Cette hormone essentielle pour la survie est canalisée normalement dans le contexte d’ une existence naturelle. Notre mode de vie de type « toujours plus » en a dérèglé les équilibres. Et cela met en jeu les fonctions mêmes de l’humanité.
L’Homme a pris conscience de son statut de « petit terrien » à partir du XVème siècle lors des « grandes découvertes » : la terre était ronde, délimitée, mais immense !
On pouvait y appliquer les préceptes religieux de type « croissez et multipliez », accompagnés des principes sociaux de type « enrichissez vous ».
Les bombes atomiques de 1945, anéantissant d’un éclair des portions de cette terre réputée inaltérable, ont d’un coup figé cet engouement euphorique pour le Progrès.
D’autant qu’avec les premiers sauts dans l’espace, ces magnifiques photos de la Terre nous montraient avec moult détails que nous vivons désormais dans un « village terrestre » entourés de voisins immédiats, car au maximum à 12 heures d’avion.
Et parallèlement, les premières alertes de surpopulation et de pollutions s’accumulaient : oui, la terre est petite et on est en train de la saloper.
L’homme est le seul animal qui ne nettoie pas son nid !
Et pourtant, c’est le seul animal à raisonner et retenir, au point d’avoir développé ces magnifiques entités que sont une centrale nucléaire, un cassoulet au confit, la Sécurité Sociale, la pénicilline, l’Iphone ou encore la mission Apollo 11.
Mais aussi c’est le seul animal a avoir élaboré la cocaïne, les obus à l’uranium « appauvri », le fructose de maïs, les plans de licenciements, le fentanyl ou encore la fracturation des sous sols.
L’intelligence et le savoir (Science sans conscience…) ne sont pas des gages de raison et encore moins d’honnêteté.
Là où les grands penseurs nous annonçaient cette vérité selon leur seule réflexion philosophique, nous savons maintenant comment, au niveau de notre cerveau, s’est organisée cette dérive d’égoïsme et d’inconséquence. A la barre des accusés : la dopamine.
La dopamine, hormone de la volonté et du plaisir
La dopamine est un neurotransmetteur du cerveau de la famille des catécholamines, comme l’adrénaline, donc agissant dans un sens essentiellement YANG.
Produite à partir de la tyrosine et la phénylalanine, deux acides aminés rarement en manque, la dopamine renforce les actions bénéfiques indispensables à la survie : manger, se reproduire, se tenir éveillé et se défendre, avec en prime un sentiment de plaisir lorsque elle a « fait son travail ».
Cette sensation de plaisir pourrait se restreindre au « plaisir du travail bien fait », ou bien au plaisir d’avoir séduit, conquis, ou encore au plaisir d’avoir mérité et dégusté une mousse au chocolat…
Mais nous verrons que dans notre monde d’hyper sollicitations, la machine à dopamine s’est dérèglée et que notre véhicule mental est bloqué avec la pédale d’accélérateur constamment enfoncée.
La dopamine est produite dans une région précise du cerveau, tout en haut du tronc cérébral (mésencéphale), donc dans le « cerveau reptilien », celui qui veille et qui fait agir rapidement, le cerveau de la survie.
Elle est distribuée dans différentes régions du cerveau par les ramifications axonales des neurones producteurs, avec des effets différents selon ces zones :
- 1- la voie négro-striale (80% de la production de dopamine) : les neurones de la substance noire du mésencéphale se projettent majoritairement vers le striatum, constitué du noyau caudé et du putamen (voir plus loin). Ce réseau module essentiellement des fonctions motrices : tonus musculaire et gestion des mouvements.
- 2- la voie méso-limbique : les neurones de l’aire tegmentale du mésencéphale se projettent vers le système limbique, précisément vers le noyau accubens, les tubercules olfactifs, l’amygdale et l’hippocampe. On est là en plein dans les régions qui gèrent les émotions, les souvenirs et le plaisir. Ce réseau a été appelé « système de récompense-renforcement » et il participe au contrôle des processus motivationnels et de récompense, et la mise en route de phénomènes d’addiction et de dépendance.
Les substances psychoactives (alcool, cocaïne, nicotine,etc) poussent à la production de dopamine et à leur déversement dans les zones limbiques.
- 3- la voie méso-corticale : issus également de l’aire tegmentale, ces neurones se projettent dans des zones des cortex frontal et ventral, avec un rôle essentiel dans la concentration mentale et des fonctions exécutives comme la mémoire de travail. Par cette voie également, la fonction respiratoire est attisée (analeptique).
