Longtemps considérées comme dévolues à l’hémostase permanente dans les circuits sanguins, les plaquettes (ou thrombocytes) sont désormais comprises comme des éléments essentiels du système immunitaire, capables (bien qu’anucléées) de fournir à l’organisme des facteurs biologiques indispensables.
La cicatrisation fait partie de ces capacités si primordiales et omniprésentes… qu’on ne la remarque même plus. À la moindre coupure ou écorchure, à la moindre plaie, les plaquettes sanguines s’activent à sa cicatrisation et, y arrêtant les saignements tels des pansements physiologiques, nous empêche de nous vider de notre sang.
En termes scientifiques, on parle de « maintien de l’hémostase ». Ce système n’a qu’un seul inconvénient : lorsqu’il fonctionne trop bien, il peut jouer contre nous et générer des thrombus, sortes de caillot en mouvement qui risquent d’entraîner des crises cardiaques et des accidents vasculaires cérébraux.
Malgré une fonction aussi importante, les plaquettes ont longtemps été reléguées aux oubliettes.
Le sang est pourtant l’un des tissus (liquides) les plus étudiés. Depuis les globules rouges et leur fonction bien connue de transport de l’oxygène vers tous nos tissus et organes, jusqu’aux globules blancs, qui constituent les différentes lignes de défense de notre système, en passant par le plasma et sa cohorte de protéines, de lipides, de nutriments et de minéraux.
Dans un tel amas cellulaire, il n’est finalement pas si aberrant que ses plus petits membres se soient trouvés négligés. D’autant que les plaquettes sont non seulement petites, mais elles ne sont pas gratifiées du rang de cellule, étant dépourvues de noyau et donc d’ADN. D’une certaine manière, elles sont en effet de simples fragments de cellules, des « poussières de sang », comme elle furent décrites à leur première observation.
Mais attention car, loin d’être un inconvénient, l’absence de noyau se traduit par un espace plus important pour stocker toutes sortes de protéines, tant à l’intérieur qu’à leur surface. De plus, leur petite taille leur donne suffisamment de souplesse pour pouvoir se glisser dans les recoins les plus étroits et les plus cachés de notre corps.
Une non-cellule très polyvalente
Nous avons plus d’un trillion de plaquettes en circulation et, étant donné que leur durée de vie est d’à peine une semaine, notre moelle osseuse est chargée de les produire au rythme d’un milliard par jour.
Il y a quelques années seulement, la communauté scientifique a commencé à se demander comment il était possible que les plaquettes, si nombreuses, soient uniquement dédiées à la coagulation. L’hypothèse selon laquelle elles pourraient jouer des rôles supplémentaires a peu à peu fait son chemin et les chercheurs les ont alors découvertes dans des situations, tant physiologiques que pathologiques, auxquelles elles n’avaient jamais été associées.
Ainsi, alors que nous pensions tout savoir sur elles, une myriade d’articles ont montré que nous les avions sous-estimées. Que les plaquettes possédaient en fait toute une vie secrète qui nous avait jusque-là échappé.
Membres de la patrouille immunitaire
Pour commencer, les plaquettes jouent un rôle majeur dans l’inflammation et la réponse immunitaire. Grâce à leurs inlassables patrouilles dans le sang, elles sont parmi les premières à remarquer si des agents étrangers (virus ou bactéries, par exemple) causent des dommages. Lorsque cela se produit, elles libèrent une pléthore de molécules qui induisent une inflammation dans la zone et alertent les différents intervenants du système immunitaire du danger.
De plus, elles participent très activement à leur élimination, soit en collaboration avec les globules blancs, soit seuls. Ce rôle est également une arme à double tranchant, puisqu’elles ont été liées à l’origine et à l’évolution de certaines maladies auto-immunes, telles que l’athérosclérose ou la polyarthrite rhumatoïde.
Leur grosse cargaison moléculaire est également multi-fonction : les quelques 4 000 protéines différentes qu’elles charrient peuvent être libérées ou retirées de la circulation sanguine, selon les besoins du moment. Les mieux étudiées sont les facteurs de croissance, qui interviennent dans des domaines aussi variés que le développement embryonnaire ou (médecine régénérative), dans la reconstruction de tissus endommagés après une blessure, et même au niveau neurologique.
La cargaison plaquettaire comprend également de la sérotonine, impliquée dans la promotion de la régénération du foie lorsqu’il a été endommagé ou partiellement éliminé. C’est d’ailleurs la présence de sérotonine dans les plaquettes, ainsi que d’autres protéines (rééline, peptide β-amyloïde) typiquement associées aux neurones, qui a été utilisée pour établir l’hypothèse d’un lien entre les deux, la première étant le miroir de ce qui se passe dans la seconde.
Une cape d’invisibilité pour le cancer ?
Enfin, on ne peut négliger le possible rôle négatif des plaquettes dans le cancer, plus précisément dans les métastases. Les cellules tumorales qui se déplacent dans le sang à la recherche d’un nouvel organe à coloniser ont un taux de survie extrêmement faible. Cependant, nos plaquettes seraient prêtes à leur prêter main forte, en se collant à eux et en les entourant, comme une sorte de cape d’invisibilité, empêchant les cellules du système immunitaire de les détecter et de les éliminer.
Non contents de cela, elles favoriseraient leur transfert du sang vers un nouvel organe. En plus de créer un environnement favorable aux cellules cancéreuses après leur installation, elles pourraient contribuer à la croissance de nouveaux vaisseaux sanguins (angiogenèse) qui les alimentent en oxygène et en nutriments.
En bref, au cours des dernières années, l’étude des plaquettes nous a permis de découvrir qu’elles sont impliquées dans un bien plus grand nombre de fonctions que nous ne le pensions, tant au niveau de la santé que de la maladie. Cela en fait non seulement des acteurs très importants pour la recherche, mais aussi des cibles potentielles et des facteurs thérapeutiques, avec la possibilité d’aider un nombre important et diversifié de patients.
Auteur: Patricia Martínez Botía
Investigadora predoctoral Severo Ochoa en Biomedicina. Grupo de Investigación en Plaquetas, Instituto de Investigación Sanitaria del Principado de Asturias (ISPA) y Universidad de Oviedo., Universidad de Oviedo