Le pétrole vient-il de la vie terrestre, ou bien simplement de l’espace ?

La théorie du « pétrole abiotique », développée jusqu’ici en Europe de l’Est, a pris récemment une consistance particulière : découverte d’hydrocarbures sur les planètes voisines, bizarreries dans les forages sur terre … et l’internet qui s’en mêle …ça valait bien un article dans ce blog….

La question de base est de savoir si le pétrole est exclusivement un « charbon liquide » d’origine biotique, ou bien s’il peut constituer une résurgence à la surface de la Terre, d’hydrocarbures d’origine abiotique comme ceux qui existent sur d’autres planètes ? La réponse est d’importance, car elle conditionne toute notre appréciation des réserves énergétiques en hydrocarbures.

Voyons ce qu’il en est en suivant la conversation de deux protagonistes autour de cette question, que nous appellerons respectivement A, pour Abiotique, celui qui tient pour une origine abiotique du gaz et du pétrole, et B, pour Biotique, celui qui suit la conception dominante des géologues.

A/ Des hydrocarbures, on en trouve sur plusieurs planètes autour du soleil. Alors pourquoi ferions-nous exception ? Je suis certain qu’en cherchant, on va trouver du pétrole partout.. On a à peine foré à plus de quelques km de profondeur, alors en allant plus profond…

B/ En allant plus profond on ne trouvera rien de plus: il y fait trop chaud pour que du pétrole puisse y rester sans se détruire.

A/ Alors il suffit de creuser ailleurs, on va finir par en trouver…. Pourquoi seulement à certains endroits et pas ailleurs ?

B/ Parce que c’est là ou il y avait les poissons…

A/ Quels poissons ?

B/ Ceux qui se sont lentement transformés en hydrocarbures, sous l’influence de bactéries

A/ Tu ne vas pas me faire avaler que le pétrole, c’est du poisson ?

B/ en partie, ce l’a été…

A/ Impossible

B/ Pas du tout: réfléchis ! C’est  grâce à l’action des décomposeurs comme les bactéries, les champignons et les insectes que se forme l’humus, la couche fertile du sol. Les êtres, après leur mort, sont le plus souvent décomposés, et retournent à l’état de matière minérale. Mais ce processus ne concerne pas toute la matière organique: il peut arriver que sa décomposition totale soit empêchée par certaines conditions physiques et chimiques, et que cette matière soit à l’origine de roches particulières, les roches carbonées, comme le pétrole et le charbon

A/  Mais l’humus, ce n’est pas du pétrole: il y en a partout!

B/ Non, hélas, il est même bien rare de par le monde, mais ce n’est pas le problème: l’humus se forme par décomposition partielle de la matière organique, c’est son seul point commun avec le pétrole et le charbon.

A/ Mais dans l’humus on trouve des morceaux de plantes, d’insectes… qui montrent d’où il provient. Ce n’est pas le cas pour le charbon ou le pétrole!

B/ Pour le charbon, la chose est relativement simple: les mineurs qui travaillaient à son extraction y trouvaient parfois des fossiles extrêmement bien conservés, principalement des végétaux ressemblant à des troncs d’arbres, à des mousses et à des fougères. La présence de ces fossiles signalait bien que le charbon était une roche provenant d’un dépôt de matière organique: cette roche a donc bien pour origine une biomasse du passé.

A/  Attention, pipeau ! ce n’est pas parce que je retrouve des fossiles dans le calcaire que cette roche est d’origine biologique!

B/ Et bien si, justement: les calcaires ne sont que cela: des restes d’organismes disparus cimentés par des sels minéraux ayant précipité, le tout compacté et réchauffé! Pour le charbon, l’histoire n’a pas été la même, mais les nombreux fossiles retrouvés justement dans les roches sédimentaires entourant les veines de charbon, et la situation de ces dernières indiquaient qu’elles s’étaient formées par sédimentations successives.

A/ Et ça aurait duré combien de temps ?

B/ Cette transformation est un processus très lent, s’étalant sur des millions d’années. Lorsque des êtres vivants meurent, 99,9 % de leur matière est «recyclée», décomposée.

A/ Et ce 0,1 %, ce n’est quand même pas ça qui suffit à faire du pétrole, non ?

