On pourrait résumer cette grave réalité par un aphorisme teinté d’ironie :« Le jour, on soigne les maladies, la nuit, on soigne les malades ».
Dans la nébuleuse hospitalière, le personnel de nuit basé sur le volontariat, a pris le relais des « veilleuses », ces femmes sans formation qui ont « fait le job » pendant un siècle pour assumer les soins primaires d’hygiène, de réconfort, et d’alerte pour en référer à l’équipe de jour, quand la médecine pouvait enfin s’exercer.
Puis se sont mises en place les unités d’urgence 24/24, et dans les services médicaux comme chirurgicaux, on a institué la continuité des soins, avec une charge de travail médical pendant toute la nuit. Du personnel qualifié et volontaire s’occupe désormais de malades pour continuer les soins de la journée.
Mais dans une ambiance et une chaine de responsabilités totalement dissemblables.
A la tombée de la nuit, le ballet multicolore bien réglé de la médecine de jour et des familles en visite cède la place à des équipes silencieuses : les hiérarchies et les protocoles minutés s’effacent devant une efficacité individuelle qui doit surmonter mille situations non prévues dans le vade-mecum infirmier ….
Rien dans la formation des soignants (et moins que rien dans les études médicales) n’est prévu pour dispenser un savoir attaché à l’univers nocturne des hôpitaux.
Dans un cadre sécuritaire et administratif apparent, les soignants nocturnes ont à gérer à la minute des situations soit imprévues par essence, soit très délicates en terme de compétences : la hiérarchie s’est effacée pour laisser place aux initiatives individuelles, qui doivent alors chercher, souvent hors protocole, le meilleur angle d’intervention en fonction de la personne en demande.
Soigner la nuit exige une disponibilité, une qualité d’être dans un espace-temps non ponctué par les rythmes imposés tant culturels que techniques. D’ailleurs, au dire de ces soignants, la nuit est une période figée : on s’y insère dès la tombée du jour, et on la traverse sans s’accrocher à la notion d’heure, sans repère … ce sont les évènements qui guident et qui imposent.
Pourtant, « le jour » se rappelle aux nocturnes, depuis que pour des raisons de « continuité des soins », on impose à l’équipe de nuit des tâches jusque là entièrement réalisées le jour, mais que le manque de personnel oblige à déléguer aux nocturnes … sans grande considération pour le sommeil des patients. Et sans grande considération non plus pour respecter la chronobiologie (voir article) qui permettrait des traitements plus efficaces. Mais l’organisation aura « fait le job », les protocoles respectés, les médecins de jour pourront dormir tranquillement, mission accomplie …
Et c’est également la nuit que les patient peuvent le mieux exprimer, face à un soignant avec qui la confiance est installée et qui en prend le temps (et à l’abri des visites de familles souvent non désirées), leurs angoisses, leurs difficultés, leurs espoirs.
L’essor de la chirurgie ambulatoire (bonjour, on vous opère, au revoir) vise à réduire ce dernier bastion de l’accueil humain des malades … On en verra les résultats …
Angelina Viva
Avec le témoignage passionnant et émouvant d’Anne-Perraut-Soliveres, infirmière de nuit et auteur de l’ouvrage « Infirmières, le savoir de la nuit ».