Changement climatique: comment vont évoluer nos forêts ? Première partie.

1 – LES FORÊTS, ÉTAT DES LIEUX

L’évolution actuelle du climat (réchauffement , violences atmosphériques) modifie le fonctionnement des différents types d’arbres, et de l’écosystème forestier en général.

Certains effets ( température, taux de CO2) sont bénéfiques, d’autres (sécheresse, variations extrèmes) nettement néfastes.

Sur les humeurs de la Nature, on ne peut rien …

Par une meilleure connaissance des capacités de végétaux sans cesse améliorés, on peut entrevoir les impacts à venir, les peuplements les plus judicieux, les méthodes d’exploitation les plus adaptées. Enfin on l’a compris: c’est à l’homme de s’adapter …

Les forêts sont à l‘honneur et les études s’accumulent pour  montrer les bienfaits qu’elles apportent à notre terre: stockage du CO2, production d’eau de qualité, action sur le microclimat, protection des sols contre l’érosion, production de biomasse, maintien de la biodiversité, écotourisme …

La forêt française, au carrefour de quatre zones climatiques, présente quatre écosystèmes spécifiques:

– la forêt de plaine atlantique (y compris la forêt landaise)

– la forêt de plaine semi-continentale (ex: bassin parisien).

– la forêt de montagne.

– la forêt méditerranéenne.

Les changements climatiques en cours auront un impact différent sur chacun de ces écosystèmes, qui prendront  en compte les sols, les vents et les essences, mais surtout les modifications prévisibles du climat:

– l’augmentation du taux de CO2 (déja + 40 % depuis les années 50) stimule l’activité photosynthétique des arbres. En gros, les arbres poussent plus et plus vite.

– la hausse graduelle des températures allonge la durée annuelle de végétation des arbres en prenant de l’avance au printemps , et en retardant à l’automne l’arrêt physiologique dû au froid.

En gros, les arbres poussent plus longtemps.

A l’inverse, cette augmentation des températures pousse les végétaux à utiliser plus d’eau (évapotranspiration), alors que les précipitations sont moins abondantes en été, lors du “waterpeak” qu’on commence à voir apparaître.

L’INRA a mis en place un programme de recherches appellé F-ORE-T destiné à prendre en compte et à mesurer tous les facteurs climatiques et biologiques qui intéressent une forêt de nos régions, dans un but de prospective pour ces productions jusqu’à la fin du siècle.

Les premières conclusions sont assez pessimistes. En particulier pour les forêts du sud et de l’ouest, qui pâtiront d’un manque d’eau dès les prochaines années.

Ces études reposent sur l’observation des essences actuelles dans leur lieu d’implantation: elles servent justement de signal d’alarme pour nous enjoindre de modifier la composition végétale et les modes d’exploitation.

Les forêts de France ont connu deux canicules ( 2003 et 2006), ainsi que deux fortes tempêtes

(1999 et 2009), ce qui a permis d’apprécier les capacités de résistance de chaque espèce végétale en fonction de leur âge, de leur environnement.

Deux exemples:

– le chêne vert, essence méditerranéenne, avec ses racines profondes et des feuilles recouvertes de cire qui les protègent de la chaleur et limitent l’évapotranspiration, est promis à un bel avenir, une expansion vers le nord. Mais sa productivité en biomasse est plutôt limitée.

Les stomates des feuilles assurent la régulation des flux d’eau

– le hêtre, ce géant de nos futaies qui est très présent sur tout le territoire, va certainement régresser du fait de son fort besoin en eau ( croissance rapide), de sa forte perte  par évapotranspiration (feuilles nues), et de sa forte prise au vent lors de tempêtes, jointe à un enracinement trop fragile …

Le stress hydrique (défaut d’hydratation des sols) entraîne , en particulier chez les feuillus caducs comme le hêtre, une régulation de l’évapotranspiration par fermeture des stomates. Lorsque la canicule entraîne un air sec et brûlant, les stomates (voir photo) se ferment , et sans possibilité de refroidissement, les tissus foliaires se nécrosent en modifiant la couleur du limbe.

QUAND LES CERNES DU BOIS SERVENT D’INDICATEURS

La dendrochronologie est l’étude de l’historique d’un végétal ligneux à la lecture des cernes de son tronc. Une première approche permet de repérer les cernes larges, qui correspondent à une forte croissance (donc une bonne productivité) de l’essence, mais en même temps une moindre résistance mécanique lors d’efforts hors normes ( tempête). On a pu ainsi déterminer que depuis un siècle, les forêts poussent de plus en plus rapidement. Meilleures espèces, meilleures pratiques forestières, ou bien chamboulement climatique ?

