Vers une extinction de nos microbiotes ?

Entre notre hygiénisme forcené, les perturbateurs environnementaux et l’uniformisation de nos régimes alimentaires, nos microbiotes en prennent un sacré coup. Et nous avec…

On présente souvent le microbiote comme un “nouvel organe” de l’Homme, mais il y a deux limites à cette métaphore.

D’abord, il y a des microbiotes bien distincts (peau, vessie, vagin, bouche, intestin) qu’on réduit trop au seul microbiote intestinal.

Ensuite, c’est faire entrer cette nouveauté du microbiote dans le canevas classique d’un organisme = assemblage d’organes indépendants (d’où les spécialités médicales…). Dit-on d’un chien d’aveugle que c’est l’organe visuel de son propriétaire ? du chien de chasse que c’est un organe à chasser ?

Bien au contraire, il faut pousser la révolution intéllectuelle plus loin: les microbiotes doivent changer notre version du monde en y posant centralement la notion d’interaction biologique. Le monde est-il fait d’organismes, ou bien d’interactions? Autant demander si la lumière est faites d’ondes ou de particules …

Or, c’est justement au moment où l’on découvre l’importance de ces interactions, et de la richesse biologique des microbiotes… que l’on s’aperçoit d’une menace existentielle pour ces micro-sociétés qui de fait, nous font vivre.

De nos jours, les environnements excessivement stériles et les réflexes cultures (“ne mets pas tes doigts dans ta bouche!“) limitent la colonisation de nos organismes. Avec du coup une perte de diversité, donc une perte de fonctions dans l’écosystème où elle se produit.

Voilà en partie d’où naissent les maladies du métabolisme, de l’immunité ou du comportement.

La réconciliation avec le monde microbien (et donc avec notre logique évolutive) heurte parfois nos codes de propreté: transferts fécaux, frottis vaginaux pour l’enfant né par césarienne, moins de douches savonnées… froissent éducation et savoir vivre. Mais c’est que cette propreté (en fait un code social) ne recouvre plus l’hygiène, qui elle, optimise la santé.

Hier, on pensait que l’hygiène (= protection dans l’optique pastorienne) passait par la stérilisation systématique, ce qui a conduit à une vision de la propreté mutilante… On doit s’inquiéter des règlements hygiénistes, aux bases désuètes, qui continuent à proliférer. Par exemple l’interdiction des fromages au lait cru aux enfants. La doxa hygiéniste ignore les vertus de la fermentation.

Fromage à pâte molle et croûte fleurie.

Tout est parti du néolithique, quand l’Homme a su valoriser quelques espèces (céréales, vigne, moutons), mais qu’il fallait conserver pour une utilisation ultérieure. Ces réserves se contaminaient rapidement et devenaient immangeables, voire toxiques. Problèmes résolus grâce à la fermentation: mieux vaut favoriser le développement de colonies bénignes (qui de sucroît acidifient et améliorent l’aliment), qui font écran à des micro-organismes indésirables. Le chou “d’autrefois” est amer, quasi-toxique. La choucroute est saine, digeste, et se conserve des mois … Les antibiotiques des bactéries des croûtes fromagères sont des écrans contre, par exemple, la listéria.

Par ailleurs, dans les aliments stockés, les vitamines s’oxydent, mais les microbes vivants amènent leurs propres vitamines (groupe B pour les fromages, K dans le natto, C dans la choucroute …).

Les civilisations néolithiques se sont construites avec des microbiotes “sociaux”, qui ont une utilité collective. Leurs fonctions de nutrition et de protection reprennent, de façon fascinante, celles de nos microbiotes biologiques, en une forme de biomimétisme inconscient de nos innovations culturelles.

Or aujourd’hui, ces microbiotes là sont également en voie d’extinction: disparition des levains au profit de souches de levures sélectionnées (pour tel type de farine pour donner tel type de pain!), levurage pour la vinification, élimination des fromages au lait cru au profit de laits stérilisés ensemencés de souches choisies: la diversité de nos microbiotes sociaux est en régression, elle entraine la régression de nos propres microbiotes .

Source: Marc-André Selosse

SAPIENS, METAMORPHOSE OU EXTINCTION?, éditions HumenSciences.