B/ De nos jours, sûrement pas, mais cela n’a pas toujours été le cas: dans des environnements contenant de très nombreux animaux et végétaux, ce 0,1% qui se dépose sans être immédiatement dégradé n’est pas négligeable, constituant des ensembles de masse considérable. En plus, il ne faut pas se focaliser sur ce chiffre qui n’est qu’une moyenne établie dans les environnements actuels:  ainsi, il y a 320 millions d’années, les végétaux présents dans des milieux marécageux extrêmement nombreux et étendus se déposaient dans la vase, formant des dépôts importants qui n’étaient plus en contact avec le dioxygène: l’action des décomposeurs «classiques», nécessitant la présence de ce gaz, devenait donc impossible. Dans ces conditions,  le pourcentage de matière organique «entreposée» sur et dans le sol était bien supérieur à ce qu’il est de nos jours.

A/ Mais en restant à la surface du sol, ces restes vont fatalement finir par être dégradés, même très lentement, non ? Comment veux-tu, en plus, qu’ils soient isolés de l’oxygène de l’air, alors même qu’à l’époque il y en avait davantage dans l’air que maintenant!

B/ On a pu répondre à cette question en observant comment sont disposées les couches de charbon, qui, contrairement au pétrole, n’ont pas bougé depuis leur formation

A/ Ah, parce que le pétrole bouge ?

B/ Oui, comme le gaz, il a tendance à remonter vers la surface et donc à s‘éloigner des lieux où il s’est formé. C’est pour cela que les indications données par des hydrocarbures solides comme le charbon sont précieuses: ces gisements montrent que des dépôts irréguliers et abondants de biomasse ont été recouverts périodiquement, de façon irrégulière, par des sédiments minéraux, comme des coulées de boue par exemple. Ainsi se sont formés des «sandwichs » de déchets organiques (fougères, feuilles, mousses, bactéries, unicellulaires, quelques restes animaux….) séparés par des couches de sédiments minéraux les isolant de l’atmosphère oxydante. De plus, dans les marécages, les eaux pouvaient se révéler anoxiques, favorisant ainsi la conservation des éléments organiques.

A/ Et cela suffit pour former des hydrocarbures ?

B/ Presque! En fait, une première étape est facilement observable et peut même être facilement simulée, c’est la décomposition de la matière organique qui aboutit à la formation de l’hydrocarbure le plus simple, le gaz méthane. Elle se produit près de la surface des marécages. Ce n’est pas pour rien que ce gaz est aussi appelé «biogaz»!

A/ Et  quel en est le principe ?

B/ Simple: tu prends un récipient étanche, genre petit aquarium, et au fond tu disposes des feuilles mortes, de l’herbe… si possible en petits morceaux. Tu recouvres le tout par de l’eau. Ensuite, tu vas mettre le tout à l’abri de l’oxygène, comme c’est le cas dans les tourbières, ou sous la vase des marais: tu recouvres tes feuilles imbibées d’eau d’une couche d’argile (comme celle vendue dans les magasins de bricolage pour les sculpteurs amateurs), bien étanche, puis tu verses lentement un peu d’eau, encore, par dessus, pour isoler le tout. Ensuite, tu places le tout à l’obscurité, à entre 15 et 25 °C, pendant 2 semaines.

A/ et alors que voit-on ?

B/ des bulles de gaz qui remontent à la surface, et la surface de l’eau qui se décore de reflets irisés, comme lorsque l’on verse de l’huile minérale dans de l’eau, ce qui signale la formation d’hydrocarbures. Tu as ainsi fabriqué, principalement, du méthane. Enfin, tu as surtout réuni «en petit» les conditions nécessaires à sa formation: ce sont les bactéries qui ont réellement fait le travail!

A/ Heu, les irisations, c’est déjà des hydrocarbures évolués. Allons, je  veux bien te suivre, mais comment passer du méthane au charbon ou au pétrole ?

B/ Avec de la pression, de la chaleur et du temps! Les dépôts de  matière organique sont comprimés par le poids des couches successives de sédiments et entrainés toujours plus profond, dans des conditions de température et pression croissantes, et toujours en l’absence de dioxygène. Des bactéries ont commencé sa décomposition selon des modalités particulières: des quatre composants principaux de la matière organique (C,H,O et N), il ne va plus rester que H et C, l’oxygène et l’azote étant libérés et utilisés par les bactéries. L’action des bactéries anaérobies (dont le métabolisme ne nécessite pas de dioxygène) aboutit à la formation d’un matériau composé d’un mélange de molécules organiques plus ou moins complexes, que l’on appelle le kérogène.

