La vasopressine, un traitement efficace contre l’autisme ?

Alors qu’au moins 670 000 personnes en sont atteintes en France, leur substrat neurobiologique reste mal compris. Les traitements disponibles sont limités et présentent des effets indésirables. La vasopressine, un neuropeptide produit par le cerveau, a récemment été mise en avant comme un possible traitement contre les troubles du comportement social, et l’utilisation d’un modèle préclinique a permis d’élucider des mécanismes d’action.

Les troubles du spectre de l’autisme sont caractérisés par des défauts de communication et d’interaction sociale associés à des intérêts restreints et stéréotypés. Ces troubles apparaissent tôt au cours du développement, et conduisent à une dégradation de la qualité de vie. Alors qu’au moins 670 000 personnes en sont atteintes en France, leur substrat neurobiologique reste mal compris. Les traitements disponibles sont limités et présentent des effets indésirables. La vasopressine, un neuropeptide produit par le cerveau, a récemment été mise en avant comme un possible traitement contre les troubles du comportement social, et l’utilisation d’un modèle préclinique a permis d’élucider des mécanismes d’action [1].

La vasopressine comme traitement des troubles de l’interaction sociale

La vasopressine est un neuropeptide produit par des neurones du noyau paraventriculaire de l’hypothalamus et du noyau du lit de la strie terminale. Elle joue un rôle important dans le contrôle de la mémoire sociale. Bien que peu d’études aient évalué son potentiel thérapeutique dans le cadre des troubles du spectre autistique, des taux anormalement faibles de vasopressine ont été rapportés dans le liquide cérébrospinal de patients atteints de ces troubles [2]. Une amélioration de la communication a été observée chez des patients traités avec de la vasopressine [3], mais aussi chez ceux recevant un antagoniste de la vasopressine [4], démontrant les limites de notre compréhension des mécanismes d’action de ce peptide. De plus, il existe un effet bénéfique de l’ocytocine, un neuropeptide très semblable à la vasopressine, pour les patients autistes, mais les résultats, parfois contradictoires, dépendent de l’âge, de la dose, et de la durée du traitement [56].

La souris déficiente pour le gène Magel2 comme modèle d’autisme

Pour étudier l’impact de la vasopressine sur les troubles du spectre autistique, nous utilisons un modèle murin déficient pour le gène Magel2. Ce gène de la famille des gènes MAGE (melanoma-associated antigen) est muté chez des patients atteints d’une forme syndromique d’autisme caractérisée par Schaaf et Yang [7]. Il code une protéine impliquée dans la dégradation et le recyclage des protéines. La délétion de la région chromosomique 15q13-11 incluant le gène MAGEL2 cause également le syndrome de Prader-Willi, fréquemment accompagné de troubles du spectre autistique [5]. Chez la souris, la suppression de ce gène conduit à des troubles sociaux, notamment une altération de la discrimination sociale. Une étude précédente suggère que ce modèle serait prédictif de l’efficacité de l’ocytocine puisqu’un traitement périnatal des souriceaux mutants corrige leurs troubles sociaux à l’âge adulte [8], un effet également observé chez des patients atteints du syndrome de Prader-Willi [6]. Une autre étude avait montré qu’à la naissance, ces souriceaux présentent une déficience pour plusieurs neuropeptides, dont l’ocytocine et la vasopressine [9].

Un circuit vasopressinergique permettant la discrimination sociale

Le septum latéral, une structure cérébrale impliquée dans la mémoire et la discrimination sociale, et dont les lésions causent un comportement agressif (« rage septale »), contient une forte densité de récepteurs de la vasopressine et de l’ocytocine. Les souris déficientes pour Magel2 présentent une diminution de la densité de récepteurs de l’ocytocine et une altération de l’innervation ocytocinergique et vasopressinergique dans cette structure [18].

Le septum latéral est majoritairement constitué de neurones inhibiteurs peptidergiques, notamment des neurones à somatostatine dotés de récepteurs de la vasopressine [1]. Ces neurones reçoivent des projections excitatrices des aires CA2 et CA3 de l’hippocampe, et leur activation à la suite d’un changement de contexte environnemental détermine la réponse comportementale. Lors d’une interaction sociale, ces neurones à somatostatine sont activés, mais l’activation concomitante des neurones à vasopressine du noyau paraventriculaire conduit à leur inhibition (Figure 1A).

Un circuit hippocampo-septal contrôlé par la vasopressine détermine la réponse comportementale à une nouvelle interaction sociale. A. Des projections glutamatergiques (GLU) de l’hippocampe (CA2-CA3) stimulent des neurones à somatostatine (SST) du septum latéral (LS), qui peuvent être inhibés par la vasopressine (AVP) issue du noyau paraventriculaire (PVN) de l’hypothalamus. B. Une déficience de Magel2 entraîne un recrutement des neurones à vasopressine du noyau du lit de la strie terminale (BNST) pour inhiber les neurones à somatostatine du septum latéral.

