Le sommeil, ce n’est pas du repos !

Le sommeil est un domaine de notre physiologie qui suscite encore bien des interrogations. Il a fallu aux scientifiques détricoter bien des légendes ou croyances pour entrouvrir les portes de ce continent inconnu, pour en noter les caractéristiques qualitatives et quantitatives. Et chaque découverte relance dix questions supplémentaires …

Article 1: le ou bien les sommeils  Article 2 (à venir): le sommeil, un sujet médical.

 

Le sommeil se comprend à travers ses extrêmes : la béatitude de ceux qui « dorment comme des bienheureux », et au contraire l’enfer des insomniaques ou des cauchemardeux … Au milieu, les 90% de gens « normaux » à qui il faut « la dose » de sommeil qu’on présente comme un repos réparateur.

Le sommeil correspond à un  état naturel de perte de conscience (mais tout en gardant des capacités sensitives) du monde extérieur, accompagnée d’une diminution progressive du tonus musculaire selon des intervalles réguliers. L’alternance veille/sommeil correspond à un des cycles fondamentaux des êtres vivants : le cycle circadien, avec chez l’adulte  environ 1/3 du temps consacré à dormir.

Le sommeil est à distinguer de l’inconscience (ou coma) par la préservation des réflexes et par la capacité de la personne endormie à réagir à la parole ou au toucher.

Quand on est privé de sommeil, expérimentalement ou dans la vraie vie, certains symptômes se déclenchent, et en fait dès le premier jour :

  • une somnolence diurne avec épisodes de micro-sommeils de très faible durée.
  • Une baisse de l’attention et des performances cérébrales.
  • Un changement d’humeur avec irritabilité.

En fait, il est difficile à quelqu’un de déterminer sa quantité de sommeil effectif. En particulier lorsque des périodes d’insomnie qui semblent bien longues, sont en fait  ponctuées de très nombreux micro sommeils de quelques minutes.

Mais lorsque quelqu’un est privé de sommeil (nuit blanche ou jetlag de voyage), le temps de sommeil profond est augmenté la nuit suivante, on parle alors de récupération.

L’ensemble de notre activité physiologique est rythmée par des cycles (annuel des saisons, menstruel chez la femme, journalier ou circadien) qui sont corrélés aux variations de température du corps, aux alternance veuille/sommeil, aux productions hormonales et aux édifications de tissus : le sommeil se situe nettement comme une phase « yin », avec un ralentissement du catabolisme (repos) et une mise en route des phénomènes d’anabolisme, de création de matière, d’édification des tissus.

D’où l’intérêt d’un sommeil sans faille chez les enfants et adolescents qui se construisent.

Une horloge interne toujours pas bien comprise, se cale sur la lumière du jour pour imposer le rythme circadien, mais elle a son propre tempo en l’absence de repères extérieurs (vie nocturne, astronautes), par l’action simultanée de l’hypothalamus et l’épiphyse (ou glande pinéale) qui produit « l’hormone du sommeil », la mélatonine.

Un état de déséquilibre permanent.

Avant l’invention de l’électro-encéphalogramme, il n’était pas possible de connaître les intensités du « travail » cérébral pendant toute la durée d’une nuit de sommeil.

La mesure de l’intensité électrique à la surface du cerveau permet en effet de capter l’activité des neurones sous-jacents.

C’est ainsi qu’on a déterminé diverses phases, avec les dénominations de sommeil lent (activité électrique à cycles lents), et de sommeil court (activité électrique à cycles courts).

Le schéma ci-dessus nous montre l’activité cérébrale lors d’une nuit :

Après l’endormissement, le sujet tombe vite dans un sommeil profond selon quatre étapes (stages), puis son activité s’accélère pour atteindre une phase de sommeil rapide ou paradoxal (REM=Rapid Eye Movement) au cours de laquelle les yeux sont agités de mouvements. C’est pendant cette phase cérébralement très active que se mettent en route les rêves.

Au cours du sommeil lent, les yeux se ferment, les muscles se relâchent. La phase 4, de relâchement maximum, a lieu en début de nuit.

Le sommeil rapide se met en route de quatre à six fois par nuit, avec une intensité et une durée qui augmentent au petit matin : de fait, on se repose mieux lors du « premier sommeil », alors que l’activité onirique est maximale en fin de nuit.

Quand se situent les rêves ? Sans aucun doute pendant le sommeil paradoxal : les sujets réveillés au cours du sommeil paradoxal se souviennent avec beaucoup plus de détails de leur rêve, tandis que si on les réveille pendant leur sommeil lent, les souvenirs sont alors très flous. De même, les rêves sont corrélés aux mouvements des yeux… qui n’ont lieu que durant le sommeil paradoxal.

Ce tableau décrit une nuit « tranquille », sans épisodes de réveils d’origine extérieure (bruits, écoute nocturne de la TV). Mais si des incidents viennent réveiller le sujet en cours de sommeil, les phases de sommeil profond du début de nuit seront perdus, les phases suivantes seront celles du petit matin, moins favorables à la récupération.

Si l’on retient le cycle circadien (mesuré à 24,5 heures, donc un rattrapage quotidien doit se faire)  pour l’alternance veille/sommeil, on parlera de cycle ultradien pour l’alternance sommeil lent/ sommeil paradoxal.

Avec l’âge, on dort autrement…

Chez les bébés, le temps journalier de sommeil est de 15 à 20 heures, mais ce temps diminue graduellement au cours de l’enfance (environ 10 heures à 10 ans, 8 heures pour un ado), pour se stabiliser à 6/7 heures à l’âge adulte, puis à moins de 6 heures chez les personnes âgées.

