C’est souvent suite à des traumatismes crâniens, puis par observation des suites cliniques des malades, qu’on arrive à localiser des capacités cérébrales et en savoir plus sur les connections entre groupes de neurones.
C’est l’histoire d’un homme de 66 ans qui enseigne la musique à de jeunes adultes après avoir eu une carrière durant laquelle il se produisait dans des spectacles et concerts. Il a même publié des œuvres qu’il avait composées. Durant l’été 2001, il est victime d’un accident de moto et est projeté sur une distance d’environ 9 mètres alors qu’il porte un casque. Le scanner cérébral réalisé aux urgences montre que cet homme présente du côté droit, à l’arrière du cerveau, un hématome sous-dural, un épanchement de sang entre les espaces méningés.
Le lendemain de son admission à l’hôpital, les neurologues du centre médical universitaire de l’université Vanderbilt de Nashville (Tennessee) observent que ce patient a développé des troubles de la mémoire : amnésie post-traumatique, difficulté à se rappeler d’événements récents, à se souvenir de trois nouveaux mots. Il sort de l’hôpital trois jours après.
Un mois plus tard, lors de la consultation de suivi, le patient déclare à l’orthophoniste qu’il continue à avoir des problèmes de mémoire et qu’il lui est difficile de trouver ses mots. Sa femme l’aide à surmonter ses difficultés mnésiques en lui écrivant la liste des médicaments qu’il doit prendre et en notant ses rendez-vous. Il passe une batterie d’examens neuropsychologues qui confirment les troubles de la mémoire et constatent un léger déficit de l’attention et une impulsivité. Il utilise des stratagèmes (circonlocutions) durant les pauses où il cherche ses mots. Il prend des notes sur un papier ou sur son smartphone pour en garder une trace.
Trois mois après son accident, il est examiné par une équipe multidisciplinaire à deux reprises. Ses difficultés mnésiques ont largement disparu. L’amélioration sur le plan cognitif lui a permis de reprendre son travail, sans restrictions. Il n’a plus besoin d’utiliser son téléphone portable pour compenser une mémoire défaillante et est devenu plus sociable. Surtout, lors de ces deux entretiens, il apparaît que ce patient a développé une créativité accrue, qu’il est devenu synesthète et qu’il a l’oreille absolue.
Au cours des entretiens qui suivent, cet homme indique qu’il est capable d’entendre et de voir simultanément la musique, ce qui n’était pas le cas avant son accident. Il déclare que lorsqu’il entend de la musique, en direct ou enregistrée, il peut la voir dans son esprit comme imprimée sur du papier. Il peut également nommer les instruments à cordes dans un chant en entendant la musique.
Là encore, il s’agit pour lui d’un nouveau talent. De plus, il se sent obligé de composer. Il écrit constamment de la musique, impossible d’y échapper. Sa femme confirme aux médecins que la compulsion de son mari à écrire et précise que ses accès de créativité ont tendance à se produire entre minuit et 4 h du matin. Cette activité nocturne soutenue a duré environ quatre mois et a ensuite disparu.
L’épouse de cet homme a également remarqué que son mari avait ses sens exacerbés. Tout ce qu’il mangeait était meilleur que ce qu’il avait déjà gouté, son jardin était toujours plus joli qu’il ne l’avait jamais été et chaque nuit le feu de la cheminée était encore plus beau qu’auparavant.
Ce cas clinique, rapporté en mai 2023 dans la revue en ligne Neurocase, concerne donc un homme qui, suite à un traumatisme crânien, en l’occurrence un hématome sous-dural postérieur droit, a développé une augmentation de son activité créative et une synesthésie. Une association très rare dans un tel contexte traumatique.
Plusieurs cas publiés dans la littérature médicale internationale indiquent que des patients peuvent parfois développer des capacités créatives ou artistiques après un événement neurologique.
Suite de l’article: Réalités Biomédicales (blog de Marc Gozlann).