En pleine taïga, ce cratère impeccable sorti de nulle part pose un problème que les savants russes n’ont toujours pas résolu. Il faut dire que chaque mission scientifique sur le sujet est une véritable expédition.
Les populations locales connaissaient bien cet éboulis de grande taille aux formes régulières. Les Yakoutes d’ailleurs ne s’en approchaient pas, suivant en cela d’autres animaux comme les cerfs, ils l’appelaient « le nid d’aigle de feu ».
Disposée à flanc de montagne, il a la forme d’un grand cratère aux bords relevés, avec en son centre un cône constitué des mêmes matériaux, des pierres sèches où aucune végétation ne peut s’installer.
Tout autour, des arbres apparemment normaux, mais aucune trace de coulées issues de ce cratère.
Dans l’immensité de la taïga sibérienne, les scientifiques n’ont eu accès à cette structure qu’en 1949. Plusieurs expéditions ont suivi, avec d’énormes difficultés et même des décès, ce qui a renforcé la rumeur de malédiction autour de ce cratère. Et 60 ans plus tard, on peut considérer que c’est le plus beau mystère géologique contemporain.
Qui dit mystère dit explications. Et elles ne manquent pas, mais aucune ne convainc.
Une production humaine ?
Dans les années 60, on a découvert l’effroyable système du goulag, justement en Sibérie, et le plus souvent avec une activité minière. Alors, ce monticule en forme de terril, ce ne serait pas un reste d’excavations pour une mine abandonnée ? Les minéraux analysés sur place ne montrent aucune qualité minérale justifiant une . Et aucun reste d’activité humaine. On met de coté.
Une pyramide ? Elle nous rappelle tant de constructions issues de peuples du monde entier ! Mais il s’agit bien là d’un éboulis naturel, pas d’une construction. Et puis dans les alentours, aucun site similaire, ni même aucune légende chez les autochtones. On met de coté.
Le cratère d’un volcan ?On retrouve, avec les bords réguliers de lèvres bien rondes, l’aspect d’un cratère volcanique, dans un paysage minéral comme on en trouve sur terre en Antarctique, à Hawaï, ou même sur Mars. Mais un volcan, ça crache des cendres, ça expédie des coulées qui modifient le paysage aux alentours. Ici rien de tout ça, les pierres sèches, concassées, sont restées sur place, de manière très régulière et résistent à l’érosion.
Un volcan gazeux, alors ? Du coup, on explique l’absence de coulée de lave… Les volcans gazeux eux aussi existent et on connaît leur développement : des poches de gaz (méthane, H2S, hydrogène, eau) s’accumulent dans des poches qui remontent vers la surface, et détonnent lorsque la croute terrestre cède : on a alors projection des minéraux sous jacents jusqu’à épuisement des gaz. Regardons les photos : ici, pas véritablement de projections, mais un empilement de roches fragmentées. Et puis les volcans gazeux se retrouvent généralement par groupes, dans des régions bien répertoriées … Explication plausible, mais on met de coté …
Une météorite ?Les météorites, en Sibérie, on connaît ! Celle de Toungouska, en 1908, a ravagé des milliers d’hectares de taïga, sans cratère d’impact ni de reliquat minéral. En voilà encore un de beau, de mystère ! A Patomski, une toute autre allure avec ce cratère élégant et des zones bien délimitées entre forêt sibérienne et éboulis minéral. Une géométrie qu’on retrouve sur les planètes régulièrement bombardées de météorites de pleine énergie puisque non ralenties par une atmosphère. On a bien un bord de cratère arrondi, et souvent un monticule central, un retour après impact de minéraux ébranlés, puis réaglommérés.
Et si c’était là la bonne explication ?
Les météorites présentent une constitution chimique particulière, le plus souvent à base de silicates, avec des métaux. Il était donc intéressant de fouiller dans cette direction.
Et là, plusieurs surprises :
- les roches trouvées sur place sont tout à fait communes et correspondent au substrat souterrain de la région : pas de « pierres rapportées ».
