Certains champignons ont une propriété étonnante : ils bleuissent lorsqu’ils subissent des dommages physiques. Quel est le mécanisme responsable de ce bleuissement ? Quels sont les pigments bleus ainsi produits ?
Avant de répondre à ces questions, précisons qu’il existe des champignons naturellement bleus. Ils sont rares bien sûr, car le monde des champignons n’échappe pas à la règle : la nature est parcimonieuse en pigments bleus. De fait, la grande majorité des champignons sont jaune, rouge, orange, couleurs provenant de pigments caroténoïdes (α-carotène, β-carotène, lycopène, xanthophylles). Parmi les rares champignons bleus, citons l’entolome de Hochstetter (Entoloma hochstetteri) et le Lactaire indigo (Lactarius indigo) qui doivent leur couleur bleue à des pigments de type azulène. Quant au Pied-bleu (Lepista Nuda), il est en fait plus violet que bleu.
Le Bolet indigotier (Gyroporus cyanescens), appartenant à la famille des Boletaceae, est plutôt occasionnel, voire rare. On en trouve en Amérique du Nord et en Europe. Il ne paye pas de mine avec sa couleur pâle et terne. Lorsque sa chair est meurtrie ou coupée, elle vire au bleu indigo, d’où son nom commun. Est-il comestible ? Les avis divergent et dans le doute, il vaut mieux s’abstenir.
Le Bolet indigotier n’est pas le seul Bolet à présenter ce phénomène de bleuissement. Il en est de même pour de nombreuses autres espèces de la famille des Boletaceae. Les pigments majoritaires qu’ils possèdent sont des dérivés de l’acide pulvinique qui sont de couleur jaune. En particulier, deux d’entre eux, l’acide variégatique et l’acide xérocomique, jouent un rôle essentiel dans le bleuissement : au contact de l’air, leur oxydation enzymatique conduit à des composés bleus de type quinoïde
Des champignons magiques qui virent au bleu
Les champignons du genre Psilocybe, appelés champignons magiques, ont un pouvoir hallucinogène. L’espèce la plus répandue est le Psilocybe cubensis qu’on trouve en Amérique du Nord, centrale et du Sud, en Asie du Sud et en Australie. Les champignons magiques produisent des composés psychotropes, la psilocybine et la psilocine. Ils bleuissent rapidement lorsqu’ils sont blessés, comme certains Bolets (décrits ci-dessus), mais le mécanisme de la formation de composés bleus est différent. Resté inconnu pendant des décennies, il n’a été élucidé qu’en 2019 par une équipe de chercheurs allemands dirigée par Dirk Hoffmeister.
Bleuissement du champignon magique Psilocybe cubensis: intact (à gauche) et blessé par un scalpel (à droite).
Ces chercheurs ont montré que deux enzymes, une phosphatase et une laccase, catalysent des réactions impliquant la psilocybine et la psilocine, et conduisant à un mélange d’oligomères quinoïdes de couleur bleue. Il est frappant que ces composés ressemblent à l’indigo, colorant végétal bien connu, issu de l’indigotier, mais aussi produit par synthèse en vue notamment de teindre les jeans. Toutefois, ces quinoïdes sont très différents de ceux qui sont produits lors du bleuissement des Bolets
Notons que la psilocybine a une fonction protectrice des champignons contre les insectes mycophages. Elle génère en effet des antioxydants qui, dans l’environnement basique et oxydatif des intestins d’insectes, agissent comme des producteurs d’espèces réactives de l’oxygène et peuvent ainsi créer des lésions intestinales, ce qui est probablement leur principal mode d’action toxique. Quant à la couleur bleue qui apparaît, elle est vraisemblablement fortuite et n’aurait pas de fonction particulière. Il en est sans doute de même pour les Bolets.
Suite de l’article et références: le (très pertinent) blog Questions de Couleurs.
Merci à son auteur Bernard Valeur.