- 4 – la voie tubéro-infundibulaire : partant de l’hypothalamus, les fibres se projettent vers l’hypophyse, avec des effets sur la production de prolactine.
Les voies de la dopamine.
En vert, la voie négrostriale (mouvements et stimuli d’organes)
En bleu la voie mésocorticale (attention, mémorisation, apprentissage, émotions)
En rouge la voie mésolimbique (plaisir et récompense, émotions, perceptions, addictions).
La dopamine est à l’origine de deux pathologies chroniques : la maladie de Parkinson (défaut de production dans la voie négro-striale et ses conséquences sur le tonus musculaire et l’humeur), et l’hyperactivité des enfants (défaut de production de la voie méso-corticale et ses conséquences sur l’attention et les rapports sociaux).
L’hormone des sept péchés capitaux
La notion et la désignation des péchés capitaux revient à des responsables religieux, le dernier en date étant Thomas d’Aquin, de l’ordre dominicain.
Si le péché le plus « vilain » était l’orgueil (versus Dieu bien sûr…) , il était convenu par le terme « capital » que chacun de ces péchés pouvait en engendrer d’autres.
Voici le club des sept : l’orgueil, l’avarice, l’envie, la colère, la luxure, la paresse et la gourmandise.
Autant d’attitudes violentes qui se manifestent sur l’instant, pour un bénéfice supposé immédiat et avec une attitude antisociale dénuée de toute empathie pour le voisinage…
La dopamine n’est pas loin derrière…
Car le cerveau humain est programmé pour anticiper et accompagner quelques objectifs essentiels liés à la survie : manger, se reproduire, et mener les autres (et en être gratifié).
Au fil des millénaires, et depuis la méduse jusqu’à nous, les organismes ont par petites touches bâti un système nerveux toujours aux aguets et capable de décisions immédiates pour la survie… mais ces décisions qui prolongées dans le temps devenaient détermination et volonté (on n’est plus dans les péchés capitaux), se sont dévoyéespour devenir des humeurs ou des attitudes nombriliques, voire pathologiques.
Comment en est on arrivé là ?
Rappel sur l’évolution du cerveau : à partir du cerveau primitif (reptilien), tour de contrôle de la survie, s’est organisé (on pense que la bipédie a permis via le foramen crânial une bien meilleure irrigation et un câblage plus performant entre le cerveau et la moelle épinière) un encéphale volumineux (environ 3 à 5 fois le petit cerveau précédent) capable d’analyse et de raisonnement.
Ces deux cerveaux (le spontané et le raisonneur) étant reliés et en collaboration constante pour évaluer le degré d’importance d’une information et la meilleure manière d’y répondre.
Tant que la seule survie était le critère majeur des comportements, ces deux cerveaux jouaient parfaitement leur rôle : l’encéphale trouvait les stratégies pour la nourriture, la guerre, la reproduction, et le tronc cérébral gérait les actions immédiates.
Mais grâce à son intelligence, l’homme a su inventer les procédés techniques et chimiques permettant d’assurer à tout moment l’assouvissement à ces «besoins » basiques. Nourriture, sexe, plaisir et pouvoir, sont à portée de nos sens via mille supports réels (une pizza dégoulinante de fromage, une boisson énergisante, un ticket de grattage) ou virtuels (jeux de guerre, pornogames).
Le cortex a fourni au striatum presque tout ce qu’il désire, sans effort.
Et le striatum ne demandait que cela. En permanence auto entretenu, il a pris la main sur le cortex, on est dans le domaine du « toujours plus » et, plus grave, dans le « après moi le déluge ».
Le circuit auto-entretenu de la récompense
Encore une découverte due au hasard, mais dans le cadre d’un travail très sérieux…
En 1954, deux neurophysiologistes, Olds et Milner, ont démarré une manip sur des rats de laboratoire : ces petits rongeurs avaient leur cerveau implanté de micro-électrodes, et on pouvait observer leur réaction à la douleur lorsqu’on envoyait des micro décharges (douloureuses) dans différentes zones du cerveau.
Ces décharges étaient envoyées lorsque les rats s’approchaient d’une certaine zone de leur parcours. Et de fait, une majorité de rats s’en éloignait au fil des expériences. Sauf certains, qui au contraire, semblaient trouver un intérêt, et même un intérêt croissant, à revenir dans cette zone, donc à en apprécier les décharges concomitantes…
Des rats sado-masos ?
