Peut-on vivre sans sucres, le « carburant » normal de nos organismes ? Dans des conditions de disette extrême (ou de jeûne volontaire), on s’aperçoit que des pans entiers de notre physiologie s’organisent autrement, avec des conséquences étonnantes qu’il peut être est intéressant d’exploiter.
Que ce soit en couverture de magazines, ou bien sur les écrans télé, on n’a jamais vu autant de propositions de « régimes » alimentaires assénés par des diététiciens autoproclamés, et aussitôt rectifiés sévèrement par des pontes hospitaliers qui nous rappellent « qu’il faut raison garder » …
La plupart des régimes sont des menus d’éviction, qui consistent à supprimer tel ou tel élément supposé nocif (lait) ou mal toléré (gluten), ou encore allergène (cacahuètes).
On peut également jouer sur la quantité, et doser minutieusement chaque ingrédient (vivent les « applis » qui savent compter les calories !), avec des corrections à apporter selon l’origine des aliments et leur mode de cuisson …
Ces diététiciens médiatiques se chicornent sur des détails montés en épingle : que faut-il penser des poissons gras, faut-il choisir des œufs sans cholestérol … mais ils respectent en gros un apport minimal et diversifié en glucides/lipides/protides … ils restent dans la ligne de l’alimentation omnivore.
Et puis il y a les dissidents.
Qui ne se sentent pas obligés de manger avec une calculette, mais qui estiment que le « ressenti » constitue leur meilleur conseiller en matière de choix alimentaire.
Parmi eux, certains se fient entièrement à leur intuition (les « instinctos »), d’autres se nourrissent dans un cadre raisonné, argumenté, étayé par des études scientifiques. Ce sera le cas des régimes de type Kousmine, Seignalet, des régimes « paléo », ainsi que des différents types de jeûnes.
Et puis est apparue, de manière parfaitement raisonnée, une option qu’on peut difficilement qualifier de diététique ou d’alimentaire, tellement elle diffère des autres régimes : l’option cétogène.
L’idée de base : en éradiquant formellement les sucres de l’alimentation, on oblige l’organisme à utiliser comme carburant des substances qu’il produira lui-même en fonction de ses besoins, à partir des lipides : les corps cétoniques.
Houlà !!! Les corps cétoniques, ce ne seraient pas ces substances qui intoxiquent les diabétiques ? Donc des éléments dangereux ?
Effectivement, il faut de bonnes explications sur le sujet.
Mais l’option cétogène est une spécificité quasi médicale qu’il faut traiter à part, et ses promesses thérapeutiques sont telles qu’on peut même s’y attarder quelque peu …
Le vrai carburant, c’est le carbone …
Depuis une centaine d’années, les biologistes ont une idée assez précise de la manière dont nos aliments sont transformés en énergie, en molécules de réserve, en éléments structurels, et en divers sous produits de dégradation.
Comme le pétrole ou le charbon pour nos industries, le « carburant » alimentaire de base est constitué de chaines carbonées qui seront dégradées par oxydation ou fermentation, en cédant de l’énergie et en permettant la synthèse de tous nos intervenants métaboliques.
Ce carbone est disponible sous forme de molécules de complexité croissante :
- les sucres, depuis les petits oses (glucose, fructose) jusqu’aux macromolécules de type cellulose.
- Les protéines, depuis les acides aminés jusqu’aux protéines géantes de type globulines.
- Les lipides, depuis les acides gras jusqu’à des complexes gras comme les sphingolipides membranaires.
Les petites molécules de base sont directement digestibles, alors que les molécules complexes demandent toujours plus d’enzymes de transformation et d’énergie pour âtre absorbées, certaines étant parfaitement indigestes (la cellulose, la lignine, les scléroprotéines, etc).
Les végétaux, grâce à la photosynthèse, sont capables de produire des sucres, à partir de l’eau, du gaz carbonique (point d’entrée du carbone dans nos métabolismes), et à partir des petits sucres, toute la biochimie du vivant.
Les animaux se contentent de consommer et de transformer (grâce à des bactéries digestives) les végétaux précédents selon des modèles digestifs différents : herbivores stricts, frugivores, omnivores, insectivores, carnivores stricts … et tous les intermédiaires possibles, selon les saisons, l’altitude, l’âge individuel (la chenille herbivore devient un papillon nectarivore) et le degré d’évolution.