Il se forme alors des molécules ne contenant que de l’hydrogène et du carbone, autrement dit des hydrocarbures. Selon les conditions, la vitesse et le type de matière organique enfouie, les molécules synthétisées aboutiront à la formation d’un solide stable (le charbon), d’un liquide huileux capable ensuite de remonter vers la surface s’il n’est pas bloqué par certaines roches (le pétrole) ou d’un gaz (le gaz naturel) pouvant lui aussi être piégé dans des roches imperméables. Parfois, ces roches sont tellement imperméables qu’il est presque impossible de récupérer les hydrocarbures qui y sont piégés: c’est tout le problème des gaz dits «de schistes» qui se sont formés dans des dépôts argileux riches en matière organique et qui sont «verrouillés» à l’intérieur de l’argile imperméable qu’il faut parvenir à briser pour l’en extraire.

A/ Ha ha, tu dis bien qu’en fait tout dépend donc de la matière organique enfouie!

B/ C’est exact: le pétrole se forme surtout à partir d’une biomasse d’origine marine, principalement le phytoplancton, alors que le charbon a pour origine des végétaux terrestres comme des mousses ou des fougères.

A/ Mais comme il y a des fougères et du phytoplancton depuis longtemps, la formation du charbon et du pétrole devrait être continue!

B/ Elle l’est, mais en partie seulement. En  effet, pour ce qui est du charbon, les gisements actuels se sont constitués dans des circonstances exceptionnelles, car les zones riches en hydrocarbures ont eu une histoire géologique particulière:  elles ont été à la fois le lieu d’une intense production de biomasse et celui où les conditions d’un enfouissement répétitif de cette biomasse à l’abri du dioxygène ont été remplies. Ces deux conditions se trouvaient validées dans les environnements réunissant un climat tropical, chaud et humide, permettant une croissance rapide de nombreux végétaux, et la présence d’étendues d’eau permettant des inondations et des dépôts de sédiments irréguliers. Les fossiles identifiés correspondant aux marécages tropicaux actuels. À grande échelle, les conditions nécessaires à la sédimentation «conservative» de la matière organique ont été réunies non seulement à des endroits particuliers, mais aussi à des époques particulières, et surtout entre -360 et -300 millions d’années, à une époque justement baptisée carbonifère.

Paysage carbonifère.

A/ et pourquoi juste à ce moment-là ?

B/ A cette période de l’histoire de la Terre se conjuguent un climat tropical propice à la croissance des végétaux de l’époque et touchant de nombreuses terres (Afrique du Sud, Australie, Europe du Nord, Sibérie). Dans les zones alors équatoriales se sont déposées de grandes quantités de matière organique, dans ce qui est aujourd’hui le sud de la Chine, la mer Caspienne et les montagnes Rocheuses des USA. Mais il y avait encore d’autres particularités, comme la formation de marécages périodiquement inondés à cause d’une grande quantité de milieux situés en bord de mer ou de lac, et de variations du niveau des mers, et surtout le développement de végétaux de grande taille fabriquant une molécule nouvelle à l‘époque, la lignine, qu’aucune bactérie ou champignon de l’époque ne pouvait décomposer: cette matière organique s’est donc accumulée et conservée facilement en quantités gigantesques, constituant d’immenses dépôts qui se sont progressivement enfoncés sous le poids des dépôts suivants, entrainant l’ensemble à des profondeurs de l’ordre de quelques km. Ce phénomène, la subsidence, a permis d’exposer les différents dépôts à des conditions de température et pression croissantes.

A/ Donc le charbon, ce sont des végétaux partiellement pourris , comprimés et recuits ?

Fossile de fougère dans un bloc d’antracithe

B/ Oui, c’est ça, en gros. Parfois même les dépôts organiques ont été si importants que des parties seulement des végétaux ont suffi à créer des gisements immenses: il existe, par exemple, des charbons tirant leur origine de dépôts de milliers de tonnes de grains de pollen, et d’autres formés principalement à partir d’algues.

A/ Et le pétrole, lui, serait d’origine animale ?

B/ Pas tout à fait. Le pétrole résulterait plutôt de l’action de bactéries sur des supports d’origine marine, qu’ils soient végétaux (comme le phytoplancton), ou animaux (comme des poissons morts, des larves et autres organismes présents en grande quantité.

