L’amertume, cette saveur désagréable qui nous soigne (4)

La longue histoire des récepteurs de goût; ou là encore, la fonction crée l’organe … L’organisme s’adapte en permanence à ses besoins. Par voie génique ou épigénétique…

Le chat est un carnivore strict, il n’a aucun besoin d”évaluer le taux de sucres de ses aliments. De ce fait, il n’a quasiment pas de récepteurs du sucré….

Vous connaissez la querelle des physiologistes, courant XIXème, à propos des girafes ? Pour les uns, leur long cou prouve que c’est du fait d’un besoin de brouter en hauteur que les vertêbres cervicales et thoraciques se sont à ce point développées. Pour d’autres, ce cou a poussé “tout seul”, mais seules les girafes vivant en lisières de savane ont pu en profiter, survivre et se multiplier. De fait, la vraie vérité n’est pas encore établie.

Mais une chose est certaine: lors d’une modification de l’environnement et donc des ressources, l’organisme sélectionne en lui-même les outils nécessaires pour accompagner ces modifications du mode de (sur)vie.

Qu’il s’agisse de mutations spontanées (mutations d’ADN, donc action génétique pérenne) ou bien de modifications d’ordre épigénétique, plus fluctuantes, toujours est-il que sur le temps long, l’organisme acquiert de nouvelles fonctions mais aussi se débarrasse de fonctions inutiles.

Et cela va se vérifier dans le domaine des récepteurs du goût.

La longue histoire des récepteurs du goût

Il y a plus de 500 millions d’années, les organismes vivant dans l’océan Panthalassique, ont un besoin vital d’apprécier la salinité de leur milieu naturel. Ils doivent en effet adapter leur organisme (vacuoles pour les végétaux, excrétion pour les animaux) aux variations de l’osmolarité marine. Ils sont donc équipés de récepteurs de salinité, et cci dans tout le corps.

Les choses évoluent lors de la “sortie de l’eau” des organismes tant animaux que végétaux.

Si le contrôle de l’osmolarité reste essentiel (existence de lagunes d’eau saumâtre), les organismes doivent pour survivre se protéger de l’irradiation solaire : épidermes épais et pigmentés pour les animaux, production de molécules anti-oxydantes pour les végétaux.

Et, comme ça tombe bien, ces molécules protectrices (phénols et polyphénols) sont également toxiques pour les herbivores, ou bien simplement amères et indigestes: les végétaux ont ainsi, spontanément, trouvé une parade pour protéger leur développement et leur extension sur les continents désormais au sec.

Car au niveau des animaux, tout au moins herbivores, ceux qui survivent sont ceux qui ont développé une capacité de reconnaître la toxicité des végétaux: c’est l’apparition, et le développement intense des récepteurs de la saveur amère.

On le constate aujourd’hui: les animaux possèdent d’autant plus de types moléculaires de reconnaissance de l’amertume, qu’ils en ont le besoin dans leur alimentation.

Le chat, un carnivore strict, ne possède que six récepteurs à l’amer, le chien, dont le régime est plus varié, possède quinze récepteurs, la vache vingt et un (sa digestion par rumination la protège), l’homme omnivore vingt cinq, le lapin très fragile vingt huit, et le rat très précautionneux trente six.

Le colibri, ce minuscule oiseau qui se nourrit comme les abeilles du nectar des fleurs, a abandonné ses récepteurs de l’amertume et du salé, pour développer plutôt une sensibilité très fines au sucré et à l’acide…

Plus démonstrative encore, la disparition des ces récepteurs chez les cétacés. On sait que nos cachalots et autres baleines étaient à l’origine des mammifères terrestres, proches des bovidés, qui sont retournés vivre dans le milieu marin il y a 50 millions d’années. De ce fait, ces animaux n’avaient alors nul besoin de contrôler la dangerosité de leur nourriture (algues vertes, krill, céphalopodes ou poissons divers, autant de nourritures sans danger). C’est ainsi que ces cétacés ont perdu de façon massive les gènes codant pour les récepteurs au goût sucré, unami et amer.

Pourquoi et comment cette involution? On suppose que la salinité intense du milieu marin masque totalement le goût des aliments, et que ces animaux ont plutôt tendance à gober leurs proies plutôt qu’à les mastiquer: les récepteurs gustatifs, désormais sans objet, disparaissent du stock génétique, on en est là.

Insolite: la peau gustative des poissons chat

Le poisson chat est un carnivore quasi strict, toujours en quête de proies riches en protéines. Et il a développé un système original de détection gustatif: il s’est débarrassé des écailles de tout son corps, pour développer (en plus des barbillons) une peau nue équipée de centaines de bourgeons gustatifs spécialisés dans l’umami et l’amertume. Il sait donc à tout moment s’il côtoie un cadavre en décomposition, une ponte en frayère, ou toute autre proie nutritive.

Concernant les récepteurs du sucré, les plantes à fleurs des terres émergées ont développé des fruits très sucrés, donc très attirants pour diverses espèces frugivores, et il s’est créé une co-évolution entre espèces: plus les fruits étaient sucrés, plus ils étaient attirants pour des animaux qui se reproduisirent en disséminant les graines contenues dans ces fruits murs. Et plus ces frugivores avaient de récepteurs du sucré, plus ils en étaient attirés, et ainsi de suite…

Pour la suite, à bientôt …