- en 2006, les géologues remarquent une anomalie magnétique, mais aussi gravitationnelle à l’aplomb du cratère. Selon leurs calculs, il pourrait y avoir du fer ou un autre matériau très dense, enfoncé jusqu’à 150 mêtres du sol. Là, ça devient sérieux, mais ça n’explique pas le petit dôme qui s’est installé au milieu du cratère. Cela supposerait deux impacts successifs exactement au même endroit, ce qui n’est statistiquement pas envisageable.
- Sur place, pas de radioactivité particulière. Mais une surprise de taille lors de l’observation des cernes de croissance de troncs d’arbres au voisinage du cratère. En effet, dans ce climat très rude, les arbres poussent très lentement, mais vivent longtemps. Et la taille de leurs cernes montre, et ceci sur de nombreux arbres, « qu’il s’est passé quelque chose » dans les années 1840, et ceci pendant une quarantaine d’années : pendant cette période, les arbres ont connu une embellie, ont connu une croissance forcenée, puis les choses se sont rétablies et normalisées. On connaît un cas similaire, c’est Tchernobyl. Dans une forêt arctique de mêmes essences : suite à l’explosion, la radioactivité répandue a contribué à détruire les végétaux les plus fragiles, ce qui a laissé lumière et nutriments pour d’autres espèces qui ont largement profité de l’aubaine. Quant à la radioactivité, elle se stabilise elle aussi peu à peu. Peut-on rapprocher ces observations ?
Pour certains, le phénomène est identique. Reste à expliquer le pourquoi d’une météorite radioactive. Issue de la planète Krypton ?
Pour d’autres, il est inutile de s’embarquer avec des explications extra-terrestres : une bonne explosion de gaz souterrains, puis une sortie régulière de vapeurs à haute température, suffit à expliquer cette embellie de croissance des végétaux pendant 40 ans …
Sauf que ces gaz auraient dû laisser une trace chimique, sur les pierres de cratère elles-mêmes, ou dans la végétation attenante. Et là, rien, nada!
Les seules traces chimiques trouvées, sont précisément au niveau des cernes élargis, en période de forte croissance : on note une accumulation de strontium et d’uranium, jusqu’à 4 fois la dose physiologique, pendant quelques dizaines d’années, puis retour à la normale… Existe t’il des gaz terrestres qui présentent ce type d’isotopes ? Jusqu’ici, on ne connaît pas …
Et pourquoi pas un vaisseau extra-terrestre ?
C’est quand on a épuisé toutes les possibilités scientifiques connues qu’on se tourne vers d’autres sciences possibles. En l’occurrence ici la chute d’un vaisseau non terrestre qui se serait proprement liquéfié lors de l’impact, pour laisser alors cette masse dense et métallique qu’on présume enfoncée profondément sous le cratère, ainsi que des résidus radioactifs (strontium et uranium) dont l’importance aurait décliné en quelques dizaines d’années.
Une nouvelle expédition est prévue, qui devra pousser des investigations, mais sans prélèvements profonds, on peut craindre que le mystère de Patowski demeure entier.
Angelina Viva
Autres explications: pingos, diapirs ?
« Pingo » est un mot inuit pour désigner une colline de glace recouverte de terre qu’on rencontre dans les paysages arctiques. Les pingos ont une largeur moyenne de 200 mêtres pour 50 métres de hauteur.
L’eau provient du pergélisol, cette éponge hydratée des régions marécageuses glaciaires. Elle peut se déplacer vers la surface si elle repose dans des sols meubles, en faisant éclater les roches qu’elle contient par action du gel.
D’année en année (il faut des dizaines d’années pour créer un pingo), le monticule augmente de taille, et lorsque le climat se réchauffe, la glace et l’eau disparaissent, et l’on observe de multiples collines « sèches » qui subissent alors l’action de l’érosion.
Les « diapirs » correspondent à la remontée à travers de roches denses, de roches plus légères et déformables comme le gypse, des boues ou bien du magma. C’est un phénomène universel bien connu des géologues.
Dans le cas du cratère de Patowski :
- il s’agit d’un phénomène unique (les pingos sont toujours regroupés dans des système géoclimatiques favorables).
- Les roches constituant le cratère ne sont ni légères, ni ductiles, donc l’hypothèses diapir est à mettre de coté.
Et nous revenons donc à la case mystère …