Revenons à l’homme …
D’après l’anatomie de notre système digestif, nous sommes des omnivores, capables de digérer la plupart des tissus animaux ou végétaux sauf certaines macromolécules (voir plus haut) et de synthétiser l’ensemble de nos métabolites (quelques exceptions : vitamine C, vitamine D, lactase des adultes etc).
Nos ancêtres du paléolithique étaient certainement des frugivores et carnivores occasionnels, avec un régime un peu « haché » selon les saisons et les opportunités, où les sucres servaient de carburant immédiat, et les graisses privilégiées comme stock tampon d’une saison à l’autre.
Il y a d’ailleurs bien des choses qu’on ignore sur leur régime alimentaire, comme la part des coquillages et des produits de la pêche (95% des traces d’habitations sont au bord de l’eau), ou leur capacité à garder des nutriments disponibles par fermentation.
Puis est intervenue la révolution néolithique : l’homme a su en quelques générations cultiver des légumineuses et des céréales, les conserver par séchage, fermentation ou cuisson, il a également asservi des animaux (volailles, moutons et chèvres, puis porcs et bovins) pour avoir un garde-manger vivant en permanence.
Ce n’est que très récemment que l’industrie s’est emparée de nos aliments pour y incorporer à la fois les éléments les plus énergétiques (les plus appétants) et les moins onéreux : les sous-produits de céréales, les mélasses de divers végétaux, les graisses traficotées à l’hydrogène pour une bonne conservation, les restes de protéines nobles, le tout bien salé-poivré-caramélisé pour imposer le goût de la marque.
Toujours est-il que le régime alimentaire de type occidental, désormais étendu aux populations du monde entier, apporte un quota énergétique (le plus souvent trop élevé) provenant pour 50% des glucides, pour 35% des graisses, pour 15% des protéines.
Remarquons au passage que ce régime repose au maximum sur les constituants les moins chers et les plus faciles à obtenir de l’agriculture mondialisée. Et que si les formulations des aliments ne sont pas trop contraignantes (et c’est le cas), on pourra facilement remplacer un ingrédient par un autre, par exemple du poulet brésilien par de la dinde polonaise, sans prévenir personne.
Les diététiciens en place fonctionnent selon un dogme très basique : ils raisonnent en considérant chaque aliment selon son équivalent énergétique supposé, avec une unité unique, la kilocalorie.
Comme si notre organisme était un moteur à vapeur qu’il faut charger en charbon selon un processus chimique bien balisé !
C’est ainsi qu’une madeleine au beurre « contient » 95 kcal, une pomme crue 54 kcal, une assiette de frites 400 kcal, etc…
Car en déterminant la composition de chaque aliment, on peut facilement calculer la capacité énergétique de cet aliment, sachant que :
1 gramme de sucre apporte 3 à 5 kcal
1 gramme de protéine apporte 4 kcal.
1 gramme de graisse apporte 9 kcal.
Cette recette est pratique, facile à mettre en œuvre, et globalement exacte pour un régime omnivore équilibré et des ingrédients sains dans un organisme en bon fonctionnement.
Mais ce raisonnement devient faux (voire fallacieux !) dans de multiples cas particuliers, tant alimentaires que médicaux.
Prenons un exemple, celui de l’alcool. Et ce n’est pas un exemple marginal, l’alcool est souvent partie intégrante de nos repas.
L’alcool (éthanol) est une molécule simple en C2 qui provient de l’action de fermentation de levures sur une molécule de glucose : C6H12O6 >> 2 CH3CH2OH + 2 CO2.
Les boissons alcoolisées contiennent de l’alcool, mais aussi des sucres sous forme de résidus des sucres du raisin, des sucres de la chaptalisation, de sirops divers rajoutés.
Or l’éthanol et les sucres ont des devenirs énergétiques bien différents :
- les sucres sont transportés par le sang (glycémie) et pénètrent dans les cellules sous l’action de l’insuline pour y être intégrés dans les cycles métaboliques des mitochondries pour donner soit de l’énergie immédiate, soit des métabolites, soit encore des réserves sous forme de graisses ou de glycogène. C’est à ce titre qu’aux sucres sont attribuées des valeurs énergétiques en kilocalories.
