Dans le bois, les molécules d’eau liée, localisées dans les parois des cellules, peuvent se déplacer jusqu’à de grandes hauteurs pour éventuellement humidifier les feuilles de la canopée. Ce phénomène intervient aussi dans la régulation de l’humidité dans les bâtiments utilisant des matériaux biosourcés, ou encore dans les processus de séchage du bois.

© Luoyi Yan – Ph. Coussot/Laboratoire Navier
Lorsqu’une plante ou un morceau de bois sèche, c’est d’abord l’eau contenu dans les pores du solide, l’eau dite ”libre”, qui s’évapore. Mais le matériau contient aussi une eau ”liée”, logée dans les parois des cellules. La masse de cette eau liée peut représenter jusqu’à 30% de celle du bois sec. Jusqu’ici, on supposait que cette eau pouvait se déplacer dans le matériau, mais aucune observation directe des mouvements de l’eau liée n’avait pu être réalisée : seul le transport de l’humidité globale – l’eau des pores, la vapeur et l’eau liée – était mesuré. Une équipe du laboratoire Navier (CNRS/ENPC/Université Gustave Eiffel) a réalisé une étude expérimentale qui, pour la première fois, a mis en évidence et caractérisé spécifiquement le transport de l’eau liée dans le bois.
La diffusion de l’eau liée dans des échantillons de bois de chêne, de peuplier et de sapin, a été étudiée à l’aide de techniques d’IRM et de RMN, qui permettent de visualiser et de mesurer le mouvement des molécules d’eau. Pour cela, les échantillons ont été saturés d’eau liée pendant plusieurs semaines dans une atmosphère très humide. Les pores du matériau ont ensuite été remplis par de l’huile de silicone, limitant les mouvements d’eau potentiels à ceux de l’eau liée à l’intérieur de la phase solide. À l’aide de l’IRM, les chercheurs ont pu observer la diffusion des molécules d’eau liée à travers tout l’échantillon de bois. La RMN a permis de quantifier les quantités d’eau qui se déplacent. Des résultats similaires ont été obtenus avec les différentes sortes de bois, malgré les variations de structures du matériau, et même à travers de simples empilements de fibres de cellulose. De manière contre-intuitive, le processus de migration de l’eau liée s’avère indépendant de la concentration en eau, et de la direction (alors que le bois est un matériau anisotrope).
La conclusion est que l’eau liée, en fait très mobile, est transportée spontanément dans le bois sous l’effet du moindre gradient de concentration en humidité. En effet, les variations du coefficient de diffusion avec la température permettent d’identifier l’énergie d’activation que les molécules d’eau doivent surmonter pour diffuser, et qui est nettement supérieure à l’énergie potentielle de gravité. Ceci explique que l’eau liée peut monter dans un arbre jusqu’à de grandes hauteurs, et contribuer à alimenter ainsi les feuilles des cimes quand elles sont en manque d’eau.
Les résultats de cette étude ne permettent pas seulement de mieux comprendre la diffusion de l’eau dans les plantes. Ils concernent aussi la régulation de l’humidité dans les bâtiments utilisant des matériaux bio-sourcés, les procédés de séchage du bois, ou encore l’extraction de l’eau de la cellulose lors de la fabrication du papier. Au laboratoire Navier, l’étude se poursuit, sur la base des résultats inédits obtenus, avec l’objectif de décrire précisément comment l’eau diffuse à travers les divers matériaux de construction bio-sourcés incluant des fibres végétales.
Contact: Philippe Coussot. Ingénieur Général des Ponts, des Eaux et des Forêts de l’Université Gustave Eiffel,
Laboratoire Navier (CNRS/École nationale des ponts et chaussées/Université Gustave Eiffel)