A/ Mais comment connaît-on l’origine du pétrole ? C’est un liquide huileux, il n’y a pas de fossiles dedans!

B/ Il y a des fossiles «moléculaires» sous forme de substances qui n’existent que dans les êtres vivants.

A/ par exemple ?

B/ Parmi de nombreuses autres molécules organiques, le pétrole contient une famille de molécules que l’on appelle les hopanoïdes, que l’on ne rencontre que dans la paroi cellulaire de certaines bactéries, dont elles permettent de contrôler la fluidité: Ces molécules, parmi les plus abondantes sur terre, sont de véritables fossiles moléculaires qui, signent l’origine biologique de cette roche.

En effet, il ne faut pas oublier que dans la formation des hydrocarbures, ce sont les bactéries qui sont à la manoeuvre: sur une profondeur d’un kilomètre, ce sont elles qui dégradent la matière organique, utilisant les éléments O et N, et fabriquant le kérogène, résidus de leur action. Si l’enfouissement se poursuit, c’est l’augmentation de température qui va conduire à la formation de proportions différentes de gaz ou de pétrole . Toutefois, si l’enfouissement dépasse environ 4 km, la température est telle que les hydrocarbures sont détruits.

A/ Donc, en fait, qui dit hydrocarbures dit bactéries?

B/ En gros, oui.

A/ Alors comment se fait-il qu’il y ait une bonne part de méthane dans l’atmosphère de Titan (1), autour de Saturne, et même que l’on a détecté ce gaz dans l’atmosphère martienne ? On vient même d’annoncer la découverte de méthane et d’éthane piégés dans des glaces d’origine météoritiques situées dans des cratères voisins des pôles de la planète Mercure! (2)

Vision de Titan, le plus gros satellite de Saturne.

B/ Hum… Et bien… en fait si les hydrocarbures les plus complexes, ceux qui comportent beaucoup d’atomes de carbones, sont fabriqués par les êtres vivants, le plus simple, comme le méthane, à un carbone, et l’éthane, qui en  comporte deux, peuvent aussi provenir de réactions chimiques «abiotiques», c’est à dire où les êtres vivants n’interviennent pas. Toutefois, sur notre planète même l’hydrocarbure le plus simple, le méthane, provient à plus de 90% des processus biologiques, le reste étant surtout dû à l’activité volcanique.

A/ Sur notre planète ? Et ailleurs ?

B/ Les plus simples des hydrocarbures ont été identifiés dans les nuages interstellaires, où ils se forment à partir du carbone et de l’hydrogène présents sous des formes extrêmement diluées, mais très réactives. Comme tu le faisais remarquer, ils ont aussi été découverts dans le système solaire, non seulement au niveau de Titan et de Mars, mais aussi dans l’atmosphère des planètes joviennes.

A/ Je suppose que dans ce cas, les 90% d’origine biologique ne tiennent plus ?

B/ Ce n’est pas si évident que cela. Il est difficile de faire la différence entre le méthane d’origine dite «primordiale», datant de la formation des planètes et produit par des réactions chimiques abiotiques mettant en jeu des minéraux, des radicaux libres ou des éléments présents dans les nuages interstellaires à partir desquels le système solaire s’est formé, et le méthane d’origine biologique, produit par des bactéries vivant en anaérobiose. Cette difficulté est spectaculairement soulignée par le cas de la planète Mars, comme tu l’as souligné.

A/ Tu ne vas pas me dire que le méthane martien est d’origine biologique ?

B/ Honnêtement, après plusieurs années de réflexion, personne ne peut l’affirmer ni l’infirmer. Si on se limite aux faits, le sonde Mars express a permis de découvrir en 2004 dans l’atmosphère martienne une légère quantité de méthane. Comme ce gaz est détruit par les rayons UV solaires, sa production (ou du moins sa libération) doit être récente et continue (il disparait en 200 à 300 ans). De plus, sa production est variable, à la fois dans le temps et dans l’espace, et ce assez rapidement (3). Avant sa découverte, des géochimistes distingués affirmaient que découvrir du méthane serait une trace de vie indubitable. Depuis cette dernière, ils sont subitement beaucoup moins affirmatifs et l’origine de ce méthane est recherchée dans nombre de processus non biologiques (ou abiotiques). Ainsi, il a été proposé qu’il provienne de météorites qui en contiennent (il daterait alors de la formation du système solaire), mais l’apport météorique est trop faible pour expliquer les niveaux de méthane détectés. Des réactions de chimie minérale, se produisant sous la surface de Mars, et nécessitant la présence d’eau, ont alors été évoquées. Toutefois, ni les quantités produites, ni leur vitesse de dégradation n’ont encore pu être expliquées par des moyens non organiques (4), bien que certains soient fortement suspectés.

