudire : « Newton n’avait pas inauguré l’ère de raison, il était plutôt le dernier des Babyloniens et des Sumériens, le dernier grand esprit qui a contemplé le monde visible et intellectuel avec les mêmes yeux que ceux qui ont commencé à construire notre bagage intellectuel il y a 10000 ans». Une manière emphatique de dire que Newton avait fait avancer nos connaissances en puisant dans ce savoir caché de civilisations disparues.
Car toutes ses recherches s’articulaient à l’aune de considérations que notre science n’a toujours pas digérées.
Lisons cette phrase :
« Tout corps peut être transformé en n’importe quel autre corps et pren- dre successivement tous les degrés intermédiaires de qualités ».
C’est avec cet état d’esprit que Newton a pris à bras le corps l’interprétation de la décomposition de la lumière, comme celle de la gravitation.
Lorsqu’il analyse la réfraction lumineuse à travers un prisme, Newton imagine que la lumière blanche est composée de particules de différentes qualités (en l’occurrence décelables par leurs couleurs), mais qu’on peut les réunir à nouveau (via len- tilles ou prismes inverses) pour retrouver l’essence lumineuse originale. On est là dans un contexte de transmutation. Dans son texte QUERY 22 (long- temps occulté), Newton annonce “le corps épais et la lumière ne sont ils pas convertibles l’un en l’autre, et les corps ne reçoivent-ils pas leur activité des particules de lumière qui entrent dans leur composition ? » Question à laquelle il répond ainsi :
« Le changement de corps en lumière, et de la lumière en corps, est très conforme à la voie de la Nature qui semble se délecter en transmutations ». De telles pensées sont encore incompréhensibles hors du champ de la physique quantique ….
Et Newton ne se limite pas à observer et réfléchir, il agit ! Et met au point des téléscopes améliorés … qui permettront de mieux mesurer les orbites planétaires, donc d’apprécier les lois de la gravitation.
Concernant cette trouvaille fondamentale, Newton a encore chaussé les lunettes de l’alchimiste. Cette démarche a été bien décrite par Jean-Paul Auffray (Newton, ou le triomphe de l’Alchimie, Editions du Pommier) : dans ces années d’ébullition intellectuelle, de nombreux savants sont « sur la piste » de la force de gravitation : Hooke, Halley, ou Wren ont fait les mêmes mesures, ils ont bien repéré qu’une force liait les astres en fonction du carré de leur distance, mais comment comprendre, et donc utiliser un tel savoir ?
Si Halley et consorts raisonnent en astronomes, Newton lui raisonne en alchimiste, mais aussi en mathématicien, où il a un petit coup d’avance : selon lui, sur terre, tous les corps pèsent les uns sur les autres. La lune est un corps, elle pèse sur la terre. Mais en fonction de l’unicité des substances, des corps, donc des éléments de l’Univers, il s’ensuit que tous les corps célestes pè- sent sur la terre, mais également les uns sur les autres. Conclusion logique : la pesanteur s’exerce vers toutes les planètes, universellement. D’où gravitation universelle.
Dans un tel bouillonnement d’idées d’avant garde, il n’est pas étonnant que Newton se soit parfois fourvoyé, ce sera le cas (à moins que de nouvelles donnes scientifiques ne viennent le cautionner) pour l’origine tellurique des métaux.
Fourvoyé dans les métaux …
Comment se fait il que dans le sol, certains minéraux et en particulier les métaux se trouvent sous forme de veines spéci- fiques, mais aux concentrations changeantes ? En particulier le plomb argentifère, dont la composition varie grandement selon les lieux d’extraction : selon la théorie alchimique, le plomb se « bonifie » et devient de l’argent, qui serait sa forme la plus mature, la plus parfaite …
Cette maturation aurait pu s’attacher à toutes substances pour obtenir de fil en aiguille les métaux les plus recherchés. De fait, certaines observations pouvaient troubler : dans certaines galeries de mines, comme Goslar en Allemagne ou Schemnitz en Hongrie, on peut observer des petits bassins bleus contenant du sulfate de cuivre acide . Et si l’on y dépose un objet en fer, celui-ci semble se transformer rapidement en cuivre, lequel se dépose à la surface du fer qui est dissout. En grattant un peu, on aurait pu relativiser l’expérience, encore aurait-il fallu connaître les subtilités de réactions chimiques découvertes cent ans plus tard …
Angélina Viva