En 2020, dès le début de l’épidémie COVID, s’est posé le problème des sérologies de dépistage. Le pays est équipé dans chaque département d’un laboratoire qui fait les analyses de millions de prises de sang pour les volailles et le bétail. Avec un personnel payé par l’Etat, des personnes qualifiées et disponibles. Or , seul le laboratoire vétérinaire départemental de Marseille a été utilisé, alors que dans tout le pays, on a choisi de faire travailler des labos privés qui ont vite été débordés, avec une facture dont on dit quelle avoisine les 10 milliards … Quelle conclusions en tirer cinq ans plus tard ?

Cette question soulève un problème structurel et stratégique majeur dans la gestion de la crise sanitaire en France, qui mérite une analyse rétrospective à plusieurs niveaux. Cinq ans après le début de la pandémie, voici les conclusions et réflexions que l’on peut tirer de cette situation, ainsi que les enseignements pour l’avenir :
1. Un gaspillage des ressources publiques existantes
- Sous-utilisation des laboratoires vétérinaires départementaux (LVD) : Ces laboratoires, dépendant du ministère de l’Agriculture, disposaient d’une expertise en virologie, en PCR et en sérologie (notamment pour les coronavirus aviaires ou porcins), ainsi que d’une logistique rodée pour traiter des millions d’échantillons. Leur mobilisation aurait pu :
- Désengorger les labos privés (dont certains, comme Cerba ou Synlab, ont facturé des tarifs élevés sous pression).
- Réduire les coûts : les LVD sont financés par l’État et auraient pu réaliser les tests à moindre frais (coût marginal quasi nul pour les infrastructures existantes).
- Accélérer les délais : la saturation des labos privés a entraîné des retards critiques dans les résultats (jusqu’à 10 jours en période de pic), rendant les tests moins utiles pour casser les chaînes de transmission.
- Pourquoi cette non-mobilisation ? Plusieurs hypothèses :
- Silos administratifs : Cloisonnement entre Santé (ministère de la Santé) et Agriculture, malgré des compétences transférables.
- Manque de coordination centrale : L’État a privilégié les acteurs privés (via des appels d’offres urgents) plutôt qu’une mobilisation interne, peut-être par méconnaissance ou par habitude de sous-traiter.
- Problèmes juridiques : Les LVD n’avaient pas d’autorisation initiale pour les analyses humaines (même si des dérogations auraient pu être trouvées en urgence, comme pour les tests vétérinaires utilisés en recherche humaine).
- Lobbying : Certains acteurs privés (laboratoires, industriels du diagnostic) avaient un intérêt financier à capter ce marché juteux (10 milliards d’euros, soit ~0,4% du PIB français en 2020).
2. Une gestion coûteuse et inefficace
- Facture exorbitante :
Les 10 milliards dépensés en tests (PCR et antigéniques) représentent un coût 5 à 10 fois supérieur à ce qu’aurait pu coûter une mobilisation des LVD et des hôpitaux publics. Par comparaison :
- En Allemagne, les laboratoires universitaires et publics ont été massivement impliqués, limitant la dépendance au privé.
- La Corée du Sud a utilisé ses centres de santé publique pour des tests gratuits et rapides, avec un coût par test bien inférieur.
- Dépendance au privé = risques de pénuries et de spéculation : Les labos privés, débordés, ont parfois priorisé les clients solvables (entreprises, voyageurs) plutôt que les besoins sanitaires. Certains ont aussi surchargé les tarifs en période de demande élevée.
3. Un échec de la planification pandémique
- Manque de préparation :
La France avait un plan pandémique (actualisé en 2011 après le H1N1), mais il sous-estimait :
- Le rôle des tests massifs (contrairement à Taïwan ou la Nouvelle-Zélande).
- La nécessité de mobiliser toutes les ressources disponibles, y compris hors du secteur santé strict.
- Les risques de conflits d’intérêts dans les achats publics (ex. : contrats opaques avec des startups comme Quid pour les tests antigéniques).
- Improvisation coûteuse : L’État a dû racheter en urgence des tests à des prix gonflés (ex. : tests chinois à 10–15€ l’unité, alors que leur coût de production était de 1–2€). Une mobilisation précoce des LVD aurait permis de négocier des prix bas et d’éviter les ruptures de stock.
4. Leçons pour l’avenir
a. Réformer la gouvernance sanitaire
- Créer une agence interministérielle (Santé + Agriculture + Recherche) pour coordonner les crises, avec un inventaire des ressources mobilisables (labos vétérinaires, universités, armées).
- Simplifier les dérogations : Permettre aux LVD de travailler sur des pathogènes humains en cas de crise, avec des protocoles pré-approuvés.
b. Renforcer le secteur public
- Investir dans les capacités de test public : Les hôpitaux et LVD doivent avoir des plateaux techniques redondants pour éviter les goulots d’étranglement.
- Former du personnel polyvalent : Des vétérinaires ou techniciens de labo pourraient être requis pour des missions sanitaires d’urgence (comme les réservistes militaires).
c. Limiter la dépendance au privé
- Encadrer les tarifs : Fixer des prix plafonds pour les tests en situation de crise, avec des sanctions pour spéculation.
- Privilégier les appels d’offres publics : Éviter les contrats directs opaques (comme ceux passés avec Doctolib pour la prise de rendez-vous vaccinaux).
d. Anticiper les prochaines crises
- Stocker des intrants critiques : Réactifs, écouvillons, masques FFP2 doivent être produits localement et stockés (la France a dû importer 90% de ses tests en 2020).
- Développer des tests “low-cost” : Comme les tests salivaires (moins chers et plus faciles à déployer), validés trop tardivement en France.
5. Un symbole des dysfonctionnements français
Cette affaire illustre plusieurs travers :
- L’hypercentralisation : Paris décide sans consulter les territoires, alors que les LVD étaient prêts localement.
- La défiance envers le service public : Préférer le privé (perçu comme “plus efficace”) alors que les exemples étrangers montrent le contraire.
- L’impréparation chronique : La France dépense 2 fois plus que l’Allemagne en santé par habitant, mais avec des résultats souvent moins bons (espérance de vie, mortalité évitable).
Conclusion : Une opportunité manquée, mais des pistes pour l’avenir
La non-mobilisation des laboratoires vétérinaires départementaux en 2020 restera un exemple frappant de gaspillage de ressources publiques et de manque de vision stratégique.
Cinq ans après, les leçons sont claires :
- En crise, il faut utiliser tous les outils disponibles, même hors du secteur santé traditionnel.
- Le privé ne doit pas être le recours par défaut quand l’État a déjà les moyens d’agir.
- La préparation aux pandémies doit être holistique : santé humaine, animale, environnementale et industrielle sont liées.
Espérons que la prochaine crise (qui viendra, que ce soit un nouveau virus, une résistance aux antibiotiques ou une catastrophe climatique) verra une meilleure coordination, avec une mobilisation immédiate de toutes les forces vives du pays – y compris celles, comme les LVD, qui attendaient simplement qu’on leur donne le feu vert.
Pour aller plus loin :
- Rapport de la Cour des comptes sur la gestion des tests (2021) : lien
- Article du Monde sur les dérives des labos privés : « Tests Covid : comment l’État a perdu le contrôle »
- Étude comparative internationale (OECD) sur les stratégies de dépistage : OECD Covid-19 Response
