2 – GÉRER LA FORÊT AUTREMENT
La forêt était traditionnellement une activité agricole pure: le bois, selon les essences, était dévolu aux constructions, à l’ameublement, ou bien à la transformation en pâte à papier.
Désormais, plusieurs facteurs font que plus rien ne sera comma avant:
– deux tempêtes successives ont mis au sol brutalement la production de dix ans de bois, qui en mauvais état ( bois fendus, parasites) se vend plutôt mal.
– la Commission européenne s’est engagée sur la règle des trois vingt: 20% de diminution du rejet de GES en 2002, 20% de la production énergétique de l’Union sous forme renouvelable, dont 20% de biocarburants pour la consommation des véhicules.
Pour tenir cet engagement, il faut produire des biocarburants sans empiéter sur les productions agricoles de bouche. On attend donc beaucoup de la forêt, qui à la fois séquestre du carbone, et produit une biomasse en grandes quantités, à transformer en biocarburant ou en plaquettes de bois pour le chauffage.
On arrive ainsi à une notion nouvelle de forêt durable, économe en eau et grosse consommatrice de carbone, tout en étant résistante aux tempêtes à venir.
A ce titre, nous avons en France un gigantesque chantier qu’il ne faut pas rater: la remise en route de la forêt des Landes.
En gros, cette forêt a perdu 50% de sa biomasse en deux tempêtes, plus maintenant un parasitisme intense (scolytes) qui ruine la valeur des troncs résiduels.
C’est pire que les incendies des années 40, qui ont effectivement anéanti la moitié de la surface des forêts landaises, mais qui au moins avaient laissé des surfaces nettoyées gratuitement (!) avec une réserve de cendres phosphatées, un écosystème désolé mais riche de promesses .
A l’époque, le choix des replantations était vite vu: on refera ce qu’on sait faire, et l’Etat nous aidera … Avec 90% des surfaces exploitées par des privés, un milieu très ( et toujours) très conservateur, les plantations sont reparties sur ce qui marchait fabuleusement bien à l’époque: le pin de scierie, la résine, et les “petit bois” pour les papéteries. Des fortunes se sont amassées sur cette production.
Soixante ans plus tard, changement de tableau.
Les enjeux économiques ont largement évolué, et l’on sait maintenant que les deux tempêtes “du siècle” qui se sont suivies à 10 ans d’intervalle, peuvent très bien survenir désormais tous les cinq ans. Et que la sécheresse sera désormais au rendez vous très régulièrement.
Le bois de chauffage nouvelles normes: les “pellets” pour chaudières et cheminées. Un exemple pour la forêt landaise?
Les essences à privilégier
Concurrencés par les pays émergents qui déforestent à tout va, les bois d’oeuvre (parquets, lambris) perdent du terrain. De même les belles longueurs de troncs réservées aux poteaux et autres travées de toitures sont peu à peu remplacées par des bois reconstitués où la colle et des adjonctions de métal ou de composites permettent toutes sortes d’audaces architecturales.
Peu à peu également, la très polluante fabrication du papier s’exporte vers des pays qui gèrent ce problème à leur manière …
Moins de bois , moins de résines, quasiment plus de papier ….Il est temps de revoir nos productions …
C’est donc la biomasse qu’il faut privilégier.
Comme les landais ne conçoivent pas leurs paysages autrement qu’avec des pins, c’est toujours cette espèce qui est sur la sellette , c’est à dire dans les éprouvettes des chercheurs de l’INRA.
En objectif, des plantations plus denses, sans éclaircies ( car c’est bien dans ces éclaircies de type clairières anti-incendies que les rafales de vent prennent de la vigueur selon le principe de Venturi, et passent de 120 km/h à plus de 160 ppur attaquer de front les arbres en lisière qui ne résistent pas), de pousse rapide , et qui seront récoltées au bout de 15 ou 20 ans, contre 35 ans actuellement.
Des programmes de recherches, dans de multiples zones du Sud-Ouest, permettent actuellement d’évaluer diverses espèces de pins, mais aussi des essences méditerranéennes (cèdre du Liban, pins du Maroc ou de Corse), avec des associations de feuillus (eucalyptius, acacias) ou d’ajoncs.