A/ Comme par exemple ?

B/ Des réactions chimiques impliquant des roches contenant du Fe2+ à haute température. Ce phénomène, en particulier lorsqu’il touche des roches abondantes dans le manteau terrestre, les péridotites, porte le nom de serpentinisation (5), et comporte une formation de méthane. Cette réaction se produit sur Terre à quelques km sous les dorsales ainsi qu’au niveau des sources chaudes sous marines. En fait, c’est du dihydrogène qui est libéré, et qui réagit secondairement avec le CO2 dissous dans l’eau pour donner des hydrocarbures, dont principalement le méthane, mais aussi de l’éthane. Deux des trois sites martiens identifiés comme producteurs de méthane pourraient faire appel à ce genre de mécanisme, si on fait l’hypothèse qu’il existe bien actuellement dans les profondeurs de Mars de l’eau liquide chaude qui circule. On peut aussi faire l’hypothèse qu’il s’agit de «vieux» méthane stocké dans des glaces et périodiquement libéré par le réchauffement du sol induit par les variations climatiques saisonnières, mais dans ce cas le méthane a bien du, maintenant ou plus tôt, être produit!

Il est également possible que les tempêtes de sable et les particules de l’atmosphère provoquent l’ionisation du CO2 et de l’eau, qui se recombineraient ensuite pour former du méthane. On aurait alors une production atmosphérique dépendante des conditions climatiques, et donc rapidement variable, ce qui correspondrait aux observations réalisées.

A/ il y a donc bien des hydrocarbures d’origine non biologique ?

B/ C’est indéniable, mais ce sont les plus simples, contenant un (méthane) ou deux (éthane) atomes de carbone seulement. Pour le pétrole, par contre, la présence d’hydrocarbures très longs et de molécules d’origine clairement bactérienne ne laisse pas planer de doute sur son origine biologique…

A/ Mais ces molécules bactériennes, elles n’auraient pas pu venir après dans le pétrole? Il existe des bactéries profondes dans le sol, le pétrole pourrait les avoir «lessivées» et en garder la trace, elles ne seraient alors que des traces de contamination, et pas des marqueurs d’origine….

B/ C’est une idée intéressante, mais les taux de molécules bactériennes sont bien trop élevées, et bien trop généralement répandus dans tous les gisements, pour avoir cette origine. Ton idée avait déjà été avancée par une ancienne école de chercheurs soviétiques qui pensaient que du pétrole avait pu se former dans les profondeurs de la Terre au cours de sa formation, et remonterait ensuite vers la surface.

A/ Et le pétrole ne remonte pas ?

B/ Si, il remonte , bien sur, comme le gaz, et il ne forme d’ailleurs des gisements que s’il est arrêté dans son mouvement par une roche imperméable, qu’on appelle un «réservoir» pour le pétrole. C’est d‘ailleurs en partie pour cela que l’on peut trouver des gisements à des endroits insoupçonnés; le pétrole et le gaz naturel peuvent migrer loin de leur site initial de formation, suivant les fractures de l’écorce terrestre jusqu’à ce qu’ils trouvent une roche susceptible de les arrêter.

A/ Mais tu as parlé de la serpentinisation, qui forme du méthane. Ce dernier doit aussi remonter à la surface, non? Il ne pourrait pas se transformer au cours de son ascension ?

