Les autorités françaises de santé se sont privées de bien des compétences pour gérer cette pandémie issue du monde animal. Ou plutôt elles en ont privé la santé de toute la population.
Billet de François Meurens, Professeur d’immuno-virologie à Oniris (École nationale vétérinaire, agroalimentaire et de l’alimentation de Nantes-Atlantique), UMR 1300, Inrae
En tant que vétérinaire, je pense que notre profession peut apporter un éclairage précieux à la situation actuelle. Les vétérinaires ont été et sont régulièrement confrontés à des crises sanitaires frappant durement les animaux domestiques et sauvages. Citons à titre d’exemples, les récentes crises d’influenza aviaire ou de peste porcine africaine, une maladie présente dans de nombreux pays d’Europe et en Asie.
Pour prévenir et gérer les crises sanitaires, les vétérinaires et autres professionnels impliqués ont eux aussi recours aux deux types de tests de détection de la circulation, présente ou passée, des agents pathogènes : les tests directs et les tests sérologiques, qui sont complémentaires.
Les vétérinaires suivent une approche d’ensemble des problématiques sanitaires. On pourrait parler d’une « approche holistique » de la santé, précieuse dans le contexte actuel.
Ces professionnels sont en effet amenés à côtoyer différentes espèces animales, à s’intéresser indirectement à la santé humaine par le contrôle des denrées alimentaires, à occuper une place de choix dans la recherche scientifique et à être en première ligne en santé publique dans la prévention des zoonoses. On désigne par ce terme, les maladies transmises de l’animal à l’être humain. Celles-ci sont très fréquentes : plus de 60 % des 400 agents pathogènes émergents répertoriés depuis 1940 ont une origine animale…
Les vétérinaires sont ainsi bien placés pour participer à la mise en œuvre du concept de « One Health » (« Santé globale » ou « Une santé », en français) né au début des années 2000 à New York, lors d’une conférence organisée par la Wildlife Conservation Society qui en a énoncé les grands principes. Cette conférence soulignait notamment les similarités entre médecine humaine et animale et l’importance des collaborations entre disciplines.
Les vétérinaires ne sont toutefois pas assez associés au déploiement d’une telle approche.
En France, il a fallu attendre le 5 avril pour que les dizaines de laboratoires vétérinaires départementaux soient officiellement autorisés à réaliser des tests de détection du SARS-CoV-2 ; et mi-avril, des freins (administratifs et techniques) ne leur permettaient toujours pas de fonctionner à plein régime. En Allemagne et au Canada, par exemple, ces blocages n’ont pas eu lieu et les laboratoires vétérinaires, universitaires et industriels compris, ont pu mettre en œuvre rapidement un nombre considérable de tests.
Les vétérinaires connaissent bien les coronavirus, présents chez nombre d’espèces animales. On peut citer ici l’Alphacoronavirus du chat (responsable de la péritonite infectieuse féline), l’Alphacoronavirus du porc (diarrhée épidémique), le Gammacoronavirus des volailles (bronchite infectieuse) et les Betacoronavirus du chien et du bovin, responsable de troubles respiratoires. Depuis plusieurs années, divers tests directs et indirects existent pour lutter contre ces virus et des vaccins ont été développés, avec plus ou moins de succès.
Une autre occasion manquée concerne la non-sollicitation des nombreux vétérinaires inscrits sur la réserve sanitaire. Dommage, car au-delà du don de matériel, les vétérinaires ont toutes les compétences requises pour prêter main-forte à leurs collègues en médecine humaine, grâce notamment à leur formation large, allant de la médecine générale à la chirurgie.
Comment expliquer le cloisonnement actuel et regrettable entre disciplines de santé alors que, plus que jamais, nous avons besoin d’envisager la santé dans toute sa globalité ?
Plusieurs explications peuvent être avancées. Parmi elles, l’hyper-administration française, la structuration de l’enseignement vétérinaire au niveau national (qui se fait dans de grandes écoles éloignées des campus universitaires et des facultés de médecine limitant ainsi les interactions) et la faible valorisation salariale de la recherche vétérinaire (1 500 à 1 800 euros net mensuels en début de carrière pour les enseignants-chercheurs et chercheurs vétérinaires à Bac +10 et expérience post-doctorale internationale).
Vétérinaires, agronomes, écologues, biologistes de la faune sauvage : ces professions sont en première ligne lors d’émergence virale où il est essentiel d’agir vite pour éviter les catastrophes. Or ces émergences sont de plus en plus fréquentes, étant donné notamment les rapports prédateurs que nous entretenons avec notre environnement dans des zones à risques élevées. Citons ici les virus zoonotiques Nipah et Hendra (d’autres virus à ARN de la famille des Paramyxoviridae) passant de chauves-souris au porc et au cheval ; le SARS-CoV-1 et le MERS-Cov, passant de chauves-souris à la civette ou aux dromadaires.
Une recherche de terrain, conduite par des spécialistes de la santé animale et des systèmes de production animale et végétale, alliés aux écologues, biologistes, médecins et infirmiers, est aujourd’hui absolument nécessaire.
François Meurens, Professeur d’immuno-virologie à Oniris (École nationale vétérinaire, agroalimentaire et de l’alimentation de Nantes-Atlantique), UMR 1300, Inrae
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.