De nos jours, la récolte du bois entraîne, le plus souvent, la mort de l’arbre. Avant la révolution industrielle, beaucoup de bois était prélevé sur des arbres vivants, qui étaient alors recépés. Le principe du taillis est basé sur la capacité naturelle de beaucoup d’espèces de feuillus à repousser à partir d’une tige ou de racines endommagées. Un gain gigantesque en biomasse, sans chambouler l’écosystème du sol.
Quand on pense à une forêt ou une plantation d’arbres, on imagine un paysage d’arbres hauts. Cependant, jusqu’au début du vingtième siècle, au moins la moitié des forêts d’Europe étaient des taillis ressemblant plus à un ensemble de buissons. 1Le recépage apparaIt dès l’Âge de pierre ; on construisait alors des citées lacustres et de chemins qui traversaient les marais en utilisant des milliers de branches de taille similaire – un accomplissement rendu possible par la technique du recépage. 2
Du fait que les jeunes pousses d’un arbre recépé soient nourries par un système racinaire déjà bien développé, le taillis produit du bois plus rapidement qu’un arbre haut. Plus précisément : à rendement photosynthétique égal, un arbre haut génère plus de biomasse sous le sol (racines) alors qu’une cépée produit au dessus du sol (les nouvelles pousses) ; ce qui est bien plus pratique du point de vue de la récolte. C’est en partie pour cette raison que le recépage était basé sur des cycles de rotation courts de deux à quatre ans ; même si des cycles d’un à douze ans pouvaient être pratiqués.
Un rendement inégalable
Du fait de ces cycles courts, le taillis fournissait du bois de chauffe de façon rapide, régulière et fiable. Il était souvent divisé en sections égales, correspondant à la durée des cycles de rotation. Si, par exemple, les brins de cépées étaient récoltés tous les trois ans, la forêt était divisée en trois parcelles, une seule étant recépée par année. Cette courte rotation permettait aussi au carbone dégagé par la combustion du bois d’être compensé par celui absorbé par les nouvelles pousses, donnant au taillis un impact carbone neutre. Lors de cycles très courts, les nouvelles pousses pouvaient même être prêtes au moment où les anciennes étaient assez sèches pour servir de carburant.
Ni forêt, ni plantation, le taillis est quelque part entre les deux. Bien que géré par les humains, il n’était pas fait au détriment de l’environnement, au contraire. Récolter du bois sur des arbres vivants au lieu de les tuer est bénéfique pour les formes de vie qui dépendent de ces deniers. Les taillis hébergent parfois une biodiversité plus riche que des forêts non gérées car on y trouve constamment des zones à différent niveaux de lumière et de croissance. Rien de tout cela ne s’applique aux plantations industrielles qui n’offrent rien ou presque à la vie végétale et animale et dont les cycles de rotation sont plus longs (au moins vingt ans).
Du bois, mais aussi de la nourriture
Le taillis était aussi une source de nourriture. D’une part, il prodiguait aux humains des fruits, des baies, des truffes, des noix, des champignons, des herbes, du miel et du gibier. D’autre part il était une source importante de fourrage pour les animaux des fermes en hiver. Avant la révolution industrielle, on nourrissait beaucoup de moutons et de chèvres avec des feuilles, avec ou sans branchettes, d’arbres fourragers. 6
L’Orme et le Frêne faisaient partie des espèces les plus nutritives mais on donnait aussi aux moutons du Bouleau, du Noisetier, du Tilleul, du Cerisier à grappes et même du chêne. Les chèvres quand a elles étaient aussi nourries d’Aulne. Dans les régions montagnardes, les chevaux, le bétail, les cochons, ainsi que les vers à soie partageaient parfois ce régime.
La « glandée » était une méthode consistant à lâcher des cochons dans des forêts de chênes émondés à l’automne où les cochons se nourrissaient des glands tombés à terre. Ce système formait la base de la production de porc en Europe pendant des siècles. 7Le « pré-verger » ou « verger en pâture » combinait la culture des fruits avec le broutage – les arbre fruitiers émondés donnaient de l’ombre aux animaux, ces derniers ne pouvaient se nourrir des fruits mais fertilisaient les arbres.
Que reste t’il de ces pratiques ?
Le bocage, qui constituait 60% des surfaces agricoles, avec ses haies et ses prairies, a été massacré dans les années 50 et 60 pour créer des parcelles rentables mécaniquement. Ce fut le temps de l’exode rural, avec une baisse de 60% des populations campagnardes : les fermes étaient devenues des exploitations.
Le retour à des pratiques agricoles saines (élevage comme productions végétales) pourrait permettre de valoriser des terres abandonnées car surexploités, mais aussi de rénover entièrement les systèmes de production. Pour cela, un impératif : pouvoir mécaniser le taillis.
Depuis le vingtième siècle, la récolte du bois est effectuée par outils de coupe motorisés, et depuis les années 80, on utilise des machines puissantes qui peuvent abattre de arbres entiers et les débiter in situ en l’espace de quelques minutes. Les énergies fossiles nous ont aussi apporté de meilleures infrastructures de transport, ouvrant accès à des réserves jusqu’alors inaccessibles. Du bois de chauffage peut maintenant pousser d’un côté de la planète pour être consommé de l’autre.
De même, la mécanisation de la récolte a boosté la gestion forestière d’une façon telle qu’elle n’est plus durable. Nos ancêtres ne coupaient pas de gros arbres pour en faire du bois de chauffage, car cela n’était pas économique. Aujourd’hui, l’industrie forestière fait exactement cela car la machinerie l’exige. Si l’on y compare l’industrie forestière où un seul travailleur peut récolter jusqu’à 60m3 de bois à l’heure, le taillis est extrêmement exigeant en matière d’effort. En conséquence, il ne peut faire concurrence dans un système économique qui entretient le remplacement du travail manuel par celui des machines.
Une exploitation forestière durable est par essence locale et manuelle. Cela ne veut pas dire que nous devons copier le passé pour rendre la biomasse à nouveau durable. On pourrait par exemple agrandir le rayon de transport via l’utilisation de solutions à faible consommation énergétique tels que les vélo cargo et le transport par câble (ancêtre du téléphérique), qui sont des moyens plus efficaces que le transport de chariot tiré par des chevaux ou des bœufs sur de mauvaises routes, et qui peuvent être mis en place sans utiliser d’énergies fossiles.
Article original de Kris de Decker, traduit par Pascal Mayol.
A lire absolument:
Adoptez Marianne ! Elle en a besoin… Un bon geste, pour soutenir ce blog scientifique.