Comme chez l’homme, la prévalence du cancer chez les carnivores domestiques a augmenté ces dernières années et l’oncologie vétérinaire se développe de plus en plus face à la demande de soins des propriétaires.
L’objectif de la chimiothérapie conventionnelle est de détruire un maximum de cellules cancéreuses à chaque séance, tout en permettant aux tissus sains de se régénérer entre deux séances. Cette période de repos dure en moyenne 3 semaines.
La chimiothérapie métronomique utilise quant à elle, les mêmes agents cytotoxiques mais Per Os à faible dose et plus fréquemment, à des intervalles variant d’une journée à une semaine. Son objectif principal est de cibler le microenvironnement tumoral essentiel à la survie de la tumeur. Les cellules tumorales sont alors atteintes de manière indirecte.
Les différents mécanismes d’action de la chimiothérapie métronomique
Les agents cytotoxiques utilisés en chimiothérapie sont actifs uniquement sur les cellules qui se trouvent en phase active du cycle cellulaire, c’est-à-dire celles qui sont en train d’entrer en mitose. En chimiothérapie conventionnelle, il est nécessaire de faire rentrer le maximum de cellules en phase active : soit par l’utilisation d’agents recruteurs (agents cytotoxiques comme la vincristine ou la doxorubicine), soit par la chirurgie. De plus, des agents de synchronisation permettent de bloquer les cellules dans une phase donnée du cycle cellulaire. Lors de chimiothérapie conventionnelle, le recours à plusieurs agents cytotoxiques est ainsi nécessaire.
En chimiothérapie métronomique, l’administration de molécules cytotoxiques est régulière, ce qui augmente la probabilité que les cellules soient en phase active, ou dans la phase durant laquelle l’agent cytotoxique utilisé est actif. Cela explique en partie le fait que des molécules utilisées à hautes doses restent efficaces à faible dose. De plus, le recours à des agents recruteurs ou de synchronisation n’est pas utile.
Action antiangiogénique
Lorsqu’une tumeur se développe, un réseau vasculaire dense se met en place autour d’elle, appelé réseau vasculaire tumoral. Ce réseau vasculaire assure la viabilité des cellules tumorales en leur apportant de l’oxygène, des nutriments, des facteurs de croissance et en les débarrassant de leurs déchets. Il s’agit de l’angiogenèse tumorale. Celle-ci, en plus de permettre la croissance de la tumeur primitive, permet également la dissémination des cellules cancéreuses et la formation des métastases. Les cellules tumorales ont la capacité intrinsèque d’augmenter le taux de facteurs pro-angiogéniques et de diminuer celui des facteurs antiangiogéniques par l’expression de divers oncogènes. La formation de nouveaux vaisseaux se fait à la fois à partir des vaisseaux préexistants, par prolifération et migration des cellules endothéliales, et à la fois par différenciation de nouvelles cellules endothéliales à partir de précurseurs venant de la moelle osseuse.
L’effet antiangiogénique de la chimiothérapie métronomique semble permis par plusieurs mécanismes : une action cytotoxique sélective sur les cellules endothéliales, une action ciblée sur les cellules précurseurs des cellules endothéliales, et enfin une augmentation de certains facteurs antiangiogéniques.
Si l’effet antiangiogénique de la chimiothérapie conventionnelle existe du fait de la cytotoxicité non sélective que subissent les cellules endothéliales activées, il est transitoire et insuffisant. En revanche, la chimiothérapie métronomique permet une diminution durable du réseau vasculaire tumoral et cet effet antiangiogénique est son mécanisme d’action principal.
Augmentation de l’immunité antitumorale et diminution de l’immunosuppression induite par les tumeurs
La chimiothérapie métronomique semble capable d’augmenter l’immunité antitumorale. Elle permettrait d’une part de diminuer le taux de LTreg (lymphocytes suppresseurs qui inhibent les LT des tumeurs) et MDSC (cellules myéloïdes immatures inhibant les LT des tumeurs), cellules immunosuppressives dont le taux augmente lors de cancer, et d’autre part, de stimuler l’immunité de l’animal cancéreux par stimulation de la maturation et des fonctions des cellules dendritiques, et par augmentation de l’immunogénicité des tumeurs. Ce mécanisme supplémentaire et non négligeable permet d’améliorer la réponse au traitement. En effet, la réponse immunitaire antitumorale vient aider à la destruction des cellules tumorales par effet cytotoxique des cellules immunitaires. S’y ajoute la destruction des cellules tumorales par apoptose du fait des mécanismes cytotoxiques et antiangiogéniques de la chimiothérapie métronomique.
