Le rapport d’expertise concernant cette crise concernant la nouvelle formule d’un médicament fondamental est en train de fuiter dans la presse. En résumé, le labo Merck a donné aux autorités des informations incomplètes, et l’ANSM n’a pas réagi à de très nombreuses alertes de médecins de terrain. L’effet nocebo avait bon dos …
Pertes de mémoire, chute de cheveux, troubles digestifs sévères, migraines invalidantes, asthénie et fatigue chronique… Au printemps 2017, dans les semaines qui suivent le changement de formule du Levothyrox par son fabricant, le laboratoire Merck, le système français de pharmacovigilance enregistre des dizaines de milliers d’événements indésirables.
Des mois durant, médecins leaders d’opinion et autorités ont attribué ces troubles à un effet nocébo , généré par l’anxiété liée au changement de formule du médicament.
Révélé par le site Les Jours, leur rapport d’expertise, que Le Monde a pu consulter, liste une série de failles réglementaires et de graves manquements du laboratoire Merck et des autorités sanitaires, tous de nature à expliquer certains des effets indésirables liés au changement de formule.
Pis : selon le rapport, l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) était consciente, dès septembre 2017, d’un problème potentiel. Le gendarme du médicament n’a pourtant pris aucune mesure corrective, ni même reconnu, dans les mois suivant, la possible origine pharmacologique des troubles déclarés par les patients.
Pour une formule équivalente, les médicaments étaient produits par deux usines différentes, avec des process non rigoureusement reproductibles.
Selon le rapport, la vitesse à laquelle le principe actif est libéré dans l’organisme varie selon les formules.En clair, expliquent-ils, « nous n’observons pas une superposition des courbes de dissolution ». Fait d’autant plus frappant qu’il est en contradiction avec les informations transmises par Merck à l’ANSM, le dossier d’autorisation de mise sur le marché (AMM) assurant « une similarité des profils de dissolution ». « Ce constat mentionné dans le dossier d’AMM n’est pas exact », tranchent les experts.
Comment ces différences ont-elles pu passer inaperçues aux yeux de l’ANSM ? La seconde partie du rapport est consacrée à cette épineuse question, c’est-à-dire à l’étude de « bioéquivalence moyenne » fournie par Merck au gendarme français du médicament.
L’ANSM semble en avoir eu conscience très tôt. Dans les documents saisis par la justice, les quatre experts ont déniché une petite bombe : dès septembre 2017, l’expert-référent en pharmacocinétique de l’agence rédige une note dans laquelle il reconnaît que les génériques de Levothyrox ne sont pas substituables. Ainsi, notent les experts, « l’ANSM est consciente que les génériques de Levothyrox ne sont pas substituables et ne recommande donc pas la substitution ». D’après cette note énigmatique, ajoutent-ils, « le fait que le médicament soit substituable a été imposé. Il n’est pas clairement dit par qui ». Il fait peu de doute que cette question va fortement intéresser les enquêteurs.