Dans ce second article, nous détaillons l’action des médicaments utilisés lors de DMLA humides, les circonstances de leur origine, et les conflits en cours quant à leur coûteuse disponibilité.

Pour commencer, un retour sur la physiopathologie de deux affections, la DMLA humide et la croissance d’une tumeur.
Tout d’abord, rappelons ce qu’implique chaque affection. La DMLA humide se caractérise par une croissance anormale des vaisseaux sanguins sous la rétine, entraînant une fuite de liquide et une perte de vision. Les tumeurs cancéreuses impliquent souvent également une angiogenèse, c’est-à-dire la formation de nouveaux vaisseaux sanguins pour alimenter la tumeur en nutriments.
Les résultats de la recherche indiquent que dans la DMLA humide, l’angiogenèse implique des gènes comme VEGFA. En parallèle, les cellules cancéreuses induisent la croissance des vaisseaux sanguins pour l’oxygène et les nutriments. Les deux processus impliquent le VEGF, un facteur clé de l’angiogenèse. Il s’agit d’une similitude majeure.
Les facteurs génétiques pourraient également se chevaucher. La liste des gènes impliqués dans la DMLA, notamment ceux affectant le métabolisme lipidique et l’angiogenèse, répertorie les gènes impliqués dans la DMLA, notamment ceux affectant le métabolisme lipidique et l’angiogenèse. L’angiogenèse cancéreuse implique également diverses voies génétiques, bien que les gènes spécifiques puissent différer.
Cependant, le mécanisme sous-jacent de l’angiogenèse est commun.
De plus, les deux affections impliquent une perméabilité vasculaire anormale. Dans la DMLA humide, les vaisseaux perméables provoquent une accumulation de liquide, tandis que dans les tumeurs, les vaisseaux perméables contribuent aux métastases. Cette perméabilité est médiée par le VEGF dans les deux cas.
L’arrivée des anti VGEF: une seconde carrière pour des traitements anticancéreux ?
Les trois médicaments en question — Lucentis (ranibizumab), Avastin (bévacizumab) et Eylea (aflibercept) — sont tous utilisés dans le traitement de la dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA), mais leur origine et leur développement diffèrent, notamment concernant leur usage initial en cancérologie.
Avastin (bévacizumab)
- Le bévacizumab est un anticorps monoclonal initialement développé et commercialisé pour le traitement de plusieurs cancers, notamment le cancer colorectal, du sein, du poumon, du rein, de l’ovaire et du foie.
- Son utilisation en ophtalmologie, notamment dans la DMLA, est intervenue dans un second temps, après la découverte fortuite de son efficacité dans cette indication46.
Lucentis (ranibizumab)
- Le ranibizumab est un fragment d’anticorps monoclonal conçu spécifiquement pour l’usage ophtalmologique, notamment pour la DMLA, la rétinopathie diabétique et d’autres pathologies de la rétine. Bien que Lucentis soit structurellement proche du bévacizumab (tous deux ciblent le VEGF), il a été développé dès le départ pour une utilisation intraoculaire et non pour le traitement du cancer. On peut tout de même souligner qu’il a profité de toute l’expérience acquise lors du développement de l’Avastin, et que son adaptation à l’injection intraoculaire (un simple (?) problème de galénique) ne justifie pas d’un multiplier le prix par cinq …
Eylea (aflibercept)
- L’aflibercept, principe actif d’Eylea, est également un inhibiteur du VEGF, mais il a été développé pour traiter à la fois certaines pathologies cancéreuses et des maladies oculaires comme la DMLA7.
- En oncologie, l’aflibercept (sous le nom de Zaltrap) est utilisé pour le traitement du cancer colorectal métastatique, mais Eylea a été spécifiquement développé pour l’ophtalmologie“
- Conclusion provisoire:
- Avastin : Oui, il s’agit bien d’un médicament initialement prévu et utilisé contre le cancer, puis utilisé en « seconde carrière » dans la DMLA23456.
- Lucentis : Non, il n’a pas été développé pour le cancer, mais spécifiquement pour l’ophtalmologie, bien qu’il soit dérivé du bévacizumab148.
- Eylea : L’aflibercept a des indications en cancérologie (sous un autre nom), mais Eylea, dans sa formulation et son développement, vise principalement les pathologies oculaires comme la DMLA7.
Les enjeux économiques
La Dégénérescence Maculaire Liée à l’Âge (DMLA) est la première cause de cécité chez les personnes âgées. Trois médicaments sont en jeu pour son traitement :
- Lucentis (ranibizumab), développé par Novartis/Genentech, spécifiquement autorisé pour la DMLA.
