Les polluants de type PopS, stockés dans les tissus adipeux, réapparaissent dans l’organisme lors d’un jeûne.

Les oiseaux marins sont fortement exposés aux polluants organiques persistants (POPs) via leur alimentation et les stockent dans leurs tissus. Lors des phases de jeûne, ces polluants peuvent être remobilisés dans le sang, pouvant ainsi provoquer des effets toxiques.

 Dans une étude récente publiée dans Environmental Science and Technology, des scientifiques ont montré que le jeûne chez le manchot royal conduit au doublement des concentrations sanguines en POPs, avec la remobilisation préférentielle de certains polluants « éternels » perfluorés (PFAS) mais aussi des pesticides tels que le DDE.

Dans le contexte d’une pollution chimique globale et grandissante, y compris dans les zones océaniques les plus reculées du globe, la problématique des polluants organiques persistants (POPs, des substances synthétiques toxiques utilisées dans des procédés industriels, comme pesticides, ou comme additifs dans des objets de la vie courante), est de première importance notamment pour les oiseaux marins qui les accumulent en grandes quantités dans leurs tissus . La plupart de ces oiseaux connaissent des périodes de jeûne pendant la reproduction, la migration ou la mue.

Le jeûne est un processus physiologique complexe qui peut affecter la distribution, le métabolisme et l’excrétion des polluants accumulés. Cependant, les changements de concentrations sanguines en polluants liés à la mobilisation des réserves énergétiques sont encore mal compris. C’est ce qu’ont étudié des scientifiques chez une espèce subantarctique emblématique, le manchot royal Aptenodytes patagonicus qui effectue deux jeûnes prolongés chaque année.

Les changements des concentrations sanguines de 20 polluants organochlorés, lipophiles, et 16 polluants perfluorés (PFAS), connus sous le nom de « polluants éternels », et qui ont des affinités à la fois pour les lipides et les protéines, ont été suivis chez des individus en jeûne de mue et de reproduction. Ces deux types de jeûne impliquent l’utilisation des réserves lipidiques. Cependant, alors que le jeûne de reproduction se caractérise par une épargne protéique, le jeûne de mue implique la mobilisation des protéines endogènes pour la synthèse des nouvelles plumes. Les concentrations sanguines totales initiales de polluants étaient similaires chez les manchots en mue et les reproducteurs. Après 25 jours de jeûne de mue ou de reproduction, la concentration totale des polluants dans le plasma a été multipliée par deux.

La remobilisation des polluants est liée à la fois au type de polluant et au type de jeûne. Ainsi, les composés les plus remobilisés sont, parmi les organochlorés, deux pesticides, le DDE (un métabolite du DDT) et le HCB, et, parmi les PFAS, le PFOS, souvent majoritaire dans la faune marine. Ces trois polluants sont fortement remobilisés dans les deux types de jeûne du fait de l’utilisation des lipides. En revanche, les concentrations sanguines de PFUnDA et de PFTrDA, deux PFAS carboxyliques à longue chaîne, ont augmenté au cours du jeûne de reproduction mais diminué au cours du jeûne de mue, suggérant une excrétion dans les nouvelles plumes en formation, du fait de leur affinité pour les protéines dont elles sont constituées. Cette étude démontre l’impossibilité de généraliser les comportements des POPs et confirme le risque toxicologique associé à leur remobilisation, qui dépend des affinités pour les protéines ou les lipides.

Cette redistribution dans l’organisme peut permettre aux polluants d’atteindre des tissus particulièrement sensibles aux effets toxiques comme le cerveau ou les œufs, avec des effets néfastes potentiels à court et à long terme.

Résumé

  • Des polluants organiques persistants sont remobilisés au cours du jeûne de mue et de reproduction chez le manchot royal
  • Le jeûne conduit au doublement des concentrations sanguines en polluants
  • La remobilisation des polluants dépend du type de jeûne et du type de composé suivant leur affinité pour les protéines et les lipides mobilisés
  • Ceci doit nous alerter sur les risques des régimes amaigrissants drastiques en médecine humaine.

Contacts

Alice Carravieri, Littoral, environnement et sociétés (LIENSs – CNRS/La Rochelle Univ.) / Centre d’études biologiques de Chizé (CEBC – CNRS/La Rochelle Univ.) alice.carravieri@gmail.com 

Armelle Combaud Correspondante communication – Littoral, Environnement et Sociétés (LIENSs – CNRS/La Rochelle Univ.) armelle.combaud@univ-lr.fr 

Cécile Ribout Correspondante communication – Centre d’Etudes Biologiques de Chizé (CEBC – CNRS/La Rochelle Université) cecile.ribout@cebc.cnrs.fr