Tiens! Voilà qu’on reparle de la nicotine médicale !

Au niveau des données purement statistiques, le fumeurs sont nettement moins sensibles au Covid que la moyenne. Trois ou jusqu’à cinq fois moins!

Et tout le monde s’emballe sur la nicotine, molécule maudite par les instances de santé. Récepteurs nicotiniques ? Les fabricants de patches se frottent déjà les mains, mais de fait, on n’en sait rien de rien. Peut-être tout bêtement que les poumons de fumeurs, agressés en permanence par les goudrons (et Cie) du tabac, ont une résistance supérieure, en particulier aux bactéries qui font exploser la maladie? Action régulatrice de l’immunité? Encore autre chose?

Revenons sur la nicotine.

Le fléau du tabagisme a fait montrer du doigt et pratiquement exclure du champ des recherches cette molécule aux effets puissants et multiples. Peut-être aussi parce qu’elle ne coûte rien et qu’elle n’est pas brevetable  .

Depuis la nuit des temps, les Hommes ont toujours goûté, puis consommé, des végétaux sauvages aux effets psychiques. Plantes nobles réservées à certaines castes ou bien ”simples” à l’usage toléré aux plus grands nombres, ces végétaux apportaient aux hommes trois fonctions essentielles : soulager la douleur, contrôler l’anxiété et apporter du plaisir.

Leur usage était socialement très codifié : à certaines périodes, selon telle ou telle modalité…

Puis apparurent les produits industrialisés, retravaillés chimiquement pour apporter des effets maximums… qu’il s’agisse du tabac ou de l’héroïne, des alcools forts ou de la cocaïne, ces produits ”stupéfiants” inauguraient une période nouvelle pour l’Homme : celle de la toxicomanie de masse.

Malgré des modes d’action très variés, ces produits psycho-actifs entraînent des réponses pharmacologiques très similaires, à savoir une forte augmentation d’un médiateur dans le cerveau : la dopamine. Cette substance naturelle, produite dans une zone cérébrale bien précise, l’aire tégumentale ventrale, se déverse en certaines occasions agréables (un bon repas, un partenaire amoureux, une récompense sociale)… ou sous l’action des drogues, dans de nombreuses structures cérébrales (amygdale, noyau accubens, ou cortex préfrontal), ou se forment des sensations délicieuses qu’on a envie de garder, ou de re goûter plus tard : c’est le circuit de la récompense.

Le tabac, ce n’est, et de loin, pas que de la nicotine

Dans la longue liste des produits considérés comme addictifs, qui imposent donc un besoin de consommer pour atteindre cette ”récompense”, le tabac occupe une place particulière. C’est en effet le seul qui n’entraîne aucune dérive sociale. Contrairement à l’alcool, au crack, aux amphétamines…ou au jeux de Casino, la nicotine du tabac n’entraîne aucun comportement dangereux ou répréhensif. Par contre, la fumée du tabac se compose de centaines de substances irritantes (acetaldehyde, acroléine, toluidine, ammoniac, phénols), toxiques (acide cyanhydrique, méthanol) ou cancérigènes (goudrons, formaldéhyde, nitrosamines, etc.).

Comme le tabac apaise, sans induire de comportements associaux, l’Etat a longtemps poussé à la consommation organisant même la ”récompense” avant la lettre, par la fourniture gratuite de tabac aux jeunes militaires. Au passage l’Etat a largement profité de cette consommation surfiscalisée.

Mais les considérations médicales l’emportent désormais et un fait est certain : fumer est dangereux, le tabac est devenu le premier fléau sanitaire. Et malgré de multiples procédés ” d’aide au décrochage”, des efforts réels des fumeurs eux-mêmes et de leur entourage, seulement 20 % de réduction de consommation en cinq ans.

Comment le tabac peut-il provoquer une telle dépendance ?

Pour le comprendre, observons un fumeur. A peine la cigarette allumée, le cône de combustion du tabac atteint 800°c, et les substances végétales se volatilisent, avec en tête la nicotine. Celle-ci est un alcaloïde lipophile, qui peut donc se solubiliser dans les parois des muqueuses bronchiques et pulmonaires, et passer immédiatement dans le sang. Le pool moléculaire tabagique (appelons-le ”nicopool”) passe des veines pulmonaires au ventricule gauche du cœur, puis est propulsé immédiatement dans le cerveau : moins de 10 secondes séparent l’inhalation de la réception neuronique. Mieux qu’une intraveineuse au bras, qui doit faire tout le chemin pulmonaire avant d’atteindre le cerveau !

Tout en alimentant le circuit du plaisir et de la récompense le nicopool est rapidement éliminé de l’organisme (environ 50 % en deux heures), ce qui fait que le fumeur entretient son état, sa ”dose” au cours de la journée.

Faut-il considérer ces fumeurs, qui sortent systématiquement leur paquet à tous les moments de la vie sociale ou professionnelle, comme des drogués, disons le mot comme des malades ?

Là encore, il faut saisir les particularités du nicopool.

Pour de très nombreux fumeurs, l’effet recherché est un effet quasi-médicamenteux : la performance au travail est meilleure, le conducteur reste éveillé…

Bien que les rats jusqu’ici refusent de fumer… on a bien remarqué par injection de nicotine, tous les progrès que ces rongeurs présentent en termes d’attention, de vigilance, de mémorisation.

Mais la nicotine n’est pas un alcaloïde stimulant comme la caféine ou la théine. Les recherches qui (enfin) la concernent, mettent en avant des capacités de protection contre les désordres dégénératifs.

D’abord, des méta études montraient depuis quelque temps une moindre proportion de malades de Parkinson ou d’Altzheimer chez les fumeurs. Et chez les malades eux-mêmes, une amélioration bien nette des symptômes sous l’effet du tabac.

Des explications récentes sont maintenant disponibles. On s’est aperçu que la nicotine diminue l’activité des cellules cérébrales de la microglée. Or, c’est en corrélation avec des cellules microgliales activées, que les neurones voisins subissent une dégénérescence.

C’est un récepteur spécifique de la microglée, le récepteur alpha 7 acétylcholine, qui ”accroche” la nicotine, qui en bloque l’activité. Ainsi, la nicotine permet de remplacer l’acétylcholine, qui est justement le médiateur qui manque chez les malades d’Altzheimer.

Elle agit comme un anti-inflammatoire et permet une diminution de l’accumulation des protéines béta amyloïdes dans et entre les neurones.

Dans le cas de Parkinson, qui repose sur un déficit en dopamine, on note de réelles améliorations et une production induite de dopamine du ”circuit de la récompense.

Ces récepteur nicotiniques ne se trouvent pas que dans le cerveau. Les cellules musculaires, la glande medullo-surrénale, en possèdent, et la nicotine entretient chez les fumeurs un effet global.

Dangereux le tabac ? Oui bien sûr, et les efforts actuels de santé publique reposent sur des bases indiscutables. Dangereuse la nicotine ? C’est un grand médicament…qui est mal accompagné. Et comme il ne coûte rien, et qu’il n’est pas brevetable, son avenir commercial est plus qu’incertain.

Sauf si on lui trouve suite à cette pandémie Covid une action protectrice immédiate (?) ou d’anticipation (?).

Jean-Yves Gauchet