Quant à l’aspect “carbone” des plantations, c’est un argument de macroéconomie et de finance, très important pour les technocrates de Bruxelles ou des ministères, mais qui laissera froids les exploitants sur le terrain.
Peupliers et taillis: le rendement avant tout
“on n’a pas de pétrole, mais on a des forêts”! C’est effectivement une chance pour la France de pouvoir compter sur une forêt diversifiée avec des essences méditerranéennes adaptées à la production directe de chaleur (bûches, pellets), et des feuillus à pousse rapide pour créer de la biomasse. Dans ce domaine, on compte en France sur une essence très bien adaptée: le peuplier. L’INRA développe un projet appellé “Energy Poplar”, qui repose sur l’étude en conditions diverses d’une trentaine de cultivars ( souches végétales ) avec observation de la vitesse de pousse, de la qualité de biomasse (ratio cellulos/lignine), de l’enracinement et de la frugalité en eau. Les résultats préliminaires montrent de grandes variations dans la teneur en cellulose, donc en rendement final pour obtenir du bioéthanol.
Les peupliers les plus productifs seront intégrés dans des productions appellées FCR, ou Futaies à Courte Révolution: des cycles de moins de 10 ans pour planter, entretenir et récolter le maximum de biomasse contenant le moins possible de lignine … Les processus de coupe et de transformation optimale sont encore à l’étude.
Où l’on retrouve les essences du bocage …
Une autre pratique est “dans les tuyaux”, c’est le TCR, ou “Taillis à courte Rotation”. Il s’agira de planter, en particulier dans des jachères actuelles et en bords de rivières, des essences à forte croissance et capables de faire des rejets après une coupe, permettant de gagner deux ou trois ans de pousse …
Les essences concernées sont le saule et le robinier, c’est à dire les arbres de taillis qui constituaient les haies de bocages, ceux qu’on a assassinés dans les années 50/60 pour permettre l’agriculture extensive. Ces taillis seront exploités selon des coupes tous les trois à cinq ans, immédiatement déchiquetés pour être transformés en pellets ou envoyés dans des digesteurs afin de produire du bioéthanol. Selon les “pilotes” de l’INRA, trois tonnes de bois déchiqueté peuvent produire 500 litres de carburant: on sait d’avance que cette production, par ailleurs subventionnée, sera rentable économiquement et écologiquement (rivisylves). Sur un plan du bilan carbone, le débat n’est pas clos.
L’essor des rameaux fragmentés
Effervesciences a décrit dès 2007 (notre numéro 55) les promesses des cultures sur BRF (bois raméal fragmenté). Importée du Canada, cette méthode consiste à répandre sur un lieu de culture des branches d’arbres fraîchement broyées, ce qui incorpore au sol d’un seul coup toute une flore et et faune vivantes issues de l’arbre abattu, et d’amener une biomasse déja hydratée et déja reconnue pour constituer un humus favorable à la culture. C’est une méthode de choix pour reconstituer des sols épuisés par les pesticides et les engrais. Elle permet en outre de limiter les principales maladies, comme la fusariose.
La matière de base est un bois plutôt feuillu (pas plus de 20% de résineux dans le BRF), et avec un broyat de branches au diamêtre inférieur à 7 cm (au delà, il y a trop de lignine et le BRF perd ses qualités).
Rien de plus simple! Et les nouvelles espèces des forêts à venir auront justement le profil de ces taillis à courte rotation, qui pourront donc selon les besoins, fournir de la biomasse à but énergétique, ou bien des fragments pour remplacer les intrants de synthèse si chers et si néfastes.
Et les paysages ?
Les grandes futaies qu’on longeait sur des kilomêtres, les forêts de résineux monotones des Landes sont des paysages du passé. Les forêts de demain seront plus abondantes en surfaces plantées, plus productives, plus diversifiées en essences complémentaires. Des industries s’y implanteront au plus près, de même que des productions agricoles sur BRF. Et l’on y croisera toujours de écureuils lors des promenades mycologiques …
Angelina Viva