Malgré des intolérances au lactose et des allergies à la caséine, le lait reste un ingrédient majeur de nos régimes alimentaires. A la suite d’une histoire compliquée …
La première trace associée à la consommation de lait remonte à près de 9 000 ans, sur les terres de l’actuelle Turquie, non loin de la mer de Marmara, où des matières grasses lactiques ont été identifiées sur d’anciens fragments de poterie. Biogéochimiste à l’université de Bristol, Richard Evershed précise que son équipe a même décelé des traces de lait sur les pots les plus anciens. « Ils devaient déjà traire avant l’invention des pots, » suggère-t-il.
Au sein des premières communautés sédentaires, comme la protoville de Çatalhöyük en Turquie, le lait faisait partie d’une alimentation variée. Jessica Hendy est archéomètre à l’université de York au Royaume-Uni ; en analysant un bol de ce site datant du Néolithique, elle a identifié des traces de lait mélangées à des résidus de légumineuses comme l’orge. « Il semble qu’ils utilisaient du lait pour confectionner des plats comme nous le ferions aujourd’hui, » explique-t-elle.
Le lait semble également avoir occupé une place centrale dans les anciennes communautés pastorales, un mode vie nomade construit autour des troupeaux de moutons, de chèvres ou de bovins. En analysant d’anciens prélèvements de plaque dentaire, les chercheurs ont identifié des individus qui consommaient du lait de chèvre il y a 6 000 ans en Afrique de l’Est, où le pastoralisme présentait des avantages considérables.
« Le Sahara était en train de sécher et moins il y a de pluie, plus elle est imprévisible. Dans une telle situation, il vaut mieux déplacer les animaux vers la source de nourriture plutôt que d’attendre son arrivée à un endroit donné, » indique Fiona Marshall, archéologue et professeure émérite à l’université Washington de Saint-Louis, aux États-Unis. Dans les sociétés pastorales modernes, le lait reste un ingrédient essentiel ; dans le nord du Kenya, le régime massaï met à l’honneur le lait, le sang de vache et la viande.
Depuis leurs terres natales au cœur de l’actuelle Turquie, les techniques de l’élevage laitier se sont répandues dans le Caucase et à travers l’Europe, suivies par les éleveurs eux-mêmes. « Le lait suit la propagation de l’agriculture, ils font partie d’un même ensemble, » indique Evershed. En Pologne, les premières traces associées à la fabrication de fromage apparaissent sur une pièce de poterie semblable à une faisselle datant du 6e millénaire avant notre ère.
Il y a 3 000 ans, durant l’âge du Bronze, nos ancêtres ont peut-être utilisé du lait de vache pour sevrer leurs bébés. En analysant une série de récipients fantaisistes en forme d’animaux, dotés de tétines et extraits de tombes d’enfants mises au jour sur les terres de l’actuelle Allemagne, l’archéologue Julie Dunne rattachée à l’université de Bristol a identifié des traces de lait de vache. Dunne était particulièrement sous le charme des motifs enfantins. « Ils voulaient clairement faire rire et sourire leurs bébés. »
Pendant ce temps, à travers la vaste steppe eurasienne, le pastoralisme nomade et ses troupeaux de moutons, de chèvres, de chameaux, de yaks et même de rennes sont devenus la pierre angulaire d’une succession d’empires pastoraux, allant des Xiongnu aux Mongols. Les preuves découvertes par les chercheurs montrent que le lait était la source de vie de ces sociétés.
« La steppe est une véritable autoroute reliant l’Europe à l’Asie de l’Est, une vaste étendue de prairie ininterrompue, si vous êtes capable d’y survivre, » déclare Christina Warinner, anthropologue à Harvard qui étudie l’alimentation et le microbiome de nos ancêtres. La courte saison végétative rendait la culture difficile, mais les troupeaux de mouton et d’autres ruminants pouvaient paître l’herbe à cœur joie et la transformer en nourriture pour la communauté, notamment sous forme de lait.