Jules Romains n’avait que 100 ans d’avance ! Dans « Knock, ou le triomphe de la Médecine », il décrit en mode comédie comment l’emprise médicale peut aliéner et spolier des populations entières, soit directement (c’est le cas de Knock), soit via les prestations sociales moins visibles, mais tout aussi lucratives.
Alors que l’Académie Française renâclait à monter sa pièce, Jules Romains la présenta à un ancien pharmacien, Louis Jouvet. Celui-ci y décèle le rôle théâtral de sa vie, au point d’aligner au total 1440 représentations, ainsi que deux films, le second en 1951.
Le thème de la médecine au théâtre a toujours captivé, depuis l’antiquité, auteurs et spectateurs, mais dans un registre convenu de médicastres ridicules, de par leur ignorance, leur pingrerie ou leur fatuité.
Jules Romains, remet ce thème à plat, dans une construction implacable qui à l’époque pouvait passer pour de la science-fiction.
De fait, Knock applique avec un siècle d’avance toutes les ficelles du marketing médical qui s’exprime de nos jours, et que l’arrivée d’internet n’a même pas émoussées.
Les personnages principaux
Nous somme à St Maurice : village chef-lieu du canton éponyme à l’est de Lyon, dans les années 1920, en pleine campagne. Environ 4000 habitants, un seul médecin, un seul pharmacien.
– Dr Parpalaid : le médecin qui vend sa pratique rurale au Dr Knock. C’est un brave homme qui n’est pas passionné par son art médical. Il profite modestement d’une rente de situation, mais son esprit est plutôt occupé par son automobile, dont il est très fier, malgré sa vétusté et ses pannes à répétition. D’ailleurs, ses clients (qui deviendront les patients du Dr Knock) s’en plaindraient plutôt : « neuf fois sur dix, il vous renvoyait en disant : ce n’est rien du tout, vous serez sur pied demain, mon ami. Il vous écoutait à peine, en faisant oui, oui, et se dépêchait de parler d’autre chose pendant une heure, par exemple son automobile… et puis il vous indiquait des remèdes à quatre sous, quelque fois une simple tisane… Vous pensez bien que les gens qui paient huit francs pour une consultation n’aiment pas qu’on leur indique un remède à quatre sous. Et le plus bête n’a pas besoin d’un médecin pour boire une camomille… ». Autant dire que cette population était prête pour se soumettre à l’autorité de Knock…
Et quand Parpalaid, interloqué, demande à Knock « Est-ce que dans votre méthode, l’intérêt du malade n’est pas un peu subordonné à l’intérêt du médecin ? »
Knock lui répond d’évidence : « Vous oubliez qu’il y a un intérêt supérieur à ces deux là : celui de la médecine »..
– Dr Knock : s’il tient au titre de Docteur, il n’est pour autant pas médecin. Tout jeune, il était attiré par les médicaments, par les publicités et articles de presse.
De fait, vendeur de cravates aux Dames de France, Knock s’est fait propulser comme médecin de bord dans un bateau en partance pour les Indes. Trente cinq hommes d’équipage et passagers, ont servi de sujets, pourquoi pas de cobayes dans la nouvelle organisation du « Docteur ». Résultat : trente cinq malades à soigner quotidiennement, avec un roulement pour la bonne marche du navire. Sur la question naïve de Parpalaid « Vous avez eu des morts ? », Knock est catégorique : « aucun, c’est d’ailleurs contraire à mes principes : je suis partisan de la diminution de la mortalité : nous devons travailler à la conservation du malade ».
Ce fut pour lui la confirmation qu’il était capable de médicaliser tout un collectif de bien-portants, grâce à sa ‘méthode’, nom qu’il donne à son habileté à les convaincre que ‘Tout homme bien portant n’est qu’un malade qui s’ignore’, selon une expression dévoyée du physiologiste Claude Bernard.