En l’absence du gène Magel2, les souris mutantes utilisent les neurones vasopressinergiques du noyau du lit de la strie terminale pour la discrimination sociale, et pas ceux du noyau paraventriculaire (Figure 1B). Généralement, les neurones vasopressinergiques du lit de la strie terminale sont activés par des évènements sociaux aversifs, et pour lesquels une réponse comportementale défensive voire agressive est engagée [10]. Alors que l’administration locale d’un antagoniste de la vasopressine chez des animaux témoins induit des troubles sociaux similaires à ceux observés chez les animaux déficients pour Magel2, l’administration de vasopressine dans le septum latéral de souris mutantes restaure la discrimination sociale tout en réduisant la proportion des neurones à somatostatine contenant le marqueur d’activité c-fos. Ainsi, une altération du système vasopressinergique induit un défaut de sensibilité à la vasopressine des neurones à somatostatine du septum latéral qui semblent jouer un rôle dans le filtrage de l’information de sortie du septum (Figure 2). Cette altération se traduit par l’apparition de troubles sociaux chez les souris déficientes pour Magel2.

Le circuit vasopressinergique mis en jeu lors d’une interaction sociale est altéré chez la souris déficiente pour Magel2. L’administration intraseptale de vasopressine (1) ou la stimulation optogénétique d’un sous-type de projections vasopressinergiques (2) améliore le comportement social des souris déficientes pour Magel2.

Vasopressine ou ocytocine ?

Les séquences peptidiques de la vasopressine et de l’ocytocine sont très proches, et les fonctions de ces peptides sont parfois redondantes. Cela peut s’expliquer, au moins en partie, par le fait que certains récepteurs (récepteurs de l’ocytocine, récepteurs V1a et V1b de la vasopressine) présentent une affinité similaire pour les deux peptides [11]. Du fait de cette promiscuité des récepteurs et de la présence d’afférences ocytocinergiques et vasopressinergiques dans le septum latéral, il est difficile d’établir clairement les rôles respectifs de ces deux molécules. L’outil optogénétique (activation locale de terminaisons neuronales spécifiques conduisant à la libération de neurotransmetteurs endogènes) ne permet pas de distinguer quels sous-types de récepteurs interviennent dans la réponse quand la vasopressine est libérée par les projections axonales des neurones des noyaux paraventriculaire ou du lit de la strie terminale. Des études complémentaires d’optopharmacologie seront nécessaires pour élucider le spectre d’action des neuropeptides sociaux. Néanmoins, un antagoniste spécifique des récepteurs V1a de la vasopressine induit, chez des souris témoins, des troubles sociaux semblables à ceux observés chez les souris déficientes pour Magel2, ce qui suggère que l’activation des récepteurs de la vasopressine suffirait à contrôler ces comportements. De plus, quel que soit le récepteur impliqué, les souris déficientes pour Magel2 répondent à une stimulation sociale par l’activation des voies neuronales vasopressinergiques d’ordinaire engagées par des situations aversives, suggérant qu’un défaut de ce système peut induire des troubles sociaux.

Les souris déficientes pour Magel2 présentent une diminution des projections vasopressinergiques septales, ce qui indique que la mise en place du système vasopressinergique au cours du développement a été altérée. Dans ce modèle, comme chez les sujets atteints du syndrome de Prader-Willi, les troubles du comportement sont améliorés par l’administration précoce d’ocytocine. De plus, la réplication des effets positifs du traitement périnatal par l’ocytocine dans un modèle murin d’autisme par invalidation du gène Cntnap2 (contactin-associated protein 2) [12] suggère que ce traitement pourrait avoir un effet bénéfique sur les troubles du spectre autistique, quelle qu’en soit la cause. Malgré la promiscuité des systèmes ocytocinergiques et vasopressinergiques, ceux-ci sont rarement étudiés en parallèle, et l’impact du traitement précoce par l’ocytocine sur le système vasopressinergique est mal connu. Des études ont montré que la manipulation précoce de ces systèmes altère la distribution des récepteurs et peut avoir des conséquences à long terme sur le comportement social [13]. En revanche, l’impact de ces manipulations sur les aires de projection des neurones ocytocinergiques et vasopressinergiques (e.g. septum, hippocampe, amygdale, etc.) est mal connu. Une meilleure compréhension du développement physiologique et pathologique de ces systèmes et de leurs interactions est nécessaire pour optimiser les traitements proposés.

Perspectives

Par son action sur des neurones peptidergiques, la vasopressine joue un rôle clé dans le contrôle des comportements sociaux, et peut restaurer ces comportements dans un modèle murin d’autisme et chez des patients souffrant de troubles autistiques. Bien que le modèle murin ne reproduise pas l’ensemble des troubles du spectre autistique, le mode d’action de la vasopressine converge avec celui de l’ocytocine et offre des pistes nouvelles pour améliorer le traitement des individus atteints de ces troubles. Des études supplémentaires seront nécessaires chez le nourrisson, l’enfant, l’adolescent et l’adulte, avec un suivi longitudinal afin d’établir la durée des effets et les périodes d’administration les plus efficaces de la vasopressine. Un défi sera d’identifier des marqueurs de l’efficacité des traitements à long terme pour proposer une approche thérapeutique personnalisée.

Source: Medecine/Science

Auteurs:

Amélie M. Borie1a, Françoise Muscatelli2b, Michel G. Desarménien3c et Freddy Jeanneteau3d

1 Center for translational social neuroscience, Silvio O. Conte Center for oxytocin and social cognition, Yerkes national primate research center, Biology department, Emory university, 30322 Atlanta, États-Unis
2 Institut des neurosciences de la méditerranée, Inserm, Aix-Marseille université, Marseille, France
3 Institut de génomique fonctionnelle, université de Montpellier, CNRS, Inserm, 141 rue de la Cardonille, 34090 Montpellier, France

a amelie.borie@emory.edu
b francoise.muscatelli@inserm.fr
c mdesarmenien@gmail.com
d freddy.jeanneteau@igf.cnrs.fr