En examinant mieux l’emplacement des électrodes chez ces rats « pas comme les autres », les chercheurs ont constaté que chez ces rats, les électrodes avaient été mal placées, ou bien avaient migré depuis le cortex externe (but de l’expérience) vers une région centrale du cerveau appelée noyau accubens, c’est à dire une partie du striatum où est libérée la plus grande quantité de dopamine. Donc dans ce cas, pas de douleur, mais une bouffée d’énergie et de plaisir.
La dopamine ! On y était !
Les chercheurs ont alors proposé ce schéma du circuit de la récompense, qui suite à une sollicitation nerveuse de certaines zones (provenant de sources visuelles, auditives, gustatives, olfactives), provoque une décharge ponctuelle de dopamine, avec une satisfaction immédiate, mais aussi une recherche instinctive et forcenée d’autostimulations successives de ce système de récompense : le phénomène d’addiction était ainsi démontré et compris dans son ensemble neurologique.
Ces expériences sur des rats ont été suivies par des applications sur l’homme lui-même, en particulier dans des cas de dépression (où la dopamine est en jeu). Des stimulations en diverses zones du cerveau ont donné lieu à des comportements d’extase et en retour, de recherche effrénée de ces mêmes sensations.
Puis on a découvert les récepteurs de dopamine et d’autres neurotransmetteurs, leur nombre et leur localisation, et les effets particuliers de diverses substances comme la nicotine, la cocaïne, ou encore le sucre, mais aussi les effets de situations mentales dans les domaines du sexe, du danger, du gain pécunier, de la compétition sociale (dans le sport, dans l’entreprise), etc
Quelles émotions entraînent quels plaisirs, et comment ces derniers ne sont plus contrôlés par notre encéphale « raisonnable », mais au contraire débordés par les pulsions du « toujours plus » du circuit de la récompense…
Un des domaines où le phénomène est évident, c’est celui de la nourriture…
Nos lointains ancêtres chasseurs cueilleurs ne savaient pas mettre en réserve des aliments : lors de périodes fastes, ils consommaient un maximum de nourriture pour « tenir le coup » durant les jours suivants en possible disette.
Et l’Evolution a favorisé celles et ceux qui étaient capables d’absorber le plus de nourriture, soit en s’imposant par rapport aux autres, soit par leur capacité d’appétit sans être rassasiés, puis en transformant des repas en réserves musculaires et graisseuses.
L’Evolution a donc favorisé les humains gourmands, goinfres et capables d’accumuler du gras !
Une logique de survie implacable, mais d’un autre temps !
Notre mode de vie ignore la disette (nb : nous évoquons ici la population moyenne ; il est certain qu’une fraction non négligeable de nos contemporains peut être victime de malnutrition quantitative ou qualitative).
Nous sommes calés sur trois repas quotidiens plus le grignotage, et en prime des boissons sucrées qui au total vont déborder de 20 à 30% de nos besoins énergétiques réels.
Oui, mais quel plaisir de s’empiffrer en continu avec des aliments aux saveurs toujours plus puissantes, salées, ou sucrées, ou poivrées, ou vinaigrées, ou encore mieux tout à la fois.
Autrefois, un plat culinaire comportait au maximum trois saveurs et deux textures. Tout était dans la qualité des ingrédients et les modalités de cuisson. Maintenant, c’est la course aux multiples saveurs et à l’empilement des constituants.
Quand les fonctions sexuelles s’emballent.
Voici une seconde fonction « normale » qui va se trouver surexcitée quand la dopamine s’en mêle.
Là encore, revenons aux fondamentaux.
Dans toutes les espèces, on trouve des « dominants », chez les mâles, qui vont s’affronter dans le but principal de « couvrir » le maximum de femelles et donc de s’assurer une descendance plus nombreuse que les autres.
Parallèlement, chez les femelles, certaines ont des qualités maternelles plus développées que la moyenne, et avec elles, les petits seront mieux nourris, mieux protégés : ils auront un taux de survie supérieur.
Ainsi, l’Evolution a favorisé les hommes les plus ardents, voire les plus violents sur les plans sexuel et social, et les femmes les plus bienveillantes pour leur progéniture et qui de ce fait, recherchent la protection des mâles précédents.