– Mousquet : le pharmacien. Il dépend entièrement des prescriptions du seul médecin du canton. Et il n’a pas été aidé par le Dr Parpalaid. D’ailleurs, dès leur première entrevue, Knock met les points sur les i : « Pour moi, le médecin qui ne peut pas s’appuyer sur son pharmacien de premier ordre est un général qui va à la bataille sans artillerie ». Et de lui promettre un avenir radieux et florissant. Concernant Parpalaid : « On ne ferait pas un gros volume avec le recueil de ses ordonnances… ». Et concernant les futurs malades à soigner : « Tomber malade », vieille notion qui ne tient plus devant les données de la science actuelle. La santé n’est qu’un mot, qu’il n’y aurait aucun inconvénient à rayer de notre vocabulaire. Pour ma part, je ne connais que des gens plus ou moins atteints de maladies plus ou moins nombreuses à évolution plus ou moins rapide. Naturellement, si vous allez leur dire qu’ils se portent bien, ils ne demandent qu’à vous croire. Mais vous les trompez. Votre seule excuse, c’est que vous ayez déjà trop de malades à soigner pour en prendre de nouveaux ».
– Bernard : l’instituteur, encore un naïf que Knock va entortiller pour lui servir de faire valoir sur le plan scientifique. A lui d’inculquer aux populations des notions d’hygiène rigoureuse (on est dans les « années Pasteur ») qui mèneront à une crainte, puis à une obéissance aveugle aux préceptes de Knock : « C’est entendu ! Je puis soigner sans vous mes malades. Mais la maladie, qui est-ce qui m’aidera à la combattre, à la débusquer ? Qui est-ce qui instruira ces pauvres gens sur les périls de chaque seconde qui assiègent leur organisme ? Qui leur apprendra qu’on ne doit pas attendre d’être mort pour appeler le médecin ? Commençons par le commencement. J’ai ici la matière de plusieurs causeries de vulgarisation, des notes très complètes, de bons clichés, et une lanterne. Vous arrangerez tout cela comme vous savez le faire. Tenez, pour débuter, une petite conférence, toute écrite, ma foi, et très agréable, sur la fièvre typhoïde, les formes insoupçonnées qu’elle prend, ses véhicules innombrables : eau, pain ; lait, coquillages, légumes, salades, poussières, haleine, etc.… les semaines et les mois durant lesquels elle couve sans se trahir, les accidents mortels qu’elle déchaine soudain, les complications redoutables qu’elle charrie à sa suite ; le tout agrémenté de jolies vues : bacilles formidablement grossis, détails d’excréments typhiques, ganglions infectés, perforations d’intestin, et pas en noir, en couleur, des roses, des marrons, des jaunes et des blancs verdâtres que vous imaginez ».
Bernard est abasourdi, mais il est flatté de jouer ce rôle d’étendard du Progrès…
– Le crieur public : dit “tambour de ville”. C’est à cette époque le média de proximité, qui annonce en public les décisions administratives, les actualités familiales et sociales. Knock va acheter ses prestations pour proposer le lundi des consultations gratuites « réservées aux habitants du canton », et de surcroît gratuites pour les nécessiteux.
– Mme Rémy : l’hôtelière dont l’établissement végétait , et qui va très vite le transformer en hébergement médicalisé débordant de clients devenus des patients sous l’influence de Knock… la bonne porte désormais une coiffe d’infirmière.
Ainsi, en moins de trois mois d’exercice, Knock aura totalement transformé les esprits pour gérer une population soumise et des affidés (le pharmacien, l’hôtelière) enthousiastes. Lorsque Parpalaid revient à St Maurice (pour se faire payer son dû de clientèle), il n’est vraiment pas bien accueilli, et va même tomber sous l’emprise psychique de Knock, qui le met au lit comme les autres clients de cet hôtel qui est devenu une clinique.
La méthode Knock (on parle désormais de « knockisme ».
Cette méthode imaginée par Jules Romains est désormais déployée dans le monde entier, malgré la résistance locale de tradi-praticiens, et avec l’aval des grandes organisations de « santé » et des gouvernements.