Action sur les cellules souches tumorales
Il semblerait que la chimiothérapie métronomique, grâce à la combinaison d’effets antiangiogéniques et cytotoxique, soit capable de réduire le nombre de cellules souches tumorales. L’administration d’agents cytotoxiques à faible dose permet également, par des mécanismes non encore compris, de restaurer et de maintenir un état de dormance tumoral angiogénique et/ou immunitaire. La question se pose de savoir si les récidives pourraient être évitées grâce à la chimiothérapie métronomique qui induit à la fois la dormance d’une tumeur et en élimine les cellules souches.
Les différentes molécules utilisées : particularités du chloraminophène (chlorambucil)
En théorie tous les agents cytotoxiques connus pourraient être utilisés en protocole métronomique, mais dans les études vétérinaires publiées les molécules les plus souvent utilisées sont le cyclophosphamide et le chlorambucil.
Le cyclophosphamide est un agent alkylant de la famille des moutardes azotés qui peut s’utiliser soit PO soit IV. Les effets secondaires rapportés lors de l’utilisation en protocole métronomiques sont principalement digestifs (vomissements, anorexie, diarrhée) et urinaire (cystite hémorragique aseptique rétrocédant à l’arrêt du traitement).
Le chlorambucil est un agent alkylant qualifié d’intermédiaire de la famille des moutardes azotés. Sa toxicité est moindre par rapport au cyclophosphamide, il est utilisé PO. Les effets secondaires incluent une neutropénie tardive, progressive, rare et facilement réversible, de rare cas d’anémie et thrombopénie, des troubles digestifs de faible grade (anorexie, vomissements, nausées, diarrhée) et rarement une léthargie. L’utilisation du chlorambucil en protocole métronomique permet avant tout la stabilisation des cancers et parfois des remissions partielles. La chimiothérapie métronomique est donc à utiliser de préférence dans un cadre palliatif car les remissions complètes (et même partielles) sont rares.
Le chlorambucil peut être associé avec des AINS (anti-inflammatoires non stéroïdiens) Cela est peu coûteux et permet d’augmenter l’activité antiangiogénique de la chimiothérapie métronomique, d’autant plus que de nombreuses tumeurs expriment des COX-2. D’autres associations sont possibles, par exemple avec des bolus d’agents cytotoxiques à dose maximale tolérée, en thérapie de maintenance après des séances de chimiothérapie conventionnelle, associé avec de l’immunothérapie ou avec des inhibiteurs des tyrosines kinases (peu utilisé).
Même s’il n’existe pas de consensus concernant les doses d’agents cytotoxique à administrer en médecine vétérinaire, le chlorambucil est généralement utilisé à 4mg/m²/j. A des doses supérieures, cela augmente significativement la toxicité sans augmenter la réponse au chlorambucil. L’administration est généralement quotidienne.
Intérêt et disponibilité de la chimiothérapie métronomique
La chimiothérapie métronomique présente de nombreux avantages comme son administration Per Os simple permettant un traitement à la maison aussi bien chez le chien que chez le chat, son faible coût, sa faible toxicité et sa capacité à maintenir une bonne qualité de vie. Cependant, elle ne permet malheureusement qu’un traitement palliatif. Il arrive régulièrement que la chimiothérapie métronomique soit utilisée en première intention par choix du propriétaire (pour raison financière ou personnelle), bien qu’un autre traitement soit plus adapté.
Afin d’adapter le dosage à chaque animal, il est nécessaire de faire reconditionner le chlorambucil sous forme de gélules. Le chlorambucil étant une molécule CMR (cancerigène-mutagène-reprotoxique), il ne peut être reconditionné que dans des préparatoires équipés et agréés. Il est recommandé aux femmes enceintes et allaitantes, et aux personnes hypersensibles à cette molécule ou aux agents alkylants, d’éviter toute manipulation du chlorambucil. Les gélules peuvent être administrées directement à l’animal, en utilisant des gants et en évitant au maximum de les ouvrir.
Cependant s’il n’existe pas d’autres possibilités, elles peuvent être exceptionnellement ouvertes et le contenu peut être mélangé à un peu de nourriture, moyennant des précautions rigoureuses de la part du propriétaire (port de gant, lavage des mains, etc.). Dans ce cas, le contenu des gélules peut être aromatisé (arome bœuf, thon, poulet, bacon), afin de faciliter la prise spontanée par l’animal. Il est également demandé au propriétaire d’être prudent quant aux contacts rapprochés avec son animal (éviter de se faire lécher par le chien, surveiller les contacts avec les enfants…) et de gérer les excrétas (ramasser les selles, diluer les urines avec de l’eau de javel 5%….).
Article écrit en collaboration avec la Pharmacie Delpech Paris.
Source : MZY Sandrine Thèse Lyon 2017 La chimiothérapie métronomique chez le chien : synthèse bibliographique et étude rétrospective de 44 cas traités à VetAgro Sup entre 2012 et 2016.