Il y a une corrélation entre les critères sexuels et le statut social : plus ce statut est élevé, avec donc la notion de pouvoir acquis et à conserver, plus le cerveau est riche en récepteurs de dopamine… ce qui entraîne une propension parallèle à rechercher la séduction et la récompense… dans le domaine sexuel. Et comme ça tombe bien, puisque les « puissants » auront plus de facilité à protéger sinon leurs conquêtes, mais leurs progénitures communes.
Mais encore mieux, ces puissants séducteurs sauront séduire les femmes les plus désirables, sans doute les mieux pourvues esthétiquement, ce qui donnera des rejetons à la fois sensibles à la dopamine, et plus beaux que la moyenne. De quoi entretenir une lignée toujours plus sensible à la dopamine.
Les « affaires » de type #balancetonporc ont bien mis en évidence le coté institutionnel de ce mélange sexe/puissance sociale. Ce qui s’appelait furtivement « promotion canapé » est mis à jour comme un système implacable désormais judiciarisé.
Quant aux laissés pour compte du statut social et de la séduction, ils se font tout petits, quitte à se révolter un jour.
Dans son ouvrage « Le bug humain », Sébastien Bohler nous décrit ce qui se passe chez les poissons de type Burtoni : en période de frai, les mâles se livrent à des épreuves de dominance, voire de combats physiques. Après quelques minutes, la confrontation s’arrête, avec un vaincu qui s’éloigne avec un tégument grisâtre et en quelques jours, une atrophie testiculaire.
Tout au contraire, le mâle vainqueur de cette confrontation voit ses nageoires et ses écailles prendre des couleurs éclatantes (action immédiate des catécholamines, comme pour le tégument des poulpes, voir notre numéro précédent), mais son hypothalamus ne tarde pas à produire une hormone adéquate, la gonadostimuline, qui va provoquer le développement des testicules et la production de spermatozoïdes, et il est temps car les femelles jusque là indifférentes, se rapprochent alors de ce vainqueur gonflé, coloré et sans doute emprunt d’odeurs sexuelles.
Rapport évident avec les comportements des humains, tous sexes confondus.
L’homme dominant n’a pas de peau multicolore, et d’ailleurs il ne cherche pas le combat pour exprimer sa force physique et sociale.
Mais il peut acquérir des attributs de puissance.
« Celui qui n’a pas sa Rolex à 50 ans n’a rien fait de sa vie », cette phrase emblématique d’un publicitaire des années 80 montre bien que « chez ces gens là », les attributs sociaux (Rolex, Jaguar, Cerruti, Burlington, Deauville, etc) sont un passage obligé pour renforcer ou pour affirmer une capacité de pouvoir par l’argent.
Avec les publicitaires qui poussent à la roue puisque « vous le valez bien », mais qu’il en faudra toujours plus pour assurer l’entourage de la réalité de votre puissance.
Toujours plus, c’est toujours plus d’équipement, toujours plus cher (celui qui a roulé en Porche ne roulera plus jamais en Renault !), et avec un taux de renouvellement accéléré : les couturiers, qui avaient traditionnellement deux à trois collections par an, sont bousculés par les petits nouveaux qui lancent une collection mensuelle, et ça marche puisque toutes ces nouveautés sont acquises d’un clic sur internet.
Les neurones du moindre effort.
Bien : nous avons évoqué les rapports entre la dopamine et la gourmandise, la luxure, et l’orgueil, trois péchés capitaux de première importance.
Quid de la paresse ? La dopamine, qui est un accélérateur des comportements, peut-elle aussi agir en sens inverse, pour nous rendre apathiques ou négligents ?
Pour Sébastien Bohler, il faut aller chercher s’ils existent des neurones du moindre effort.
Et effectivement, on les a trouvés.
Ou plus exactement on a fait apparaître qu’il existe en parallèle avec le circuit de la récompense un circuit de la spéculation, qui avec les mêmes informations, détermine si pour obtenir la récompense (via la dopamine), l’énergie à dépenser est trop importante. Il ne s’agit pas de paresse, mais de calcul du rapport coût/bénéfice, qui est une valeur déterminante en terme de survie (toujours ces mêmes critères biologiques de base…).
Précisons qu’il s’agit là de circuits dopaminergiques du cerveau limbique, c’est à dire dans le domaine de l’inconscient : le cerveau « raisonnable » des hémisphères cérébraux n’agit en rien à ce niveau.
On peut faire une comparaison (osée) entre ce double circuit plaisir/détachement interne au cerveau, et le double circuit sympathique/parasympathique qui parcourt tout l’organisme.
