Comment survivre dans une eau trois fois plus salée que son propre sang, sans pouvoir accéder à de l’eau douce ? Les mammifères marins (mais aussi oiseaux et reptiles) ont dû mettre en place au cours des millénaires, des adaptations anatomiques et physiologiques. Et ça marche parfaitement.
On a tous en tête les récits de ces naufragés en errance sur des radeaux de fortune, et qui s’assèchent jusqu’à la mort par pénurie d’eau potable.
L’homme en effet s’est adapté à un mode de vie continental, avec accès permanent à l’eau douce (pluie, neige, rivières, nappes phréatiques…).
Mais sur terre, l’eau douce est rare : 96,5% de l’eau du globe sont de l’eau salée des océans et des lagunes.
Aussi, les animaux qui s’aventurent en milieu marin, doivent soit retourner régulièrement sut terre pour y puiser de l’eau douce (c’est le cas de certains phoques et des lamantins), soit posséder des systèmes d’adaptation pour éliminer le sel en surplus.
Cette adaptation prend des cheminements divers, depuis le choix de la nourriture, jusqu’à l’organisation d’organes spécifiques de désalinisation.
1 – des aliments peu salés.
Ce sera le cas des animaux herbivores (lamantins) qui se nourrissent de végétaux benthiques qui eux mêmes ont « fait le boulot » d’évacuer le sel. Dans les mangroves et les lagunes côtières, des cours d’eau douce apportent des végétaux qui ont poussé dans des conditions d’osmolarité terrestre, (jacinthes d’eau, graminées) leur consommation (oiseaux, tortues, siréniens) apporte un quota important et suffisant d’eau douce.
En pleine mer, pas d’eau douce en vue …
Mais certains aliments seront quasiment à l’isotonie, en ayant eux-mêmes fait le travail d’expulsion des sels.
Prenons le cas de la baleine : elle se nourrit essentiellement de krill, par goulées entières de ces petites larves de crustacés très riches en protéines et lipides, mais également (60%) pourvoyeurs d’eau peu salée.
En effet, ces petits organismes filtrent en permanence l’eau de mer pour y puiser des micro-algues. Et ce faisant, ils gardent en eux des molécules d’eau séparés du sel (phénomène de floculation d’une solution colloïdale), et sous forme de clusters : ils ont en eux des amas d’eau douce concentrée, une aubaine pour ces cétacés de plusieurs tonnes dont le sang est très semblable aux nôtres…
Les poissons eux-mêmes ne boivent pas d’eau : ils l’absorbent de manière sélective via leur peau et leurs branchies, et en éliminent les sels via leur urine
De fait, la plupart des proies vivantes ont une osmolarité moindre que l’eau de mer, et constituent l’apport hydrique essentiel : leurs prédateurs n’ont pas à boire d’eau de mer, ils ont leur quota hydrique dans la nourriture.
2- sucer de la glace ….
Pour les animaux vivant en milieux arctiques, une eau douce évidente est à disposition : la glace et la neige. Et bizarrement, ces animaux n’y ont quasiment pas recours, équipés qu’ils sont d’adaptations physiologiques suffisantes.
3 – une production interne d’eau « de synthèse ».
Il s’agit de l’eau métabolique, qui apparaît lors de la digestion de substrats alimentaires et de la synthèse de nouvelles molécules. Cette eau surgit au sein des cellules et réduit d’autant les besoins hydriques de l’animal. Dans les constituants alimentaires, ce sont les lipides (graisses, huiles de foie), en particulier les acides gras polyinsaturés, qui lors de l’oxydation provoquent la synthèse de molécules d’eau « vierge », et ça tombe bien puisque les lipides sont contenus en grandes quantités dans les proies diverses (petits poissons, œufs et larves, etc).
4 – Mise au repos métabolique par le jeûne.