B/ En effet, il s‘est formé du méthane lors de la formation et du refroidissement de la Terre et des autres planètes rocheuses, et il s’en forme toujours dans les zones d’intense activité volcanique, comme les dorsales. Certes, il remonte, mais même en tenant compte des fortes pressions qui modifient son comportement et sa réactivité, il y a un problème: la température des zones profondes ne permet guère d’aller au-delà de la formation éventuelle d‘hydrocarbures comprenant 3 à 4 pauvres atones de carbone. On est loin des longues chaines carbonées présentes dans le pétrole! Expérimentalement (6), on a pu reconstituer les conditions régnant dans le manteau supérieur (1500°C, 20000 bars), mais on ne peut obtenir dans ces conditions que des gaz comme le méthane, l’éthane, le propane et parfois du butane, ainsi que du graphite et du dihydrogène. De plus, il est très probable que si ce mécanisme a été à l’origine de quantités appréciables de gaz lors de la formation de la Terre, ces derniers se sont depuis longtemps échappés dans l’atmosphère, puis dans l’espace. En tout état de cause, aucun gisement de gaz naturel correspondant à ce type de synthèse abiotique n’a encore été identifié. De  plus, il y a un autre problème spécifique au pétrole.

A/ Lequel ?

B/ La stabilité à haute température: malgré les fortes pressions, si on chauffe trop le pétrole, celui-ci se décompose et finit par se détruire. On ne voit donc pas comment il pourrait non seulement se former, mais aussi seulement subsister à grande profondeur.

A/ Mais que penser de ce drame de la plate forme BP dans le golfe du Mexique ? Il s’agissait bien de gaz, à une pression ahurissante (secret bien gardé), et à très grande profondeur (encore un secret !). Ce gaz qui a failli tout faire sauter, pour toi, il est quand même biotique ?

B/ Il est vrai que le forage de Deepwater Horizon a atteint 9 Km de profondeur, soit plus du double de la limite moyenne de profondeur des hydrocarbures. Mais cela peut s’expliquer par des conditions locales particulières, par exemple par une température profonde augmentant moins vite lorsque l’on s’éloigne de la surface, ou par l’effet de pressions très élevées auxquelles tu fais allusion. Les gaz, aussi, ne comportant qu’un nombre très limité d’atomes de carbone, sont un peu plus résistants aux hautes températures que les huiles. En tout état de cause, des circonstances géologiques exceptionnelles lors de la formation des hydrocarbures peuvent aboutir à des gisements exceptionnels, même si cela ne remet pas en cause le cas de la majorité de ces derniers.

A/ Donc, en gros, les hydrocarbures gazeux pourraient avoir, en théorie, une origine abiotique, bien que cela n’ai lamais été observé en dehors des phénomènes géologiques volcaniques ou dans les réactions de serpentinisation, alors que ceux qui sont liquides, ou a fortiori solides, ne pourraient être que d’origine biologique ?

B/ C’est cela même: le petra oleum des anciens, l’huile de roche, est en fait une huile de vie.

A/ Mais est-ce qu’on ne pourrait pas former, fabriquer du pétrole ?

B/ Oui, du moins en partie: c’est possible à partie du charbon, et il est même possible de fabriquer du méthane à partir du CO2 et de l’eau, et certaines bactéries vivant à haute température pourraient être capables de synthétiser des hydrocarbures en moins d’un siècle au lieu de millions d ‘années, mais pour le moment ces voies de synthèse restent onéreuses, bien qu’étant très étudiées.

A/ mais dans ce cas, on aurait bien du pétrole abiotique!

Roger Raynal

Références

1 – Episodic outgassing as the origin of atmospheric methane on Titan. G. Tobie, J. I. Lunine, C. Sotin. Nature 2/03/2006.

2 – Wired science 29/11/2012 / Talpe, Zuber, Yang, Solomon, Mazarico, Neumann & Vilas. Characterization of the Morphometry of Impact Craters Hosting Polar Deposits in Mercury’s North Polar Region. 2012, soumis au Journal of geophysical research.

3 – Strong Release of Methane on Mars in Northern Summer 2003. M.J. Mumma, G.L. Villanueva, R.E. Novak, T. Hewagama, B.P. Bonev, M.A. DiSanti, A M. Mandell, M.D. Smith. 2009.. Science, vol 323, 1041-1045

4 – Ehlmann, B.L.; Mustard, J.F.; Murchie, S.L. Geologic setting of serpentine deposits on Mars. Geophysical Research Letters 37, 2010.

5 -Franck Lefèvre & François Forget. Observed variations of methane on Mars unexplained by known atmospheric chemistry and physics. Nature 460, 720-723 (6/08/2009)

6 – Anton Kolesnikov, Vladimir G. Kutcherov & Alexander F. Goncharov. Methane-derived hydrocarbons produced under upper-mantle conditions. Nature Geoscience 2, 566 – 570 (2009)