Des réponses (provisoires) sont données par l’étude isotopique de chacun de ces cernes de bois. Le carbone de l’air est composé de 99% de cabone 12, et 1% de carbone 13, légèrement plus lourd. En photosynthèse normale, c’est le CO2 contenant le C12, plus léger, qui est capté prioritairement dans les chloroplastes. Et on le retrouvera dans les tissus synthétisés, donc dans les cernes de cette période. Mais en cas de stress hydrique, il n’y a plus ce différenciel isotopioque, tout CO2 est bon à prendre, et l’on retrouvera du C13 dans les cernes correspondants. A comparer avec leur épaisseur …

L’oxygène, de par ses différents isotopes, permet de connaître si à telle période, la plante s’est abreuvée de pluies récentes, de nappes phréatiques, ou bien d’eau racinaire des profondeurs du sol … Ces études permettent de situer, espèce par espèce, comment réagit le végétale dans des situations extrèmes: certaines vont consolider le tronc par apport de lignine ( fonction de séquestre de carbone), d’autres vont “pousser” l’enracinement pour chercher l’eau toujours plus loin …

De fait, les arbres ont une capacité d’adaptation extraordinaire, supérieure aux herbacées, et très supérieure aux animaux. C’est que les arbres, eux, ne bougent pas … Ils ne peuvent pas migrer pour trouver un écosystème plus favorable. Les ressources de défense et de transformation sont au sein de leur génôme, pour permettre une évolution très rapide et en toutes circonstances. Mais cette capacité de résistance repose autant sur le génôme propre de chaque espèce, que sur la biodiversité génératrice d’interactions épigénétiques.

Ces capacités d’adaptation ou d’évolution sont mises en évidence lors d’évènements catastrophiques majeurs: les incendies et les accidents nucléaires.

LES INCENDIES

Dus au volcanisme, aux orages ou à des actions de l’homme, les incendies sont parfois récurents (écobuage des forêts tropicales) , parfois accidentels. Il est rare que tout le vivant soit supprimé de la zone dévastée. Des îlots de végétation survivent, protégés par de la neige ou de l’humus, des graines non germées peuvent se développer, des racines restent à l’abri pour faire prospérer des surgeons, des larves d’insectes et des rongeurs survivront vaille que vaille du brasier.

Le sol, lui, se charge en minéraux (ruissellement et cendres), mais également en substances organiques d’origine aérienne: que ce soit les fientes d’oiseaux ( de voisinage ou sur un trajet de migration) ou les “pluies d’insectes” à certaines périodes (juvéniles d’insectes ou d’araignées essaimés par la voie des airs, on a estimé à 90 kg par hectare la biomasse azotée apportée à la belle saison sur des surfaces dévastées. En année 2, on voit apparaître les premiers survivants ou les nouveaux colonisateurs. Herbacées, insectes et oiseaux, puis tout le reste. Avec parfois une intensité étonnante: en 2003 près de Grnoble, plus de 200 hectares de végétation ont entièrement brûlé; quatre ans plus tard, les zones dévastées présentaient deux fois plus de biodiversité que dans les zones voisines. En détruisant les chênes et les buis qui accaparaient le terrain, l’incendie a libéré ces espaces pour des espèces qui ne supportaient pas la concurrence et l’acidité de ces végétaux. Les nouvelles espèces se développent en flêche, puis s’instaure un nouvel équilibre.

LES ACCIDENTS NUCLÉAIRES

Ils sont heureusement très rares, mais il est bon d’en connaître les arcanes …

Les végétaux ne sont pas égaux devant les radiations … On connait la (?) légende du Ginkgo d’hiroshima, le seul végétal survivant de la bombe …  Dans la taïga qui jouxtait Tchernobyl, ce sont essentiellement les conifères qui ont subi. Les herbacées et les feuillus caducs ont nettement mieux supporté. Comment comprendre ?

Les radiations, comme dans le cas des traitements de cancer, peuvent agir sur des cibles sélectives ( noyaux cellulaires, mitochondries), ou plus simplement sur les molécules d’eau qui se dissocient alors pour donner des radicaux libres qui eux mêmes agiront sur les chromosomes du noyau. Chez certains végétaux, comme les conifères, les noyau est volumineux, contrairement aux saules ou aux bouleaux. Gros noyau égale grosse cible pour ces radicaux libres dévastateurs.

Les végétaux survivants sont bien souvent différents de leurs prédécesseurs, avec développement de prairies ouvertes pour une faune sauvage très vivace. Chez les pins survivants, on note au sein des cellules une rétraction du noyau due à une hyperméthylation, phénomène qu’on peut supposer constituer une défense contre les agressions des radicaux libres.

VIVE LA DIVERSITÉ !

En cas de brutales variations climatiques, les végétaux préservés seront ceux qui ont en eux-mêmes des capacités de survie génique, soit par une protection des chromosomes ( méthylation), soit par une redondance de certains gènes qui se sont dupliqués x fois au cours de l’évolution, soit encore par la possession de gènes dormants, totalement inutilisés en climat tempéré, et qui se mettront en route uniquement lors de difficultés (gènes d’économie de consommation d’eau, de production de protéines chaperon, de production d’insecticides, etc …).

Mais les exploitants forestiers peuvent réaliser un cocktail de gènes de manière bien plus pragmatique: en plaçant côte à côte des espèces différentes (des ilots de feuillus au sein de forêts de pins maritimes, par exemple). On obtient alors un nouvel organisme, la forêt secondaire, qui a ses caractéristiques génétiques propres. Les gènes des feuillus codent pour des molécules odoriférantes qui trompent les insectes parasites des résineux, les gènes des pins codent pour des résines qui limitent le développement d’herbes au sol. Les feuillus enracinés protègent les pins des bourrasques, tout en hébergeant  une large faune de prédateurs d’insectes.

La biodiversité, longtemps raillée comme une lubie d’écolos, apparaît désormais comme une nécessité biologique et (surtout?) économique.

Angelina Viva