On a constaté que les morses, phoques et autres mammifères marins des milieux extrêmes, emmagasinent des graisses durant la « bonne saison », puis font un jeûne de plusieurs mois au cours duquel ils n’ingèrent quasiment rien. On a constaté alors que durant ce jeûne, les reins eux aussi se mettent au repos et que la production d’urine est très faible. Mais qu’en même temps, l’oxydation des graisses accumulées constitue un apport important en eau.
On comprend au passage que chez l’homme qui jeûne au delà de 4 jours, c’est à dire lors de la lyse de ses graisses, cet apport hydrique permet de « tenir sans boire », c’est le cas du « jeûne sec » qui fait peur aux apprentis jeûneurs et au corps médical …
4 – mettre le sel en concurrence avec l’urée.
Il s’agit là d’une astuce propre aux requins.
Pour l’humain, l’urée est considérée comme un poison (ce qu’elle n’est pas…) car c’est elle qu’on mesure pour établir le bon fonctionnement des reins. Il et vrai qu’un trop-plein d’urée se transforme en aldéhyde, qui elle est réellement toxique.
Les sélaciens n’éliminent quasiment pas leur urée, mais au contraire la garde dans le sang où elle est à forte concentration. Et de ce fait, le sel de son eau d’alentour (au niveau de l’estomac, de la peau et des branchies), n’arrive que très difficilement à pénétrer dans un sang déjà hypertonique. Une astuce qui pourrait être reprise pour déssaler l’eau de mer….
5 – les effets de la plongée en apnée.
Chez les animaux qui plongent en profondeur pour quérir la nourriture, on a constaté que ces périodes d’apnée correspondent à une réduction importante de la production d’urine (- 90%) correspondant à une baisse équivalente de la circulation sanguine dans les reins. Encore une manière de préserver le stock hydrique de l’animal …
6 – Une régulation hormonale de la diurèse.
Le fonctionnement des reins repose sur toute une cascade d’hormones (aldostérone, vasopressine, angiotensines), qui jouent en permanence pour équilibrer la composition du sang.
Concernant la concentration en eau de l’urine, c’est dans les tubules que se joue la réabsorption de l’eau tirée du sang au niveau des glomérules (voir schéma très simplifié).
Quand on « veut » garder son eau (animaux du désert, certaines espèces comme le chat, et bien sûr mammifères marins), il faut que cette réabsorption soit maximale. Elle a lieu grâce à l’action hormonale spécifique de ces animaux, mais aussi via des adaptations des reins eux-mêmes, soit par un allongement des tubules, de ce fait plus efficaces, soit par le dépôt le long de ces néphrons de substances (glycogène) qui vont « pomper » l’eau de l’urine par simple effet osmotique.
7 – chez reptiles et oiseaux, des organes d’adaptation très spécifiques.
Comment éliminer ce surplus de sel pour des animaux semi-terrestres ou semi-aériens ?
En utilisant des organes déjà existants, et en leur donnant des capacités supérieurs dans ce but unique.
Les glandes à sel sont des sortes de petits reins supplémentaires qu’on trouve chez divers animaux, tels que l’Evolution les a mis en place.
Chez les élasmobranches (requins et raies), ces glandes seront au niveau du rectum, chez les oiseaux de mer au dessus du bec, et chez les tortues marines, ce sera une adaptation d’une glande lacrymale, la glande de Harder.
Prenons le cas des goêlands qui ont été bien étudiés. La glande à sel est appellée glande orbitale, elle est constituée comme un néphron, avec une partie « glomérule » qui évacue les sels des capillaires sanguins, et une partie tubule destinée à récupérer le maximum d’eau, laissant alors filer un liquide sirupeux très riche en sel. Différence avec les néphrons de l’urine : ces glandes sont totalement indépendantes des hormones citées plus haut.
Chez les reptiles, les glandes à sel sont des glandes salivaires transformées (cas des crocodiles), ou bien des glandes lacrymales (tortues). Pour ces dernières, ’est d’ailleurs une transformation assez facile, puisque les larmes (isotoniques du sang) sont déjà une manière de « produire du sel » et de l’évacuer avec profit pour irriguer la cornée et les paupières …
Angelina Viva