- L’éthanol ne va être absorbé et « travaillé » que par le foie. Mais avec des devenirs bien différents selon les circonstances : en dehors d’un repas, l’alcool va être transformé en corps cétoniques (comme les graisses en cas de jeûne). En cas d’efforts physiques (métiers physiques), l’alcool en excès n’est pas métabolisé, mais est dissipé en chaleur, alors que lors d’un repas, l’alcool est modifié en acides gras dans le foie, pour participer dans un deuxième temps à la lipogénèse (accumulation de graisses), ou bien à la synthèse de nouveaux sucres (néoglycogénèse).
Ainsi le verre de vin rouge qui est taxé de 80 kilocalories dans les tablettes de la diététique « officielle », comprend en fait 16 kcal « vraies » dues à son sucre résiduel (pour un vin rouge : 4 grammes /l, pour un blanc moelleux : 30 grammes/l), et 64 kcal attribuées à l’alcool, mais qui participeront à des métabolismes totalement différents : on mélange les navets et les carottes …
Il en est de même pour des aliments auxquels on attribue une énergie donnée, sans tenir compte de leur degré de cuisson : le riz juste cuit demande un effort digestif intense pour sa digestion, et il restera même des grains non assimilés, alors qu’un riz bien cuisiné, qu’on a fait gonfler lentement puis chauffer doucement mais longtemps, va laisser s’échapper bien plus de sucres digestibles, parfois deux fois plus.
A l’inverse, si l’on rajoute de l’huile de coco durant la cuisson, on bloque la sensibilité de l’amidon aux amylases de 60% !
Ainsi, la même assiettée de riz pourra comporter un apport énergétique qui va du simple au double !
L’option cétogène, c’est comme si l’on carburait au diesel !
L’intérêt médical pour les régimes cétogènes s’est développé suite à des observations cliniques, puis selon des travaux de biologie fine concernant les métabolismes énergétiques cellulaires.
Effets thérapeutiques concernant l’épilepsie
L’épilepsie a été décrite comme une maladie nerveuse aléatoire, aussi bien dans les textes classiques (Hippocrate en avançait une origine physique (non divine) qui cédait à un régime alimentaire frugal), que dans les écrits religieux (dans la Bible, Jésus est plusieurs fois confronté à des épileptiques, à qui il ordonne des soins reposant sur le jeûne et la prière).
Dans les années 20, la clinique Mayo développe un mode de jeûne qui contient les crises, et ce pendant de longues périodes grâce à l’introduction de graisses dans le régime frugal. Ce protocole s’est mis en place à tâtons, car on manquait à l’époque de précisions sur les cascades métaboliques des fonctions métaboliques.
L’arrivée sur le marché des barbituriques, puis de nouvelles gammes de produits de synthèse a révolutionné les traitements. Environ 70% des malades ont vu leurs symptômes se réguler, mais les autres ont généralement servi de cobayes pour tester les toutes toutes nouvelles molécules, et avec des effets secondaires toujours plus violents. L’affaire de la la dépakine (effets tératogènes sur des fœtus, possiblement d’origine tant paternelle que maternelle), n’en est qu’un exemple.
En 1994, le cinéaste Jim Abrahams dont un enfant est épileptique, réfractaire aux traitements académiques, retrouve les études de la clinique Mayo vieilles de 70 ans, et impose à certains médecins de remettre en route les principes cétogènes.
Bingo ! Son fils passe spontanément d’une centaine de crises quotidiennes à zéro !
Le phénomène est lancé : Abrahams fonde une association (la fondation Charlie) et tourne un film « biopic » sur le sujet, avec Meryll Steep qui par ailleurs parraine la fondation Charlie.
Depuis, des dizaines de thèse ou d’études ont expliqué et validé le principe du régime cétogène, lequel est appliqué … en dernier ressort sur des milliers de malades réfractaires aux remèdes, et sous surveillance médicale.
Ce sont le plus souvent des enfants qui sont soignés ; avec pour commencer deux ou trois jours de jeûne destinés à épuiser toutes les réserves glucidiques, puis de provoquer une dégradation des graisses, contrôlées en permanence en surveillant la glycémie sanguine et les cétones urinaires.
A vrai dire, l’explication rationnelle du succès de cette option cétogène est encore à trouver, on se contente d’observer l’innocuité du régime et les progrès cliniques ….