- Avastin (bévacizumab), anticancéreux de Roche, utilisé hors autorisation (hors AMM) pour la DMLA, bien moins cher.
- Eylea (aflibercept), produit par Bayer, autorisé pour la DMLA depuis 2013.
Le débat porte principalement sur le coût et l’efficacité de ces traitements. Lucentis et Eylea coûtent environ 800 à 1 161 € l’injection, contre 30 à 40 € pour Avastin, dont l’efficacité est pourtant jugée équivalente par de nombreuses études.
Les stratégies des laboratoires et les pratiques anticoncurrentielles
Dès 2009, face à l’utilisation croissante d’Avastin en dehors de son AMM pour la DMLA, Novartis, Genentech et Roche ont mis en place une stratégie concertée pour freiner son usage. Ces laboratoires ont exagéré les risques liés à Avastin, diffusé un discours de dénigrement auprès des médecins influents et des associations de patients, et ainsi limité les prescriptions d’Avastin au profit du Lucentis, bien plus rentable147.
L’Autorité de la concurrence française, saisie par l’UFC-Que Choisir, a sanctionné en 2020 ces trois laboratoires à hauteur de 444 millions d’euros pour pratiques abusives ayant entravé l’utilisation d’Avastin dans la DMLA et maintenu artificiellement le prix élevé du Lucentis. Une situation similaire avait déjà été sanctionnée en Italie en 2014.
Le rôle du ministère de la Santé et des autorités sanitaires
Face à l’envolée des dépenses de santé (le monopole de Lucentis aurait coûté un surcoût d’au moins 300 millions d’euros par an à l’Assurance maladie), le ministère de la Santé et la Haute Autorité de Santé (HAS) ont cherché à ouvrir la voie à des alternatives moins coûteuses56. Cependant, Roche n’a jamais demandé l’extension de l’AMM d’Avastin pour la DMLA, préférant préserver ses intérêts financiers croisés avec Genentech et Novartis, qui bénéficiaient tous de la vente de Lucentis16.
Après de fortes pressions des médecins et des associations, une Recommandation Temporaire d’Utilisation (RTU) a finalement été accordée à Avastin en 2015, permettant son usage encadré pour la DMLA en France, malgré l’absence de demande officielle du laboratoire Roche24.
L’arrivée d’Eylea et la question du prix
L’arrivée d’Eylea en 2013, au prix de 810 €, n’a pas permis de faire baisser significativement le coût global du traitement de la DMLA, car il s’est aligné sur le prix du Lucentis. L’Assurance maladie espérait que la concurrence ferait baisser les prix, mais ce ne fut pas le cas, les deux médicaments restant bien plus chers qu’Avastin57.
Molécule | AMM pour la DMLA | Prix (par injection) | Labo | Efficacité (études) | Situation réglementaire |
---|---|---|---|---|---|
Lucen- tis | Oui | 800–1 161 € | Novartis Genentech | Équivalent à Avastin | Autorisé et remboursé |
Avastin | Non (hors AMM) | 30–40 € | Roche | Équivalent à Lucentis | RTU depuis 2015 |
Eylea | Oui | 810 € | Bayer | Comparabl e | Autorisé et remboursé |
Conclusion provisoire …
En 2020, les trois laboratoires qui de connivence ont entravé l’utilisation de l’Avastin, ont pris une claque juridique et financière (440 millions d’amende !), claque qui a fait pschiiit en 2023 par le tribunal d’appel qui a annulé cette amende… Il existe de bons avocats … L’argument de la cour d’appel a reposé sur un raisonnement simple : elle a considèré « qu’à compter de l’entrée en vigueur de la […] loi Bertrand [en 2011, ndlr], qui a restreint l’utilisation des médicaments hors AMM à la suite de l’affaire Mediator, l’Avastin devait être regardé comme hors marché pour le traitement de la DMLA.
Mais en parallèle, l’utilisation de l’Avastin est autorisée (RTU) malgré son déconditionnement (on prélève du médicament anticancéreux injectable en IV pour le mélanger à un solvant compatible avec l’injection intraoculaire …), et c’est d’ailleurs, pour les hopitaux, un moyen de “rentrer de l’argent”: une injection de Lucentis ne leur est remboursée que sur la base de 86 € par l’assurance maladie, alors qu’ils toucheront un forfait de 380 € pour l’administration de l’Avastin.
Troisième article: les traitements préventifs. Agir en amont des problèmes, et retarder efficacement l’évolution vers la DMLA humide.