Quand les principes de précaution deviennent lourdingues.

Vivre est extrêmement dangereux: on en meurt toujours …

«Le risque étant la condition de tout succès» (Broglie), le Principe de Précaution ne doit pas devenir un principe d’abstention face au risque, mais à gérer le probable, l’hypothétique, l’impondérable, en un mot «le risque virtuel». Mais n’est-ce pas là demander l’impossible? En pratique, le Principe de Précaution risque de créer une assurance illusoire de sécurité.

L’évaluation des risques est un processus extrêmement complexe qui est loin de se réduire à un inventaire purement technique. Une évaluation pertinente tient compte non seulement des risques tangibles, mais également du préjudice perçu par les éventuelles victimes. Dans le grand public, la perception de l’intangible préjudice encouru est relativisé selon que le risque est ou non familier, naturel ou d’origine humaine, placé sous le contrôle de procédures fiables, qu’il a des conséquences bénignes ou graves et, surtout, que la prise de risque est volontaire ou ignorée. La perception du public oscille entre une sous estimation optimiste qui a des relents d’ignorance, d’apathie et de fatalisme, et une surestimation émotionnelle souvent incitée par les médias et des associations militantes.

En règle, les spécialistes s’accordent surtout quant à leurs désaccords. Dans bien des cas de figure, «on sait que l’on ne sait rien» ou pas grand-chose, et, quand on sait, il est rare que ce soit avec certitude. De plus, les experts sont souvent «juges et parties» sous influence politique, industrielle, scientifique, voire psychologique et sociétale. Voilà pourquoi en une décennie on a assisté à l’émergence d’une nouvelle philosophie qui est en train de changer radicalement l’évaluation, la gestion et la communication du risque. C’est le Principe de Précaution, introduit en 1992 dans le droit européen par le traité de Maastricht et en 2005 dans la Constitution Française.

Toute une batterie de mesures est lors mise en oeuvre qui vont de la veille technologique et sanitaire à des dispositifs d’alerte en réseau, à la restriction d’usage, voire à la prescription d’un moratoire à défaut de pouvoir statuer «dans l’état actuel des connaissances humaines”. 

Le Principe de Précaution: un nouveau standard de responsabilité?

Le Principe de Précaution a instauré un nouveau standard de jugement de la responsabilité et étendu son espace éthique. «Celui qui introduit le risque doit le prévoir. En ne prenant pas suffisamment de précaution, en particulier d’abstention, il peut être déclaré responsable”.

Le Principe de Précaution: un principe de contre-pouvoir?

Les risques présupposés, quasi «virtuels», font désormais l’objet de grandes campagnes de communication des mouvements associatifs. En général, au nom de la Société Civile, ils exercent une forte pression médiatique sur les industriels, les gouvernements, les universitaires et les consommateurs en publiant leur propre contre-évaluation du risque scientifique, en appelant au boycottage des produits suspects et en menaçant de poursuites légales.

Ne pas avoir peur de la peur

L’idée reçue en termes de communication de risque est qu’il faille éviter à tout prix de faire peur. Il en va de la peur comme du stress et du cholestérol, il y a de «bonnes peurs» et il y a des «mauvaises peurs». Si ces dernières sont effectivement «mauvaises conseillères», les premières sont fonctionnellement indispensables pour gérer le risque avec plus d’efficacité. 

Le problème est que les autorités politiques et administratives ont peur de la peur des citoyens et de son impact potentiel sur l’ordre public. Les experts médicaux, techniques, scientifiques, ainsi que les gurus en communication, ont peur d’être critiqués pour n’avoir pas su protéger les citoyens sous prétexte d’éviter la panique. Désormais, tous ont peur d’être mis en accusation et condamnés pour leur gestion désastreuse du risque.

Dans les médias un risque chasse l’autre, ce qui peut faire croire au public que le précédent risque ne représente plus un danger ou une priorité en terme de gestion collective. On éloigne ainsi de la conscience des individus un risque qui pourtant existe toujours… ce qui a pour effet indirect de l’augmenter. Le SARS a eu un rôle non négligeable dans l’éviction du SIDA dans l’opinion publique…

Le Principe de Précaution est devenu un risque…

Le Principe de Précaution est en train de se substituer à l’application rigoureuse du doute scientifique grâce auquel il y a eu tant d’innovations et de progrès technologique. Il serait temps de prendre de plus amples précautions…

Source: Ferdinand Thiry, in Slate.