Effets thérapeutiques concernant le syndrome métabolique
Lors de ce syndrome qui est devenu courant, le ou la malade accumule des dérives métaboliques, telles qu’un embonpoint abdominal, une hypertension, et une élévation concomitante à la fois de la glycémie, du taux d’insuline, du cholestérol, et des triglycérides. Cet état morbide dégénère souvent en diabètes de type 2, en accidents vasculaires, en dépressions, en inflammations diffuses et en cancers.
La cause supposée, en est la consommation excessive de sucres raffinés qui font grimper par pics successifs la production d’insuline, avec très rapidement une insulinorésistance qui entraîne tout le reste.
On comprend bien que l’arrêt brutal de la présence de sucres dans le sang vienne remettre à plat l’ensemble des métabolismes, le plus dur étant de tenir le coup pendant des mois ….
Effets thérapeutiques concernant l’obésité et le diabète de type 2
On est là dans le droit fil du problème précédent, dégénéré en maladie. Le régime cétogène bien mené permet de diminuer, voire d’arrêter les prises de médicaments qui contrôlent la glycémie.
Le succès de ce régime montre bien que l’obésité ne provient pas d’ un excès de graisses, mais d’une surcharge répétée de sucres dans l’alimentation
Effets thérapeutiques concernant des maladies rares.
Le DPD (déficit en Pyruvate déshydrogénase) est une maladie métabolique grave due à un défaut génétique de production de cette enzyme indispensable au bon fonctionnement du cycle de Krebs : les sucres ne peuvent pas être métaboliser et s’accumulent, en particulier dans le cerveau, en acide lactique. Le régime cétogène permet de squeezer cette anomalie et de faire fonctionner tout l’organisme selon le cycle des corps cétoniques, et ceci à vie …
La maladie de Vivo, ou déficit en transporteur de glucose. Là encore, il s’agit d’un déficit d’origine génétique, concernant une molécule (GLUT 1) essentielle au transport du glucose dans la circulation sanguine. Avec en particulier des symptômes neurologiques comme une épilepsie sévère, ou une baisse drastique du tonus. Aucun remède efficace, c’est le régime cétogène qui sauve des vies.
Effets thérapeutiques concernant la maladie d’Alzheimer
On sait peu (ou trop ?) de choses sur l’étiologie de cette maladie dégénérative. Toujours est-il que les neurones touchés reçoivent bien « leur dose » de glucose, comme toutes les autres cellules du corps, mais elles sont incapables de l’utiliser correctement. D’où ces symptômes divers correspondant à une paralysie des réseaux concernés. Mais on constateque le régime cétogène « réveille » ces cellules en les faisant carburer autrement (travaux du Dr Serrand).
Effets thérapeutiques dans le domaine du cancer
On entre là dans un domaine de polémique scientifique, voire politique, car autant les maladies métaboliques sont soignées au coup par coup, avec une ouverture très nette du corps médical pour des actions diététiques, autant « le » cancer est une chasse gardée, dont les soins sont réservés à des « spécialistes », dans le dogme toujours actuel des cellules cancéreuses qui ont muté et qui se développent à l’infini sans espoir de retour, sauf de les anéantir …
Le régime cétogène, rappelons le, a été imaginé et développé de façon tout à fait empirique (mais rigoureuse), pour soulager des malades de l’épilepsie.
Et sur le nombre de patients « cétonisés », on a pu voir, à coté des progrès en neurologie, des améliorations sur les mêmes patients sur d’autres affections, en particulier métaboliques.
Mais en même temps, les progrès en physiologie permettaient de faire un parallèle entre les diètes cétoniques et les jeûnes prolongés, et en allant plus loin, avec les phénomènes naturels de métamorphoses chez les insectes ou les amphibiens.
Avec en ligne de mire un bel objectif : inverser la flèche du cancer dans les cellules malades et les ramener à la normale …
Retour sur des bases de biologie animale …
Pourquoi et comment une chenille se transforme t’elle en papillon ? Avec les mêmes gènes dans leurs chromosomes ?
Les insectes (comme l’ensemble des arthropodes) sont engoncés dans une carapace solide : ils ne peuvent avoir une croissance continue, il leur faut régulièrement sortir de la carapace en cours et alors grandir en taille, puis faire durcir très vite un tégument qui sera la nouvelle carapace. Et ceci jusqu’à la dernière transformation, bien plus importante (on parle alors de métamorphose), suite à laquelle un nouvel individu apparaît, totalement différent sur un plan anatomique et physiologique : un papillon, un hanneton ou bien un moustique …
On a cherché bien sûr quels facteurs intervenaient pour provoquer une telle manifestation. La saison, la lune, la température, des phéromones d’insectes alentour, autant de causes externes nécessaires, mais qui induisent surtout un phénomène essentiel : l’arrêt de l’alimentation. Autrement dit le jeûne.
