C’est un phénomène plutôt rare, mais indubitable: notre corps humain est susceptible de s’enflammer (spontanément, c’est une autre histoire…) et de se consumer, sans pour autant causer de dégâts aux objets alentours. Incompréhensible, mais observé depuis des siècles par des témoins de foi et étudié sans obtenir de réponse.
« Le feu intérieur » : cette expression revient fréquemment pour décrire des attitudes violentes ou dramatiques, issues d’émotions ou de sentiments exacerbés. Mais pas jusqu’à en consumer les tissus !
C’est pourtant bien ce qui a été observé maintes fois, dans des circonstances diverses, et surtout sans cause d’ignition apparente.
NOTA: cet article n’a volontairement pas d’illustrations. Vous pouvez néanmoins naviguer ici ….
Nous avons tous en tête les images de personnes qui s’immolent par le feu, ou les victimes de bombardements au napalm ou au phosphore. Abominable. Mais au moins on en connaît la cause.
Dans un autre domaine, celui de l’incinération des dépouilles, on connaît à la mole près la quantité de carburant et d’oxygène nécessaires à la combustion d’un cadavre. Précisons qu’il n’est alors plus vivant, et que la plupart des réactions métaboliques sont alors au point mort.
Mais dans le cas des combustions spontanées, c’est un processus tout autre, mais rémanent, qui est en cause : un corps humain (à noter, on manque cruellement d’exemples équivalents dans le domaine animal) est retrouvé réduit en cendres, avec des amas graisseux fondus, à son emplacement d’origine (pas de déplacement), et sans que les objets alentours n’aient été eux-mêmes touchés par le feu. Dans certains cas, une cheminée ou une pipe auront pu servir d’amorce, dans bien d’autres cas, pas de cause apparente.
Les physiologistes du XVIème siècle, dont Descartes, décrivaient un système circulatoire auto-entretenu par la chaleur corporelle, attisée par la respiration (« qui rafraîchit les vapeurs du sang, les précipite, et les reconvertit en sang liquide dans la circulation droite ») et entretenue par la digestion. Voilà pour expliquer nos 37° de température corporelle, voire nos accès de fièvre. Mais pas une combustion réelle des tissus !
Alors on fait intervenir une cause extérieure majeure: le châtiment divin. Ces personnes avaient sans doute mal agi, envers les hommes ou contre Dieu, et c’est ainsi qu’ils ou elles ont pénétré aux Enfers. Explication un peu courte, mais suffisante pour rassurer les bien-pensants et effrayer les mauvais sujets.
Car on s’apercevait que la plupart des victimes étaient sujets à un alcoolisme appuyé. Une attitude proscrite par Mr le Curé, mais aussi des conséquences physiologiques qui allaient constituer une piste réellement scientifique … La quête a duré près de deux siècles, et n’est pas terminée.
En s’appuyant sur plusieurs dizaines de cas « historiques » ou bien qu’il aura investigué personnellement, Pierre Aimé Lair publie un ouvrage entièrement dédié à ces drames : « essai sur les combustions spontanées ». Il recense huit points importants qui semblent des dénominateurs communs dans ces phénomènes :
– une propension des victimes à boire de l’alcool jusqu’à s’enivrer : Lair y voit une imbibition des tissus organiques par l’éthanol, jusqu’à obtenir un milieu inflammable. Et ceci particulièrement lorsque la victime est grasse (« la mauvaise graisse des buveurs »).
– les femmes sont très « favorisées » par le phénomène (90% des cas), surtout si bien sûr elles sont rondelettes et qu’elles boivent.
– c’est également un phénomène qui touche particulièrement les personnes âgées. Parce qu’elles boivent plus, qu’elles sont plus grasses ?
– une combustion préexistante, en général une cheminée ou une bougie, pourrait expliquer la mise en route du phénomène via une haleine chargée de vapeurs combustibles.
– Les extrémités du corps sont généralement épargnées, soit qu’elles soient moins imbibées, moins graisseuses, ou que des témoins aient stoppé le phénomène.