Mais chez les séniors, dont l’activité diurne est très limitée, l’assoupissement spontané sous forme de micro-sommeils, généralement en regardant la télévision, fausse les calculs ou tout au moins le bilan du sommeil : ces personnes qui se réveillent tôt en cours de nuit, ont en fait un temps global tout à fait normal, avec une différence importante : beaucoup de micro-sommeils ne font pas un grand repos, les phases de sommeil profond sont déficitaires.

Un facteur, peu mis en avant tout au moins en France, est le type d’activité du sujet au cours de la journée. Si l’on a bien documenté (voir article 2) les influences de l’effort physique, des repas ou des inquiétudes de la vie, l’alternance des cycles loisirs-vacances / travail est peu évoqué.

Une grande différence réside dans le temps passé à rêver : les nouveaux-nés passent 50% de leur sommeil en phase REM, cette phase descend à 25% chez le jeune adulte, et elle n’est plus que de 15% chez les séniors.

Parallèlement, le sommeil profond, également très important chez les jeunes, régresse nettement avec l’âge : le sommeil des séniors est fragmenté en très nombreuses phases de micro-sommeils, moins réparateurs et plus susceptibles d’être interrompus par des évènements extérieurs.

Chaque espèce animale a son propre sommeil

Le sommeil tel que nous le connaissons n’existe que chez les mammifères et les oiseaux, ce n’est donc pas une généralité biologique.

Toutefois, chez les animaux dont l’activité est fonction de la température (ambiante et du corps), il est difficile de faire la différence entre hypoactivité et sommeil.

Et chez les mammifères, la pratique de l’hibernation vient encore ajouter un stade inconnu chez l’homme, puisque l’EEG devient plat à moins de 25° (chez « nous » , ce serait une mort cérébrale), jusqu’à ce qu’une élévation spontanée de la température réveille périodiquement l’animal (ours, chauve souris) pour replonger bientôt dans ce très profond sommeil.

On peut donc supposer que cette hibernation correspond à une astuce de l’Evolution qui a sélectionné ces individus dont la physiologie est particulièrement économe en nutriments et en oxygène dans les conditions difficiles.

Mais le sommeil lui-même, est il aussi une conquête biologique de l’Evolution au bénéfices des « derniers arrivants » de la classe animale ?

Sur un plan expérimental, on a bien observé que le manque absolu de sommeil conduit à un stress toujours plus violent, un affaiblissement qui mène jusqu’à la mort.

Mais en conditions naturelles, on s’aperçoit que de nombreux animaux savent s’aménager un sommeil en « demi veille ».

Ne dormir que d’un oeil ….

Par exemple les cétacés. Avec leur respiration pulmonaire, ces animaux aquatiques ne peuvent pas d’endormir dans l’eau sans se noyer : si on anesthésie un dauphin et qu’on le place dans l’eau, il est condamné.

Aussi les cétacés ont-ils développé un mode de sommeil dit unilatéral : une moitié de leur cerveau somnole, alors que l’autre reste en éveil, puis les rôles s’inversent. Ainsi, l’EEG d’un hémisphère présente des ondes lentes caractéristiques d’un sommeil (et l’œil qui lui correspond est fermé), alors que l’EEG de l’autre hémisphère présente une activité normale d’état de veille.

Il est à noter que chez des dauphins proches de l’homme qu’on a pu observer dans la durée, des individus particulièrement confiants ont développé un type de sommeil « à 100% » en se calant la tête pour éviter sa submersion : ils avaient quasiment acquis le sommeil des humains, nous dirons quasiment car ce sommeil profond n’est pas entrecoupé de phases paradoxales…

Le sommeil, donc, serait un produit de l’Evolution destiné à imposer à l’organisme des phases de récupération, avec bien sûr autant d’espèces que de cas particuliers…

Si l’on prend les oiseaux migrateurs, on peut noter chez eux une capacité lors leurs vols à longue distance, de se priver de sommeil pendant 10 jours, avec dans le même temps un catabolisme et une production de toxines intense, et ceci sans mettre en place à l’arrivée d’une période de sommeil compensateur (au contraire, il faut alors rechercher un lieu pour nicher et des zones riches en nourriture).

Chez les animaux prédateurs, les périodes consacrées à la chasse représentent une activité intense d’attention et de travail musculaire.

Une fois rassasiés, ces carnivores stricts peuvent s’adonner à une longue sieste, à un sommeil profond puisqu’ils ne subissent eux-mêmes aucun risque de prédation.  Chez eux, le sommeil est nettement une phase de récupération, une manière également d’économiser l’énergie, et très certainement aussi de mémoriser toutes les phases (lieux, réactions de la proie, interactions d’autres prédateurs) de la séquence de chasse précédente afin d’être plus efficace à la prochaine occasion …

On constate donc que sur un plan évolutif, le sommeil constitue une réponse non pas à un seul problème, mais à un ensemble de problèmes rencontrés dans des milieux variés et dans des groupes évolutifs extrêmement dissemblables : économiser l’énergie, optimiser les actions d’anabolisme, protéger l’individu en diminuant a probabilité de rencontre avec un prédateur.

Chez l’homme, qui est en bout de chaine, ce sont tous ces critères qui interviennent, et qu’on retrouvera dans certaines pathologies du sommeil.

Article à suivre: le sommeil, un sujet de médecine.