Dans des espaces limités, et avec des arguments du registre forme-santé, nous passons insensiblement de positions assises à des attitudes « perchées », le mobilier s’y adapte …
Le phénomène a commencé dans le domaine de la restauration. Dans des établissements exigus devant accueillir de nombreux clients (en particulier les « selfs » des grands magasins), on a mis en place des « mange debout », ces guéridons à deux étages qui permettent de poser ses petites affaires, plus un verre et une assiette pour des plats qu’on est supposé ingurgiter le plus vite possible « car il y en a qui attendent… ».
Puis est arrivée la loi sur le tabagisme en lieux publics. Les fumeurs, expulsés des bars et restaurants le temps d’une cigarette, ont obtenu une compensation : des guéridons en terrasse pour supporter des cendriers, mais aussi un petit verre qu’on boira alors entre fumeurs, dehors. Comme l’ambiance extérieure était plus sympa qu’en dedans ces fumeurs ont fait porter des plats sur ces guéridons, et y ont invité des non fumeurs … Et se sont créées de fait des centaines de terrasses, dans le domaine public, mais avec des consommateurs debout qui ont commencé à fatiguer. Alors on y a placé des tabourets haut perchés : on mange désormais debout / assis. Avec des patrons ravis qui font l’essentiel de leur chiffre dehors, avec des clients qui consomment plus vite, dans un espace gratuit plus réduit.
Mais depuis quelques mois, cette « standing attitude » s’est étendue aux bureaux, avec un argument majeur : ça vient des Amérique, et c’est bon pour la santé … Avec des reportages qui nous montrent qu’effectivement, les employés des entreprises prestigieuses comme Google ou Facebook ont désormais le choix entre le bureau classique, ou un « bosse-debout », qui permet d’élever et d’incliner le plan de travail … on vient de réinventer la planche à dessin …
Derrière ce mouvement, il y a des études d’ergonomie médicale, qui pointent sur les effets circulatoires. Comme ce rapport canadien :
« Lorsque l’on est assis, les muscles du tronc, du cou et des épaules sont en position fixe. Le maintien de cette position comprime les vaisseaux sanguins dans les muscles, ce qui nuit à la circulation du sang vers les muscles en activité, justement au moment où ils en ont le plus besoin. Un apport sanguin insuffisant accélère l’apparition de la sensation de fatigue et rend les muscles vulnérables aux blessures. »
Avec à la clé des statistiques qui montrent une meilleure productivité (ça c’est pour le patron), et une santé nettement améliorée lorsqu’on alterne les positions couchées et debout. Les TMS (troubles musculo-squelettiques) s’effacent grâce à une meilleure répartition du poids du corps entre les deux jambes et le fessier. Avec une diminution des douleurs au poignet ou au coude (syndrome du canal carpien) qui sont d’origine circulatoire (compression du nerf qui comprime le nerf des trois premiers doigts de la main …).
Pourtant, si la position debout a différencié Homo erectus, avoir le droit de s’asseoir était devenu un acquis social … Donc on va rester debout tout en gardant un siège, mais ce siège à utiliser avec modération. Et l’on revient à ces sièges haut perchés qui font florès sur les terrasses de bars … avec cette préconisation toute bête : il faut se bouger, changer de position régulièrement. Car avec la posture debout en permanence, apparaissent des douleurs lombaires et des tensions musculaires aux épaules, il faut donc du mouvement.
Et les psychologues s’en mêlent : selon eux, se lever est perçu comme un comportement volontariste (voire contestataire … qu’il faut canaliser), et un travailleur debout est plus adaptable, plus réactif , et plus enclin à travailler en équipe, puisque l’on peut circuler librement autour de l’espace de travail.
L’option suivante existe déjà, c’est le « no desk « : les employés n’ont alors aucun espace attribué, leurs affaires personnelles sont dans un petit coffre qu’ils prennent en arrivant, puis ils se choisissent un espace vacant (assis/debout bien sûr), et utilisent l’ordinateur personnel qui ne les quitte jamais …
Les fabricants de matériel de bureau ont là une aubaine pour renouveler le mobilier de ces entreprises modernistes : les « stations de travail debout » se vendent bien (+ 19% en un an), et ils pourraient bientôt rajouter un élément nouveau : la coque à sieste. En anglais « nap pod », il s’agit d’une niche pas donnée (8000 dollars) qui permet de s’isoler de la lumière et du bruit, à l’écart des va et vient du bureau, pour une petite sieste réparatrice ( pattes en l’air, avec une répartition maximum du poids) de vingt minutes, ensuite, passe à ton voisin !
Ces « nap pods » sont d’ailleurs à l’origine d’un nouveau business, des sleeping centers où l’on peut consommer du silence …
Angelina Viva