– Le fait de verser de l’eau n’arrête pas le phénomène, et peut même jusqu’à le raviver.
– Les objets au contact de la victime sont le plus souvent épargnés. Comme si la température de fusion du corps était très mesurée.
– La combustion de ces corps laisse des cendres grasses et fétides ainsi qu’une suie onctueuse à l’odeur pénétrante. Comme dans le cas d’une combustion incomplète.
Les travaux de Lair servent de base pour tous les chercheurs qui à sa suite, étudieront le phénomène, et ils ne tardent pas à être critiqués (sur la base, il est vrai, de nouvelles observations).
Ainsi, certains admettent une cause éthylique (avec expérimentation sur des cadavres imbibés d’alcool), d’autres penchent pour une cause chimique également, mais par combustion des gaz intestinaux, puis par ceux de la décomposition cadavérique.
Dupuytren (le médecin qui a catégorisé les brûlures en degrés), explique cette combustion, uniquement par la graisse des tissus périphériques. Pour lui, l’alcool a sa part en provoquant des maladresses dans l’utilisation des bougies ou du tabac, et un sommeil profond jusqu’au coma : la victime se consume sans rien sentir.
De là apparaît la théorie de l’ «effet mêche ». En effet, les corps gras ne peuvent brûler que si un support végétal ou textile sert de mêche pour concentrer la chaleur et entretenir la combustion. En l’occurrence, des vêtements ou des draps font l’affaire.
Plus de femmes, parce qu’utilisation outrancière de parfums et de cosmétiques ? On retrouve là des arguments où le morale tient lieu de justification scientifique. Passons …
Certains « criminalistes » y voient systématiquement l’action d’un assassin qui profite d’un sommeil ou d’un abrutissement dû à l’alcool pour commettre un forfait qui passera pour « naturel ». Dans certains cas, le doute est effectivement de mise.
On se met alors à mesurer les températures nécessaires à un tel phénomène : pour détruire un cadavre par le feu, il faut du 1100° pendant au moins 45 minutes. Avec un apport d’oxygène important. La graisse résiduelle est alors nulle.
Dans le cas des combustions spontanées, en milieu confiné, le phénomène met plusieurs heures, respecte les objets voisins, et laisse de la graisse non consumée. Il s’agit donc d’une combustion très localisée, à basse température, comme si la victime se comportait comme une bougie. Et tout cela sans réagir !
On estime les combustions spontanées à environ 500 cas par an, dont 2 en France. Les moyens d’investigations et de mesure modernes n’ont pas fait avancer les choses.
On a part ailleurs observé des cas qui ne correspondent pas aux critères « historiques » : des gens, non buveurs, en pleine activité, qui « prennent feu » et qui parviennent à éteindre ce début de combustion.
Très récemment, Brian Ford, prof de biologie à Cambridge, avance une autre possibilité, celle de l’acétose.
L’acétose est un état du métabolisme humain qui se produit lorsque l’organisme manque de glucides et consomme alors le glycogène du foie, puis les graisses pour se procurer de l’énergie. C’est d’ailleurs un moyen insolite et efficace pour se soigner de l’épilepsie lorsque les remèdes sont inefficaces.
L’acétose peut être contrôlée (cas du jeûne), ou bien dériver vers l’acido-acétose, ce qui peut être le cas de personnes alcooliques qui ne mangent plus, ne se lavent plus (vêtements gras) et ne réagissent plus aux évènements.
Le Prof Ford a réalisé cette « manip » consistant à faire mariner de la viande de porc dans de l’acétone (versus la même viande trempée dans de l’alcool), puis à la placer dans un manchon textile, puis à lui mettre le feu. Au résultat, une combustion discrète, mais complète en trente minutes.
Cette expérience est modeste, n’a pas été répétée, mais elle trace une piste nouvelle dans l’obscurité du phénomène.
On n’a pas encore connu de jeûneur qui disparaisse dans les flammes. Et avec les milliers de femmes replètes qui (régimes Atkins un peu sévères) se mettent en situation d’acétose, on devrait avoir des centaines de cas à observer. Hé non …
Le mystère demeure.
Angélina Viva