Toute métamorphose commence par une alimentation forcenée et l’accumulation de réserves essentiellement lipidiques, et se poursuit par une privation totale de nourriture (essentiellement glucidique) à l’abri d’une coque protectrice, la chrysalide.
Il se produit une lyse, une auto-digestion généralisée de tous les tissus (sauf peut-être de certains neurones qui serviront de matrice, le débat n’est pas clos), la chrysalide à un certain moment ne contient plus qu’une masse poisseuse sans aucune forme, mais qui présente une activité d’anabolisme intense. En quelques jours, de nouveaux tissus sont constitués, de manière parfaite, tout prêts à fonctionner selon des règles entièrement nouvelles, qu’il s’agisse des fonctions de respiration, d’alimentation, d’excrétion, avec en prime l’apparition d’organes sexuels dont la larve était dépourvue … Et d’entrée de jeu, dès sa « renaissance », le jeune insecte sait reconnaître ses aliments ou ses proies, sait se méfier des prédateurs (il reproduit d’ailleurs les même réflexes que la larve qui l’avait précédé …).
Ainsi, on a sous les yeux un phénomène tout à fait naturel, qui a façonné le monde animal, et que l’on peut comprendre ainsi : sous l’action d’un stress alimentaire intense, un organisme vivant peut subir une « déprogrammation » totale de son fonctionnement génique, suivi d’un « reprogrammation » des mêmes gènes … qui supportent d’ailleurs en eux-mêmes le logiciel de cette reprogrammation.
Bon, d’accord, mais quel rapport avec le cancer et le régime cétogène ?
Hé bien il faut aborder là le fond du problème en cancérologie.
La médecine actuelle considère les cellules cancéreuses comme des entités ennemies, dont le potentiel génétique a dévié irrémédiablement (d’où l’éternel discours sur les mutations cancéreuses), et qu’on ne peut contrer qu’en les supprimant physiquement, et brutalement s’il le faut …
Or, la cancérisation est un phénomène complexe, très diversifié, qui s’emballe lorsque un tissu subit une agression soit violente (UV solaires sur la peau), soit insidieuse (tabac, amiante), du fait d’une inflammation chronique et d’une souffrance cellulaire.
Les cellules en difficulté, avec en particulier un étouffement des mitochondries, modifient leur mode de fonctionnement et entament le « plan B », celui de la survie.
Pour cela, elles « décrochent » du mode respiratoire (glucose>pyruvates dans le cytoplasme>ATP dans les mitochondries), pour engager le mode fermentaire (glucose>lactates et ATP dans le cytoplasme). Un mode de fonctionnement qu’on a appelé « ancestral », car on le retrouve chez les organismes unicellulaires très anciens, d’avant l’arrivée de l’oxygène dans l’atmosphère terrestre, donc avant l’apparition des mitochondries dans le monde animal.
Un mode de fonctionnement alternatif, qui repose sur la mise en route de programmes géniques déjà en place dans les chromosomes de toutes les cellules … Il ne s’agit pas de mutations ! Les mutations viendront plus tard, lorsque par mitoses successives trop rapides et incomplètes, des fragments de gènes se perdent, se mélangent pour créer une pagaille monstre dans le génome des tissus cancérisés.
L’importance de l’insuline.
Les cellules cancéreuses en mode fermentaire ont un impérieux besoin en glucose, car leur rendement énergétique est faible : à production égale d’ATP, il leur faut 8 fois plus de glucose qu’une cellule saine.
Donc elles ne prospéreront que si le glucose est en abondance dans le sang.
Mais cela ne suffit pas : le glucose ne pénètre dans une cellule que lorsqu’il est accompagné de son hormone pancréatique dédiée : l’insuline. Et cette insuline est secrétée chaque fois qu’on consomme des sucres, en particulier les petits sucres rapides, comme le saccharose ou le fructose.