Dans les deux cas, un équilibre se maintient pour la survie et la santé de l’individu, mais la vie moderne impose pour l’un un surcroit de plaisir/récompense, pour l’autre un stress permanent par production continue d’adrénaline et de cortisol.
Car désormais, il existe mille pistes pour se donner un statut social (donc une récompense modeste et vaine, mais tangible) sans faire de réel effort : se mettre en avant sur facebook et récolter des « like » en plaçant des photos de chatons mignons ou avec la photo d’un plongeon dans la piscine du beau-frère, en portant des nike ou avec le tatouage d’un ours polaire en perdition…
Les réseaux sociaux ont supplanté la télévision, car d’une passivité devant la même lucarne, on se prend à devenir des héros en temps réel et acquérir un statut social virtuel et éphémère, mais qui vous tient en haleine jusqu’à tard dans la nuit.
Un cerveau dévoyé dès l’enfance.
Et cette quête d’un statut social supérieur (aux autres…) est mise en route dès le plus jeune âge, avec une emprise de temps toujours plus longue (toujours plus), c’est à dire à l’école (en récré, tu sors ton portable…), à la maison (à table, range ton portable !), et tard le soir.
Alors qu’il faut sept ans pour une myélinisation complète des neurones (donc une capacité complète du cerveau à interpréter son environnement), mais dix ans de plus pour acquérir les savoirs de base pour toute la vie, enfants puis ados mettent de coté les hémisphères cérébraux de la culture et de la raison, pour exciter en permanence le cerveau interne des émotions et du plaisir.
Rajoutons à cela les grignotages et les biberonnages sucrés qui remplacent les vrais repas tout en entretenant incessamment des poussées de dopamine supplémentaire.
Un déséquilibre patent qui se retrouve dans les 15% d’analphabètes et 10% de psychotiques en fin de parcours scolaire.
Mais que font-ils de toutes ces informations qui leur parviennent en flux tendu 15 heures par jour ?
On en arrive à évoquer une nouvelle maladie neuro-métabolique : l’infobésité.
Là où il a trente ans, on recevait (via une recherche personnelle) trente ou cinquante informations chaque jour, qu’on prenait le temps d’analyser pour les apprécier et éventuellement les mémoriser, c’est maintenant un flot continu de milliers de textes et principalement de photos et vidéos qui se déversent quotidiennement via les mini-écrans.
La curiosité qui guidait nos recherches, était elle aussi basée sur la survie : surveiller, faire le tri, comparer, garder les bons « inputs » et oublier le reste.
Désormais la survie est hors de propos. C’est le plaisir immédiat de s’affirmer en effectuant les plus de contacts possibles, à une cadence toujours accélérée.
Et cette surabondance d’informations fatigue le cerveau, en parallèle avec des insomnies récurrentes : on a de plus en plus de mal à se concentrer et même à suivre un événement ou une tâche scolaire ou professionnelle.
Autrefois, il était admis que les élèves « décrochaient » en cours au bout de 45 minutes, d’où des tranches d’enseignements de même durée et des pauses ou récréations calées sur ce principe. Actuellement, l’attention se relâche bien avant le premier quart d’heure et les enseignants peinent à faire pénétrer le savoir.
C’est d’ailleurs le cas pour tous les « apprenants », dont les conférenciers lors de réunions et colloques.
Récemment, au cours d’une « mise à jour » professionnelle en tant que vétérinaire, j’ai participé à un nouveau type de conférences, particulièrement innovant et efficace : tous les quart d’heure, le conférencier allumait la lumière, envoyait une musique chaude et rythmée, et sur écran apparaissait un résumé des 15 minutes de la présentation passée, puis trois questions auxquelles il fallait répondre anonymement via des zapettes prêtées pour la soirée.
Impossible de dormir dans son coin ! Et un réel intérêt pour le sujet. Je pense que ce modèle de cours change vraiment la donne et squeeze les neurones du moindre effort pour au contraire solliciter le plaisir d’apprendre et la gratification du nouveau savoir.
Où est passée la patience ?
Ainsi, nous voilà toutes et tous « drogués » à la dopamine dans un tourbillon de « toujours plus » au delà du raisonnable.
La notion de temps s’est raccourcie et la patience n’est plus de mise. C’est l’instant qui compte, ce qui correspond à une régression, une infantilisation de nos cerveaux qui revivent le « tout et tout de suite » de la période d’avant « l’âge de raison » fixé aux 7 ans d’âge… une sacrée régression.
