La description quantique de molécules en interaction conduit à des calculs notoirement complexes dès que leur nombre dépasse quelques unités. Une étude récente a néanmoins réussi à reproduire sur une gamme étendue de températures des grandeurs dynamiques de l’eau liquide telles que la diffusion et la viscosité.
L’augmentation continue de la puissance des ordinateurs depuis 60 ans a fait faire des progrès remarquables en physique de la matière condensée en rendant possible la simulation d’assemblées de particules en interaction à partir des équations fondamentales de la physique.
Cette « physique numérique » a ainsi permis de comprendre comment les fluides s’organisent et évoluent au niveau moléculaire, et comment de ces caractéristiques microscopiques émergent les propriétés macroscopiques qu’on leur connaît : densité, viscosité, tension superficielle, etc.
Dans de nombreux cas, les équations de la physique classique sont suffisantes pour obtenir d’excellentes prédictions pour les propriétés thermodynamiques et dynamiques des fluides simples jusqu’aux mélanges complexes de polymères.
Cependant, dans certains cas, un traitement quantique des interactions moléculaires s’avère nécessaire quand par exemple les conditions de pression et/ou de température deviennent exceptionnelles, ou quand des signatures spécifiquement quantiques échappent à la description simplifiée de la mécanique classique. Malgré la familiarité que nous en avons, et son abondance partout sur Terre, l’eau est un parfait exemple où cette complexité quantique se fait jour : les interactions entre molécules ont deux visages, étant pour une part semblables aux attractions dites de van der Waals, génériques entre molécules, et pour une autre part très spécifiques de la molécule H2O, directionnelles et sélectives, les liaisons dites « hydrogène », car reliant temporairement les atomes H d’une molécule à l’oxygène O d’une molécule voisine. Ce caractère « bicéphale » des interactions est d’origine purement quantique et impacte les propriétés macroscopiques de l’eau, la plus connue étant sans doute l’anormale plus faible densité de la glace d’eau par rapport à l’eau liquide qui préserve la vie dans les lacs des régions froides.
Quand la mécanique quantique devient un ingrédient nécessaire de la description physique, le travail de simulation subit un véritable saut de complexité, et vient défier encore aujourd’hui la puissance des plus grands ordinateurs. Dans ce contexte, des chercheurs et des chercheuses de l’Institut lumière matière (ILM, CNRS/Université Claude Bernard Lyon 1), en collaboration avec des scientifiques de l’université de Zürich viennent de mener une importante campagne de simulations quantiques sur l’eau liquide pour une large gamme de températures. Ils montrent que les ordinateurs sont aujourd’hui assez puissants pour que les schémas de calcul quantique utilisés par les physiciennes et physiciens (dont la « théorie de la fonctionnelle densité », ou DFT) puissent rendre compte quantitativement de la viscosité de l’eau et de ses propriétés de diffusion, à partir d’une approche ab initio. Leurs calculs permettent également de hiérarchiser les différentes approches de DFT connues, certains schémas d’approximation échouant même à décrire la viscosité de l’eau à toute température.
Enfin, ils montrent que les propriétés dynamiques de l’eau peuvent se déduire de l’analyse de l’entropie du liquide à l’échelle de quelques molécules, ce qui permet d’accélérer significativement leur calcul, les propriétés structurales étant plus rapides à calculer que les grandeurs essentiellement dynamiques. L’enjeu est important, la possibilité de décrire fidèlement l’eau, dans sa structure et sa dynamique, étant par exemple une question cruciale pour le progrès de la compréhension des écoulements nanofluidiques. Ces résultats sont publiés dans les Proceedings of the National Academy of Sciences.
Référence
Connection between water’s dynamical and structural properties: Insights from ab initio simulations. C. Herrero, M. Pauletti, G. Tocci, M. Iannuzzi, L. Joly; PNAS, paru le 19 mai 2022.
DOI : 10.1073/pnas.2121641119
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