Il existe un mystère qui s’attache à ce continent blanc: en effet, dès le XVème siècle, et alors que nul navigateur n’avait alors revendiqué une expédition dans cette zone antarctique, plusieurs cartographes (Reis, Homen, et autres … détaillaient des littoraux terrestres ou enneigés, avec des précisions qui en ont troublé plus d’un …
En 1757, le cartographe officiel du roi , Philippe Buache, édite sous la houlette de Buffon une nouvelle carte de l’Antarctique. Sans y avoir mis les pieds, mais avec un cheminement intellectuel original …
Le comte de Buffon, habile courtisan des puissants, et gestionnaire rigoureux, avait comme ses pairs de l’Encyclopédie une vision très novatrice de l’histoire du Monde, en écartant toute influence religieuse, et en accumulant témoignages et savoirs pour imposer ses idées personnelles.
Parmi ces idées, une remise en cause de la datation de la terre qui s’éloigne singulièrement du paradigme biblique (toujours avancé par nos amis créationistes. ndlr). Buffon a mesuré des strates géologiques sédimentaires de plusieurs dizaines de mêtres, il a vite compris qu’il avait fallu des milliers d’années pour accumuler tous ces sédiments.
D’où cette théorie: suite à une collision entre une comète et notre soleil, de la matière solaire s’est trouvée éjectée, puis mise en orbite tout en subissant un refroidissement à partir des pôles, moins touchés par le rayonnement solaire. Jusque là, pourquoi pas ?
Mais Buffon est surtout un biologiste, et ce qui l’importe le plus, c’est comment la vie s’est installée et a évolué. Et comme selon lui c’est à partir des pôles que le refroidissement s’est mis en route, c’est forcément là que s’est installée la vie, c’est là que nous trouverons les différents degrés de ce qui n’était pas encore l’Evolution. D’ailleurs, la présence de mammouths congelés dans les glaces septentrionales “collait” très bien avec cette théorie.
Buffon, grand ordonnateur des budgets scientifiques, peut alors exiger une collecte systématique de toutes les observations, tous les rapports de marins ou de naturalistes qui auront navigué dans ces zones extrêmes. Buffon fait effectivement remonter des centaines de témoignages chiffrés, en particulier sur la densité de glaces flottantes (icebergs) en fonction des lieux et de la saison.
Pour relier toutes ces données dans un corpus cohérent, il fallait un esprit extérieur, ce fut Philippe Buache.
Contrairement à Buffon , Buache est d’origine modeste, mais “couvert” par Delisle, cartographe du roi dont il va épouser la fille … Lui aussi s’intéresse à l’histoire de notre terre, mais plus en géologue, attentif au moindre détail qui peut faire avancer ses théories.
Car à force de dessiner des cartes, de placer des chaînes montagneuses, d’aligner des rivières et des fleuves, Buache s’est aperçu d’une constante dans les tracés géographiques: plus les fleuves sont importants et étendus, plus ils dépendent d’un massif montagneux conséquent.
A grand estuaire, et gros débit, doit correspondre une chaîne d’altitude majestueuse.
Au niveau du pôle sud, il était admis depuis des lustres qu’un véritable continent servait de contrepoids pour équilibrer la terre. Mais personne ne s’y était aventuré.
En 1757, il publie une carte (voir ci-dessus) qui repose sur ses pré-supposés que sont
– les chaînes de montagnes nord/sud existant en Amérique latine et en Afrique, qui ont forcément un pendant antarctique, puisqu’il s’agit là des véritables “colonnes vertébrales” de notre terre.
– les zones côtières de l’antarctique qui charrient le plus d’icebergs (donc d’eau douce gelée issue de sommets enneigés) correspondent fatalement à des estuaires de fleuves qui eux-mêmes descendent de montagnes majestueuses, mais non accessibles.
Avec ces certitudes, il dessine un véritable continent qui comprend des montagnes (le confluent géologique de l’Afrique et de l’Amérique), des fleuves pour drainer les glaces accumulées sur les flancs montagneux, et au centre une mer intérieure dans laquelle les séracs des glaciers viendraient s’adjoindre pour former cette banquise infranchissable , qui forme les icebergs de part et d’autres du continent …
De fait, et avec sa simple intuition, de bons renseignements mais un faux raisonnement, il a tout de même proposé (imposé!) une représentation extrèmement proche du réel, au point que cette carte a servi pendant un siècle de repère absolu aux marins comme à certains romanciers comme Edgar Poe et Jules Verne ( Le sphynx des glaces).
Philippe Buache a utilisé la méthode “ tout se passe comme si”, qui n’est pas reconnue comme scientifique car ce n’est pas une démonstration. Pourtant, devant des inconnues de grande importance, actuellement la matière noire, les cellules souches ou bien la mémoire, la matière expérimentale fait défaut, et seul le “tout se passe comme si” permet de construire des théories et d’imaginer des vérités.
Angelina Viva