D’ailleurs, les malades du diabète de type 2, qui ont un taux de sucre important dans le sang, ne « font » pas plus de cancers que les autres, car chez eux l’insuline est inefficace et le glucose reste à s’accumuler dans le sang.
On comprend alors tout l’intérêt du jeûne en cas de cancer, tout l’intérêt de régimes pauvres en sucres pour éviter la cancérisation (quand par exemple on est au stade de l’ adénome), et, puisqu’il s’agit de notre sujet, du régime cétogène pour réduire drastiquement l’alimentation des tumeurs en glucose.
Avec un régime sans aucun glucide, la production d’insuline reste à son minimum, et les cellules cancéreuses ne pourront pas absorber les molécules de glucose qui sont tout de même produites par le foie (néoglycogénèse) à partir d’acides gras ou d’acides aminés.
Un médicament, la metformine, permet d’ailleurs d’accentuer cet effet de rétention du glucose dans le sang. En principe destiné aux diabétiques, il est considéré comme un très bon remède d’appoint pour le cancer, et ceci sans tuer une seule cellule …
Jeûne versus régime cétogène
Comment comparer ces deux régimes, qui au final ont un même objectif : déconnecter l’organisme de son fonctionnement en mode respiratoire à base de sucres, pour l’entrainer vers un fonctionnement à base de graisses. En quelque sorte, passer d’une carburation au supercarburant à un mode diésel (même si le diésel actuellement n’a pas bonne presse…).
Le jeûne est à comprendre comme un exercice temporaire, une action momentanée de détoxication qui va purger l’organisme de ses trop pleins métaboliques accumulés dans le conjonctif, voire dans des tissus qui n’en peuvent plus. Des jeûnes réguliers de quelques jours, à renouveler selon besoins. Récemment, on a mesuré l’intérêt de placer ces quelques jours de jeûne avant des chimiothérapies, les cellules cancéreuses étant alors beaucoup plus sensibles aux poisons médicaux (et on peut alors alléger les protocoles).
Le régime cétogène est une option plus lourde, plus contraignante, car elle doit s’exercer sur de très longues périodes, et elle doit être calculée pour apporter précisément les ingrédients nutritifs nécessaires à l’individu.
Autant le jeûne est un phénomène naturel, partagé par de nombreux animaux (périodes de frai et de rut, hibernation), autant le régime cétogène est une invention des physiologistes pour adapter certains organismes à leurs difficultés de santé.
Les bases diététiques du régime cétogène
Petit rappel : ce régime doit couvrir au jour le jour l’ensemble des besoins énergétiques et constitutionnels d’un organisme, en écartant tout apport en sucres, tant en sucres rapides, ceux des sodas et des confiseries, que les sucres lents (pâtes, pain) de nos repas, et les sucres cachés (mélasses, texturants) dans les plats préparés. Et ceci sur une longue période, il ne doit donc manquer aucun élément essentiel.
Par ailleurs, l’organisme est malin : en cas de carences en sucres, il en fabrique lui-même à partir de lipides et surtout d’acides aminés (néoglycogénèse) : pour vraiment limiter son taux de sucre, il faut également se limiter en protéines …
D’où cette formule 3/1 qu’il faudrait respecter dans son régime, à savoir 3 doses de graisses pour une dose de protéines (et donc zéro sucre) dans la ration.
Sous contrôle médical, certains patients pourront aller plus loin dans le régime et atteindre le 4/1, en rajoutant par exemple des prises d’huiles de coco entre les repas …
Autant dire qu’il s’agit d’un chamboulement intense, à la fois pour nos habitudes alimentaires et sociales, que pour notre organisme qui doit changer de modèle physiologique.
Les ingrédients gras à privilégier
Ils vont désormais apporter l’intégralité de l’énergie, plus les lipides constitutionnels, plus tous les nutriments liposolubles.
Parmi ces lipides, on privilègera les TCM, ou triglycérides à chaine moyenne, car ils sont plus vite absorbés et produisent plus de cétones que les autres corps gras.
Ces TCM sont en abondance (60%) dans l’huile de coco, dans la crème et le beurre.
Ces lipides sont solides à température ambiante, il faut les réchauffer doucement avant de les incorporer à des préparations (sauces, smoothies, pâtés) qu’on refroidira par la suite.