Toute action se conçoit comme une urgence. Un repas livré par un esclave cycliste en 15 minutes, des soins médicaux forcément immédiats, le temps « accepté » pour rafraichir une page web n’est que de deux secondes… et l’on ne supporte plus des informations trop longues : le format des « brèves » comme des vidéos s’est raccourci de moitié en dix ans.
A ce sujet, petite digression : comment calmer un enfant qui fait son caprice et exige quelque chose d’immédiat ? On se place devant lui, très sérieusement et on reprend sa demande, en lui demandant : ton problème, il est grave, un peu grave, ou très grave ?
Tout en prenant en compte sa demande immédiate, on le force à solliciter « comme un grand » son cerveau raisonneur et on le libère de l’emprise colérique du cerveau dopaminisé.
Cet exercice de gestion est efficace, vous ne manquerez pas d’occasions de le constater …
Mais est-il transposable aux adultes ?
Le débat au début du mouvement des gilets jaunes était cristallisé sur ce thème « Fin du monde ou fin de mois ? ». Entre un sinistre futur de notre planète et les problèmes immédiats de milliers de familles précarisées, l’immédiateté a pris le dessus. Car la colère, encore un péché capital, repose sur des frustrations lorsque la dopamine des exclus s’essaie de prendre le pas sur la dopamine des nantis…
Aussi, comment s’y prendre pour contrecarrer ces excès de neurotransmetteurs et revenir à des comportements plus sains ?
La solution la plus simple consisterait à contrôler, voire interdire tous les comportements déviants, qui mettent en route ces excès de dopamine.
Trop simple et impossible, car la dopamine est une hormone vitale sans laquelle nos fonctions s’éteignent.
Impossible car on le sait depuis des siècles, l’homme s’est façonné comme un prédateur de la Nature et de ses contemporains.
Si les Anciens de tous les continents ont adoré des dieux eux-mêmes jaloux, pervers et colériques, on aurait pu espérer que les monothéismes apportent un peu de sérotonine, voire d’ocytocine dans cet océan de dopamine…
Peine perdue, chaque Dieu Unique est Lui-Même intransigeant et exige de ses croyants des actes de conquête et de domination.
Si la prière et le recueillement sont effectivement des moments de neutralisation des outrances dopaminergiques, ce ne sont que des trêves momentanées, et la vie trépidante a tôt fait de relancer la machine infernale.
Tous les interdits ont été détournés, de tous temps, qu’ils soient sociaux ou sexuels, d’autant plus détournés désormais que, après l’imprimerie qui avait ouvert les esprits, puis la radio et la télé, internet apporte des sollicitations gratuites, permanentes et sans limites morales.
Que faire de nos libertés ?
L’Homme s’est battu des siècles pour obtenir des libertés individuelles que nous avons désormais bien du mal à gérer.
Le XXIème siècle sera spirituel ou ne sera pas ! Malraux croyait-il que l’Homme pourrait modifier ses structures mentales et ses normes physiologiques ?
Sébastien Bohler, toujours lui, voit nos contemporains glisser vers trois attitudes :
- le repli identitaire, en soi une régression mentale et sociale génératrice de conflits à tous niveaux. Dopamine dominante, par pulsions récurrentes.
- Le déni des réalités et la fuite dans l’univers de la consommation. C’est la voie la plus empruntée, la plus facile. Dopamine dominante, en permanence.
- Le repli sur soi-même, avec une obsession de la forme, la santé, et un challenge permanent contre la maladie et la mort. Pas beaucoup d’empathie et quelques poussées de dopamine pour se comparer aux autres…
On pourrait également évoquer le « sursaut vert » des mouvements citoyens, mais on les sait manipulés par le système qui sait récupérer et valoriser chaque avancée technique ou psychique.
Un constat bien amer pour nos années futures…
Jean-Yves Gauchet
A lire également: “Et le cerveau diminua”
Source: LE BUG HUMAIN, par Sébastien Bohler, Editions Robert Laffont.
Rédacteur en chef du magazine Cerveau et Psycho, ce chercheur en neurosciences apporte dans l’ouvrage ses observations sur l ‘évolution du cerveau humain et le devenir de notre génération. Hyperconsommation, démographies inégales, égoïsmes identitaires, les constats ne sont pas bien optimistes. Mais pour soigner le malade, il faut bien l’ étudier, c’est chose faite avec ce livre.