La musique, ou tout au moins une ambiance musicale, peut exercer une influence majeure sur notre appréciation de la nourriture.
On sait que la couleur des mets, leur présentation, la taille de l’assiette, peuvent jouer sur notre intérêt gustatif, l’odeur bien évidemment joue elle aussi un rôle essentiel.
Mais les sons ?
Les sons d’ambiance sont porteurs d’émotions attachées à nos souvenirs, et on peut leur faire correspondre des plats sur lesquels ils auront une empreinte gustative.
Des sons qui sont ressentis comme de la nourriture, n’est ce pas là un mélange des sens qui frise la synesthésie ?
Sans doute non, mais un peu quand même … la synesthésie est ce phénomène où chez un individu (4% de la population), les flux sensoriels se mélangent et s’intriquent à tel point qu’un son a une couleur a un son , une odeur a une forme, un chiffre une odeur …
Il s’agit là d’une pathologie permanente qu’on peut visualiser et suivre en utilisant l’IRM fonctionnelle : des zones normalement dédiées à un seul sens sont stimulées en même temps que d’autres, d’où ces ressentis multiples (très féconds sur le plan artistiques) qu’on peut aménager, mais sans les guérir.
Revenons à nos ambiances musicales gastronomiques.
On sait depuis belle lurette que des ambiances joyeuses, si possible bien arrosées, améliorent les sensations gustatives. Les « chansons à boire » et les refrains d’anniversaires installent des émotions positives, un état d’euphorie et de satisfaction des sens.
Mais peut-on « viser » par voie sonore des aliments particuliers et provoquer un émoi gustatif spécifique ?
Certains restaurateurs contemporains (et très forts en marketing) ont pris des initiatives dans ce domaine.
C’est le cas de Henry Blumenthal, du restaurant anglais « the Fat Duck », qui a ajouté au menu un plat nommé « the Sound of the Sea », lequel consiste en un salmigondi de fruits de mer garni d’une coquille de conque dans laquelle est glissé un ipod distillant (via des écouteurs) un son de vagues en ressac, avec en prime le cri des mouettes. Succès d’estime pour des amateurs d’expériences sensorielles.
Les mêmes clients se voient également proposer des desserts au caramel, avec pour ambiances sonores des extraits musicaux différents, le tout dans l’obscurité pour imposer une concentration gustative aux clients. Au résultat, les convives trouvent le caramel très sucré lorsque la musique jouée au piano est aigue, rythmée, ils le trouvent amer et moins agréable lors d’écoute de notes graves jouées par des cuivres.
Ces expériences ont été reprises en laboratoire, de manière plus sérieuse, mais les résultats sont les mêmes : le même morceau de chocolat aura un goût différent selon le type de musique écouté lors de la dégustation.
De même, l’intensité sonore influe sur l’appréciation des plats. Une ambiance bruyante (même avec une musique agréable) coupe carrément l’appétit, ou restreint les critères d’appréciation.
Comment expliquer ? Notre sens du goût repose sur une innervation triple : la branche du nerf facial appelée corde du tympan, le nerf glossopharyngien, et une branche du nerf vague.
La corde du tympan part de l’extrémité de la langue vers le cerveau, et en chemin, elle traverse la membrane tympanique de l’oreille moyenne : de ce fait, les informations de nos papilles s’imprègnent au passage des vibrations du tympan : tout ce qu’on entend affecte directement nos sensations gustatives. On a par exemple mesuré que le bruit affaiblit le flux sensitif des saveurs sucrées et salées, alors que la saveur « unami » est au contraire rehaussée. Dans une ambiance très bruyante et dans le noir, il est difficile de dire si ce bretzel est sucré ou salé….
L’ablation des amygdales, selon son extension, peut léser le nerf glossopharyngien, avec encore là des perturbations du goût.
Les professionnels du commerce ont bien sûr trouvé des astuces de sonorisation pour influencer les clients dans le domaine alimentaire.
Dans tel supermarché écossais, on « envoie » de la musique franchouillarde d’accordéon pour vendre des vins français, ou des mélodies bavaroises pour pousser les vins du Rhin.
Les oenophiles « branchés » ont concocté des « playlists » adaptées à toutes sortes de vins, à écouter en silence pendant la dégustation. On est loin des « il est des nôtres » partagés à l’unisson…
Le rythme joue également un rôle important sur les convives : avec une musique soft, on s’attarde, on déguste, on consomme plus … Avec une musique très rythmée, rapide, on bat la mesure, on se laisse embarquer loin de l’assiette, mais on aura tendance à boire davantage.
Cette notion de rythme est considérée comme majeure pour les praticiens qui suivent des enfants souffrant de phobie alimentaire, et qu’il faut entièrement rééduquer sur le plan gustatif : l’écoute concomitante de morceaux doucereux, déjà validés par le patient, aide grandement aux progrès des soins.
Angelina Viva