A condition de ne pas les dénaturer par chauffage, l’ensemble des graisses peut être utilisées dans un régime cétogène, ce qui inclut les fromages, les graisses animales (lard, confits, rillettes…). Ne pas faire Beuhhhh … que c’est gras ! Il faut visualiser le devenir de ces graisses et se dire qu’en fait, on mange du sucre !!
Les lipides ont cette particularité qu’ils sont peu transformés entre ceux de la nourriture et ceux du corps : ainsi un animal (par exemple un saumon d’élevage) à qui on aura donné en pâture des farines de poisson rancies, gardera en lui les défauts et le goût de cette alimentation défectueuse. Ce n’est pas le cas pour les glucides et les protéines, qui sont entièrement remaniées.
D’où l’intérêt dans un cadre cétogène, de bien choisir ses produits.
Les acides gras essentiels, de chaines plus longues, vont être apportés via les œufs, les poissons gras (sardines, saumons, maquereaux, anchois, harengs), des viandes grasses comme le canard et l’oie (chair confite, foie, graisse pour de nombreuses préparation), ou bien via des végétaux oléagineux comme les graines de lin, les noix, noisettes ou amendes.
A plus faibles doses, mais intéressants pour apporter de la diversité dans l’assiette, les avocats, les cœurs de palmier, la mâche…
Les ingrédients-protéines à privilégier
Nous avons vu que la stratégie diététique du régime cétonique consiste à bloquer tous les apports en glucides, mais aussi à limiter les apports protéiques, car un léger excès d’acides aminés peut être transformé en sucres.
Il s’agit donc à la fois de susciter la meilleure utilisation possible des protéines ingérées (par l’exercice physique qui entretient la masse musculaire, par des exercices de respiration forcée), et de choisir des apports protéiques digestes, le plus complets possibles dans leur formulation en acides aminés, le moins cher possible, et accompagnés naturellement de gras plutôt que de glucides.
Nous trouvons ici les viandes, grasses à souhait, de ruminants ou de poissons (voir plus haut), les charcuteries, les œufs, les protéines de soja sous forme de tofu ou de tempeh.
En gros, c’est précisément tout ce qu’on nous a interdit depuis des dizaines d’années ! D’où le sous titre de cet article: la revanche de la mayonnaise
On y rajoutera, là encore pour améliorer des recettes, les légumes pauvres en glucides comme les brocolis, les choux, les aubergines, les champignons (pleurotes), les oignons et échalottes, les graines germées, et les fruits où les sucres ont été acidifiés, comme les citrons et les fruits rouges, mais aussi les goyaves et papayes.
Inversement, les ingrédients qu’il faut proscrire
Rappelons-le, il s’agit d’un régime strict : tous ces efforts « hors normes » n’auront d’effet que si l’organisme, qui tourne naturellement par l’oxydation des sucres, se trouve OBLIGÉ de fonctionner avec les lipides pour fournir des cétones à tout le corps !
Les aliments à exclure sont ainsi :
- tous ceux qu’on ne connaît pas, ces aliments industriels mal étiquettés qui contiennent fatalement des sucres avoués ou cachés.
- Les sucres sucrants, qu’on reconnaît au goût, et qu’on prend plaisir à garder en bouche., et qui provoquent ces « pics de glycémie » générateurs d’insuline, ce poison en cas de cancer ! Adieu miel, confiture, bonbons et jus de fruits, adieu gâteaux et desserts dégoulinants, adieu sirops et barres chocolatées, adieu apéros moelleux et liqueurs divines !
- Les sucres lents qui « tiennent au corps », mais qui vont après digestion faire grimper la glycémie sur de longues périodes. Et c’est peut-être là le plus dur : Adieu le pain, adieu les pâtes et les pommes de terre… même bardées de lardons et arrosées de crème, elles apportent un quota indésirable de glucides.
Des saveurs nouvelles à découvrir
La liste des interdits ci-dessus laisse entrevoir des régimes plutôt lourds à digérer et avec des goûts uniformes. Il ne faut pas se le cacher, ce type de régime est une épreuve, sans doute plus dure que le jeûne, puisqu’il n’y a pas de limite de temps : on fait ce régime pour se soigner, comme on prend un médicament …
Pour incorporer du plaisir gustatif dans ce pensum diététique, il est bon de disposer de toute une palette de saveurs « toutes prêtes » pour agrémenter le goût de tous ces aliments lourds et répétitifs.
