Que penser d’un remède tout à fait efficace pour soigner des affections psychiques (dépressions), et des douleurs chroniques (lombalgies, cancers), sans effets secondaires sur le métabolisme, mais qui par ailleurs modifie spontanément les croyances religieuses, et à long terme structure des comportements sociaux, voire politiques?
Peut-on prendre le risque d’un « reset » complet du fonctionnement cérébral ? C’est le dilemme qui s’attache aux effets de la psilocybine, extraits des petits champignons Psilocybe semilanceata.
A priori, la religion et les comportements sociaux, voire les options politiques, ne regardent pas la médecine … Mais un nouveau traitement de santé mentale, qui pourrait être homologué l’année prochaine, pose précisément ce genre de problème.
La psychothérapie assistée par la psilocybine, le composé psychédélique des «champignons magiques», semble être remarquablement efficace dans le traitement d’un large éventail de psychopathologies, mais provoque également une série de changements non cliniques inhabituels qui ne sont pas vus ailleurs en médecine.
Bien que ses mécanismes thérapeutiques précis restent flous, des doses cliniquement pertinentes de psilocybine peuvent induire de puissantes expériences mystiques, expériences plus souvent constatées associées à de longues périodes de jeûne, de prière ou de méditation.
Il n’est donc pas surprenant que cela puisse générer des changements durables chez les patients: des études font état d’une socialité et d’une appréciation esthétique accrues, ainsi que de changements tangibles dans la personnalité, les valeurs et les attitudes face à la vie, conduisant même certains athées à découvrir Dieu. De plus, ces expériences semblent être une caractéristique, plutôt qu’un bug de la psychothérapie assistée par la psilocybine, l’intensité de l’expérience mystique étant en corrélation avec l’ampleur du bénéfice clinique.
La psilocybine est pour l’instant prohibée pour toute action médicale.
Mais le tabou de l’illicite n’est pas un obstacle insurmontable. L’Association multidisciplinaire pour les études psychédéliques (MAPS), une organisation qui préconise des «utilisations prudentes» des psychédéliques, a fait un chemin impressionnant dans la réhabilitation de la MDMA (c’est-à-dire l’ecstasy) en un médicament légitime.
Le coup de maître de MAPS a été de se concentrer sur la démonstration de son potentiel pour traiter le SSPT (syndrôme des vétérans en retour des missions Afghanistan et Irak).
En expliquant comment la thérapie assistée par MDMA pourrait aider les vétérans, dont le soutien bénéficie d’un rare niveau d’accord bipartisan (Démocrates comme Républicains aux USA), MAPS a attiré des partisans de tous les horizons politiques, bénéficiant d’une couverture positive de MSNBC et de Fox News.
Les partisans de la thérapie assistée par la psilocybine la vantent comme la solution à une crise de santé mentale en plein essor. Mais, comme la MDMA, la psilocybine est loin d’être un médicament culturellement neutre, traînant à la fois son statut de produit interdit, et une histoire sociale mouvementée.
Des études récentes avancent que la psilocybine administrée cliniquement modifie activement les valeurs politiques, tout comme elle modifie de nombreuses autres caractéristiques non cliniques.
Notamment, une étude sur la psilocybine pour la dépression résistante aux remèdes actuels a rapporté que le traitement diminuait les opinions politiques autoritaires chez les patients. Un essai clinique a également détecté un autre effet qui avait déjà été signalé chez des participants en bonne santé: l’utilisation de psilocybine conduit à une augmentation du domaine de l’ouverture de la personnalité, lui-même un prédicteur des valeurs libérales.
Autrement dit, se soigner à la psilocybine ferait voter démocrate !
Et par ailleurs cela dirigerait les soignés directement vers Dieu, sans passer par l’église, la mosquée ou la synagogue !
Un consensus bien établi sur l’État démocratique laïque est qu’il doit rester neutre et agnostique sur un certain nombre de questions, permettant une diversité de valeurs, d’attitudes politiques et de croyances religieuses parmi ses citoyens
Autant dire que pour les promoteurs de l’officialisation de ce type de traitement, ce n’est pas prêt d’être gagné !
Jean-Yves Gauchet