Où l’immunologie se heurte à un mur d’incompréhension face au HIV: pourquoi ce virus refuse de “coopérer” avec les chercheurs pour la réalisation d’un vaccin.
Dossier en six articles à paraître courant mai:
1 – l’immunologie est née de la bactériologie
2 – retour vers la cellule : on comprend la « réaction immunitaire »
3 – avec les années 90 et le SIDA, retour vers l’immuno-infectiologie.
4 – quelle place pour nos bactéries intégrées ?
5 – la théorie de la continuité / discontinuité
6 – Et maintenant ?
Troisième article : avec les années 90 et le SIDA, retour vers l’immuno-infectiologie
C’est dans les années 90 que les immunologistes font le constat embarrassé des immenses lacunes de leur science. Leur échec cuisant (ils doivent céder la place aux chimistes pour traiter les malades) devant le SIDA est en fait un puissant levier pour acquérir de nouvelles connaissances. Jamais autant d’argent dans la recherche, autant de laboratoires en phase et en concurrence dans le monde entier.
Car le virus HIV est un cas d’école : fragile et en perpétuel remaniement génétique, il leurre les lymphocytes, se cache dans les macrophages, tout en ouvrant le champ à d’autres agents infectieux.
Tous les vaccins tentés s’avèrent des catastrophes au bout de la seringue. On s’aperçoit que les anticorps provoqués par la vaccination sont « facilitants », c’est à dire qu’ils facilitent l’introduction des virus dans les cellules CD4 (lymphocytes et cellules dendritiques), au lieu de les protéger …
Ainsi, avec certains germes, les anticorps s’avèrent de piètre intérêt, sinon d’un danger jusqu’ici mal apprécié !
Cette nouvelle prise de conscience amène à tout revoir, si l’on peut dire depuis le début, c’est à dire depuis la méduse jusqu’à l’homme …
Car tout ce qui précède, toute cette saga scientifique et ces succès médicaux, sont dus en effet à l’action des immunoglobulines, celles que le vaccin fait produire, celles qui repèrent les bactéries, les isolent et les signalent … les signalent à qui ? Les signalent à des cellules tueuses et nettoyeuses, qu’on croyait entièrement dévouées à cette collaboration, mais qui en fait ont leur rôle et leur vie propre, et ceci depuis des millions d’années, bien avant que l’Evolution ne fasse apparaître les anticorps.
Immunités innée et acquise
Car comme tous nos tissus et organes, le système immunitaire s’est créé par petites touches, à partir des organismes les plus ténus.
Au début était … l’amibe, cette cellule autonome en milieu liquide, qui a dû pour survivre « inventer » tous les systèmes biologiques de régulation (température, osmolarité) et de défense. A ce titre, l’amibe comme l’ensemble des unicellulaires s’est donné une capacité de reconnaissance (récepteurs membranaires) pour fixer, englober, isoler dans des vésicules de phagocytose, puis digérer et en expulser les résidus inutiles. Ces mêmes résidus qui chez les vertébrés serviront d’indicateurs pour des cellules spécialisés, les lymphocytes.
Lors de l’agrégation des ces monocellulaires pour donner des organismes pluricellulaires (comme les méduses), cette capacité de reconnaissance et d’élimination est dédiée à des cellules particulières, dont le rôle est très souple : elles digèrent les proies et en nourrissent par contact toutes les autres cellules, elles sont capables de se substituer aux cellules mortes ou endommagées (rôle des futures plaquettes) pour cicatriser une plaie, et elles savent également repérer les bactéries malvenues, mais aussi les cellules « du soi » vieilles ou malades, pour les phagocyter et en éjecter les déchets. Le rôle actuel de nos phagocytes.
L’Evolution a fait apparaître des espèces toujours plus complexes.
Chez les invertébrés, l’immunité est restée dévolue à une surveillance/défense d’action immédiate, capable d’éliminer les intrus par voie moléculaire (toxines antibactériennes, poisons antiparasitaires (il y a là un véritable far-west inexploité pour remplacer nos antibiotiques défaillants), ou de phagocyter tout ce qui semble étranger, bizarre, ou dangereux : il s’agit d’une immunité innée, dont l’action est instantanée au contact du phénomène inquiétant.
Chez les vertébrés, et dès l’apparition des poissons, on note l’apparition de nouveaux médiateurs qui se superposent aux agents de l’immunité innée : on voit ainsi apparaître les lymphocytes, des cellules très actives selon deux familles : les lymphocytes B qui vont produire les immunoglobulines, et les lymphocytes T qui vont produire des substances très puissantes pour activer le système immunitaire dans son ensemble (les cytokines), mais qui pourront également se colleter à des cellules malades ou étrangères, un peu comme les macrophages , qui sont eux, issus de l’immunité innée.
Au total, comme nous le montre ce tableau, l’immunité chez l’homme repose sur deux lignées principales :
- la lignée myéloïde, qu’on appelle également « immunité innée », qui agit spontanément contre tout ce qui est bizarre ou qui peut représenter un danger. Il s’agit de la « première ligne » de défense, si l’on veut garder le langage guerrier de l’immunologie classique.
- La lignée lymphoïde, ou immunité acquise, qui n’agit que selon les indications de cellules intermédiaires de la lignée précédente, les cellules dendritiques.
Nota : les cellules NK, pour « natural killer s », sont classés parmi les lymphocytes de l’immunité acquise. Pourtant, il s’agit de cellules très anciennes dans la phylogénie, et elles ont gardé le caractère « primitif » de la lignée myéloïde : on peut les placer sans se tromper dans l’immunité innée.
Prochain article: quelle place pour nos bactéries intégrées ?