Les craquelures sont une des altérations qui mémorisent la vie d’une peinture. Avec une grande variété de morphologies dans la plupart des peintures de chevalet, elles présentent plusieurs intérêts pour les historiens d’art et les restaurateurs.
Tout d’abord, c’est un moyen d’authentifier les peintures. L’analyse des craquelures de Mona Lisa enregistrées sur des photographies prises depuis 1880 a permis d’authentifier la peinture et de lever les doutes exprimés après le vol du tableau en 1911.
Les craquelures sont une « empreinte digitale » de l’œuvre d’art. En tentant de les reproduire, un faussaire laisse inévitablement et involontairement la marque de son époque. Ainsi, des composés chimiques découverts à une période bien postérieure à celle attribuée à une œuvre ont pu être utilisés pour développer des craquelures de manière artificielle. La classification approfondie de la craquelure dans les peintures de chevalet au fil des années est un moyen de discriminer celles qui se forment au cours du vieillissement et celles créées de manière accélérée, par exemple par des variations de température. Les craquelures ne mentent pas !
Étudier les craquelures pour mieux comprendre les œuvres et les processus créatifs.
Les craquelures sont également révélatrices de la matière et des méthodes utilisées par les artistes. Elles ne se forment pas au hasard, mais obéissent aux lois de la physique et de la mécanique : une craquelure se propage en étant guidée par les tensions du milieu (la toile par exemple). Une fois les tensions relâchées, l’organisation des craquelures diffère par plusieurs caractéristiques, comme leur densité ou leur orientation.
Ces caractéristiques sont affectées en particulier par la rigidité et l’épaisseur des couches, et parfois par la direction des coups de pinceau, les hétérogénéités de la peinture, ainsi que par le mode de sollicitation de la peinture : séchage, vieillissement de la peinture, déformation infligée par le support (panneau de bois, toile).
Les craquelures permettent donc d’obtenir des informations sur l’ensemble d’un tableau. Nous les étudions grâce à l’« imagerie multispectrale » qui permet d’enregistrer le spectre complet des couleurs, de l’ultraviolet à l’infrarouge, avec une extrême précision spectrale.
Les craquelures apparaissent alors comme de brusques variations de luminosité. Nous les recherchons sur l’ensemble des images multispectrales afin de localiser et différencier ces altérations en profondeur dans la couche picturale (la couche de peinture, qui peut être hétérogène avec un mélange de pigments de différentes tailles et de différentes rigidités, et de solvants sur différentes couches).
Cette technique d’imagerie préserve l’intégrité de l’œuvre. Elle est utilisée en complément d’analyses structurelles de la matière picturale, à l’aide d’analyses de prélèvements permettant, entre autres, une identification des pigments employés et d’autres techniques d’imagerie, comme la fluorescence sous éclairage UV ou la radiographie X par exemple.
Par exemple, l’image permet de mettre en valeur trois régions spécifiques. Les craquelures verticales et parallèles très visibles dans le front de Mona Lisa sont très profondes, jusqu’à la surface du panneau de peuplier constituant le support de la peinture ; elles ont la même direction que celle des fibres du bois. Ainsi, ces craquelures semblent fortement liées aux tensions transmises par le support au cours du temps.
À l’opposé, dans le ciel ou le paysage, les craquelures forment un réseau délimitant des polygones plus ou moins réguliers, sans orientation préférentielle, à l’image des craquelures décimétriques formées sur un lac asséché. Ces craquelures ne retracent plus la déformation du support, la peinture ayant pu amortir les contraintes mécaniques de celui-ci, conséquence d’une matière picturale moins fragile que celle utilisée dans le visage de la peinture.
C’est l’absence de craquelure qui souligne l’intérêt d’une autre région du tableau. En effet, le voile sur le pourtour du visage de Mona Lisa a été sans doute peint à l’aide d’une technique picturale basée sur l’application d’une succession de couches très fines, c’est-à-dire peu chargées en pigments. Cette technique, le « sfumato », permet ainsi de jouer sur les effets de profondeur et d’ombres de l’image. Or une couche est en général exempte de craquelures lorsque son épaisseur est suffisamment fine. C’est pourquoi aucune craquelure n’est visible dans ces régions spécifiques de la peinture.
Ces hypothèses ont été appuyées par des études en laboratoire. Les études en question sont effectuées en utilisant des matériaux modèles faisant appel à des pigments bien calibrés, dans des conditions de solidification contrôlées (séchage), sur des sous-couches contrôlées de manière à découpler au mieux les mécanismes physiques mis en jeu. L’intérêt de ces études modèles tient au fait qu’une peinture d’art est un milieu complexe de par sa géométrie (superposition de couches) et la matière utilisée (pigments de propriétés mécaniques variables dans un mélange de solvants volatils et non volatils).
Les craquelures donnent un sentiment d’authenticité
Les craquelures sont également inhérentes à une peinture. Elles présentent un grand intérêt en conservation et restauration. La variation des motifs de craquelure sur une peinture peut avoir un impact significatif sur la perception de l’image par l’observateur. En général, la craquelure dessine un réseau complexe interconnecté fait de lignes plus ou moins contrastées. Ces lignes peuvent être considérées comme indésirables, car l’aspect du tableau est radicalement modifié. L’illusion du tableau peut être compromise par de telles caractéristiques visuelles, qui peuvent nuire à la perspective d’enveloppement voulue par le peintre.
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Mais les craquelures peuvent aussi être perçues comme des traces familières, qui donnent un sentiment d’authenticité. Mona Lisa serait-elle Mona Lisa sans ses craquelures ? Les craquelures donnent une apparence plus ancienne aux tableaux ; leurs valeurs marchandes, quand elles sont liées au temps écoulé, peuvent en être augmentées. Les craquelures peuvent également être souhaitables pour leurs qualités esthétiques qui rompent la monotonie d’une surface plane.
Cependant le réseau de craquelures ne doit pas évoluer de manière incontrôlée en fonction des variations des conditions environnementales (humidité, température) et conduire à des phénomènes tels que des décollements ou à des pertes de matière lacune). Des études de la stabilité d’un réseau de craquelures en fonction de la matière picturale et des conditions de sollicitations de celle-ci sont en cours.
Auteur: Ludovic Pauchard Chercheur CNRS au laboratoire FAST (Fluides, Automatique et Systèmes Thermiques), Université Paris-Saclay
Source: The Conversation.