A proscrire bien sûr les sauces ou bouillons industriels gavés de sucres (en général des caramels), mais savoir préparer soi-même des fonds de sauce à base de poissons ou de viandes cuites et recuites, épicées à souhait, et qu’on peut garder en pots comme « fonds de saveurs », et à accommoder pour chaque plat avec des produits frais ou des épices différentes.
Les plats « céto » seront également améliorés avec l’adjonction de citrons confits, d’herbes aromatiques (il y en a toujours à découvrir !), ou par leur mise en marinade qui entame la digestion des viandes et des poissons.
A lire: Céto-cuisine, 150 recettes cétogènes
Par Magali Walkowicz, aux éditions Thierry Souccar.
Ecrit par une diététicienne renommée (également auteurs du « compteur de glucides », au même éditeur), cet ouvrage tout à fait complet fait le tour des choix des ingrédients, des recettes pour faire varier les menus et pour égayer des repas qui pourraient être tristes et difficiles à partager.
La mise en route du régime
Disons le d’entrée, ce régime ne supporte pas l’amateurisme. Il ne met pas en jeu la santé (voir tout de même les contre-indications), mais il est inutile s’il n’est pas réalisé soigneusement, et plus grave, il pourra être critiqué à tort par des gens déçus mais qui s’y seront mal pris. Si vous êtes impatients ou maladroits, c’est raté d’avance, mais n’en dégoutez pas les autres !
L’accompagnement médical est il obligé ? Comme dans le cas des jeûnes prolongés, il serait bon de disposer avant l’épreuve d’un check up complet, prescrit et commenté par un médecin. Les généralistes sont assez frileux sur l’exercice, ils vous renverront vers un diététicien avec qui vous pourrez prendre le temps des explications et des conseils.
Si ce projet de régime correspond à une pathologie (neurologique ou métabolique), il serait bon que le spécialiste en question soit tenu au courant. Et donne son avis , en particulier par rapport aux prises de médicaments qu’il a initiés. Ne croyez pas qu’il sera forcément contre : votre démarche correspond à un échec médical, il sera intéressé d’en suivre les développements.
Les contre-indications reconnues sont le diabète (de type 1), les insuffisances hépatiques et rénales, et certaines anomalies métaboliques spécifiques si elles ont été décelées.
La mise en route se fait progressivement, sur une semaine, en supprimant peu à peu les glucides, d’abord les fruits et les sucres « sucrants », puis les sucres lents en testant leur remplacement par des plats toujours plus gras.
La mise en route du fonctionnement en mode « cétose » occasionne des symptômes qui permettent de savoir qu’on a « franchi le pas » et que l’organisme est désormais sur sa lancée :
- des maux de tête (passagers vers le 3ème jour, comme pour le jeûne).
- Une faiblesse jusque là inconnue (hypoglycémie de départ), elle dure elle aussi quelques jours.
- Une haleine déplaisante « odeur de l’acétone volatile qui s’échappe via la respiration.
- L’apparition des corps cétonique dans l’urine : on peut les visualiser avec des bandelettes à imbiber d’urine. Ces bandelettes sont disponibles en pharmacie, en para, ou bien sur les sites spécialisés sur internet.
Les repas à la maison sont la règle : vous avez tout sous la main, vous avez le temps et surtout pas de comptes à rendre, pas d’explications à donner. Le cadre familial sera impressionné par vos efforts, mais sera solidaire.
Ce qui n’est pas le cas au dehors. Il est contraignant de suivre ce régime en collectivités : se restreindre au plat de viande principal et apporter le complément fait à la maison, de type œuf dur/salade pour l’entrée, fromage à manger sans pain, et sorbet fruits rouges fait maison pour le dessert.
L’odeur d’acétone pourra en rebuter certains. Il est bon de les prévenir que vous n’êtes pas en train de tomber malade, mais plutôt en train de guérir …
La fringale de sucre est une réalité, elle risque de tout faire capoter … Testez alors votre résistance en ayant sur vous un thermos de tisane (infusion de réglisse, ajout éventuel de stévia) qui apportera au moins la saveur.
La faiblesse transitoire due à l’hypoglycémie ne dure pas, et en quelques jours, le patient est capable de faire des exercices physiques conséquents. Le régime cétogène est d’ailleurs pratiqué par des athlètes de haut niveau dans les sports d’endurance (athlétisme, ski de fond).
Jean-Yves Gauchet