On y retrouve pêle-mêle :
- l’intérêt supérieur des populations à travers des pratiques dites de prévention : dépistages, suivis biologiques, vaccinations. L’hygiène à tous crins de Knock sur des critères fallacieux laisse présager nos vaccins dits « altruistes » (rubéole, hépatite B des soignants)) ou « anti-cancer » (hépatite C, papillomavirus), mais aussi tous ces dépistages (thyroïde, prostate ont montré leurs limites dues aux faux positifs, sein et colon sont actuellement en débat).
- La mise en place d’organismes d’influence « sans but lucratif » qui pèsent sur les débats et sur les mentalités. Dans la pièce , Knock peut s’appuyer sur « la dame en violet » qu’il vient de persuader que ses prétendues insomnies (un simple symptôme) sont transformée en maladie, puis en maladie dont certaines causes pourraient être très graves. Nous sommes dans le façonnage de maladies à soigner en permanence, comme l’ostéoporose, le prétendu excès de cholestérol, l’hypothyroïdie, et l’on nous promet pour bientôt le « foie gras », alias NASH quand les remèdes seront opérationnels dans deux ans.
Aujourd’hui on pourrait comparer la dame en violet aux président-e-s d’associations de patients qui bénéficient des encouragements bien concrets des industriels et finissent par penser comme eux et légitimer indirectement des messages promotionnels qu’ils relaieront, consciemment de bonne foi ou inconsciemment.
L’industrie du médicament suit aujourd’hui les traces de Knock :
a) Elle offre des échantillons aux cliniciens sous prétexte qu’ils les refileront aux patients les plus pauvres et qu’ils apprendront à les bien prescrire, alors que ce sont souvent les familles et les amis qui en profitent, et que ces échantillons ne sont pas accompagnés des précautions et mises en garde appropriées.
b) Elle développe des produits destinés aux maladies inventées par elle-même à l’aide de glissements sémantiques ou de campagnes de dépistage de la pré hypertension, du pré diabéte, de la pré hyperlipidémie, de la pré dépression, de l’ostéoporose, de la pré démence, du risque de VIH, du risque de rechute dépressive, et j’en passe.
– la mise en avant d’experts « indépendants » qui viendront appuyer le messagesalvateur du médecin prescripteur. C’est dans la pièce le rôle de l’instituteur qui connaît tous les patients et qui aux cotés de Knock, « prend du galon » en accédant à des documents, des planches anatomiques jusqu’ici réservées au corps médical.
– Une application généralisée des principes, à tout le monde : pour une même « maladie », des remèdes identiques, et une surveillance draconienne des soins. Ecoutons Knock dans cet élan de satisfaction : : « Songez que, dans quelques instants, il va sonner dix heures, que pour tous mes malades, dix heures, c’est la deuxième prise de température rectale, et que, dans quelques instants, 250 thermomètres vont pénétrer à la fois ».
– l’utilisation essentielle des médias pour toucher tout le monde, mais aussi des catégories ciblées (les femmes, les seniors, les riches, les écolos, etc). Si Knock n’a à sa disposition que le tambour de ville, il sait le « briefer » pour adapter son discours en fonction de l’auditoire. Avec internet, c’est désormais un jeu d’enfant de toucher des cibles très étroites, d’internautes qui se sont signalés précisément par leurs requêtes sur les moteurs de recherche.I.
David Sacket est un épidémiologiste américain qui a suivi l’évolution de la médecine sur les 50 dernières années. . pour lui, cette médecine dite préventive, est :
(a) péremptoire chez des individus indemnes de tout symptôme en leur disant ce qu’il faut faire pour rester en bonne santé;
(b) présomptueuse, prétendant que les interventions qu’elle défend feront en moyenne plus de bien que de mal à ceux qui l’accepteront et y adhéreront;
(c) tyrannique, faisant tout pour exercer son autorité.
On retrouve là tous les caractères du « knockisme » inventé par Jules Romains.
Angelina Viva
Pierre Biron in Pharmacritique