Le fabuleux projet Habbakuk : un iceberg porte-avions indestructible.

Les icebergs, ces monstres flottants, ont récemment été envisagés comme des réserves d’eau à remorquer depuis les eaux arctiques (ou antarctiques, selon les projets) vers des zones sèches, comme de Proche-Orient ou l’Australie.

Aucune de ces initiatives n’a abouti …

Pas plus que le projet Habbakuk, datant de la seconde guerre mondiale, pour lequel pourtant des sommités scientifiques ont planché et beaucoup d’argent dépensé.

Tenir l’Atlantique contre les U-boats  allemands.

Le concepteur du projet s’appelle Geoffrey Pyke. C’est un ingénieur militaire, à qui l’on confie des tâches compliquées au fur et à mesure des besoins de l’Armée, en cette période où il faut être partout à la fois.

En 1942, c’est lui qui imagine et conçoit une mini chenillette (M29Weasel) pour véhiculer des commandos en Norvège pour la fameuse bataille de l’eau Lourde. Cette chenillette sera fabriquer aux USA par Studebaker. Cette chenillette aura de nombreuses versions militaires et civiles par la suite, par exemple pour les jeux olympiques d’Hiver ou les stations scientifiques antarctiques.

Mais en 1942, l’urgence absolue est de protéger les convois de cargos qui irriguent l’effort de guerre entre les USA et l’Europe. Les sous-marins allemands font un carnage à partir des bases françaises et seuls des avions peuvent les torpiller avant qu’ils ne fassent sombrer les cargos sans défense.

Il faudrait donc accompagner des convois par des porte-avions, eux-mêmes résistants aux torpilles des sous-marins. Des porte-avions ! Ceux-ci sont tous mobilisés dans le Pacifique, et il faut u temps fous pour en fabriquer de nouveaux.

Sauf si …

Sauf si on tente une innovation incroyable, qui consisterait à créer d’énormes blocs de glace flottants, longs et plats afin d’y développer des pistes pour avions lourds. Cet iceberg autopropulsé pourrait accompagner les convois et les surveiller au plus près durant leur trajet.

Pyke a son idée : il est possible de réaliser un mélange d’eau et de pulpe végétale, qu’il appelle Pykrete, il est possible de congeler ce mélange et de lui donner la forme voulue : en particulier une forme de carène, horizontale, qui ne puisse basculer et se retourner comme un iceberg, et suffisamment costaud pour d’une part supporter des bombardiers torpilleurs au décollage et à l’atterrissage, d’autre part résister à des bombardements ou des torpillages allemands, mais encore à supporter des dizaines de blocs moteurs+ hélices afin de propulser ces monstrueux navire…

Pyke est connu dans l’Amirauté, il est facilement présenté à Lord Mountbatten qui y fait la pluie et le beau temps. Son projet est pris au sérieux et en 1943 un cahier des charges est établi : le bâtiment doit avoir une capacité de parcours de 11000 km, avec une piste d’au moins 650 m de longueur, et une épaisseur de glace résistante aux torpilles allemandes d’au moins 12 mêtres.

On se réunit au Québec avec les plus grands décisionnaires (Churchill, Roosvelt), et là Lord Mondbatten y va de sa démonstration, il montre à l’assemblée un morceau de glace, et à coté un morceau de pykrete, sort son arme de service et tire sur chacun des morceaux : la glace explose, se disloque, alors que le pykrete résiste : oui, on va lancer « Habakkuk », d’abord sous forme de maquette.

Un prototype canadien

C’est le Canada qui prend les choses en main : sur le lac Patricia, en Alberta, on commence à assembler les éléments d’une unité de recherche.

Mise en congelation du “pykrete

Le prototype n’a que 18 m de long, avec une structure (murs intérieurs et coque externe) en bois, puis tous les circuits de réfrigération. On y apposa un « toit » pour protéger l’ensemble et pour cacher le projet aux yeux indiscrets. Le total pesait plus de 900 tonnes… Un simple moteur de 1 cheval l’empêchait de fondre ….  Oui mais sur un lac gelé du Canada … Et les ingénieurs commencent à faire des projections sur le coût réel du projet Aie, ça coince !

Pour construire « en vrai » un Habbakuk, il faudrait 8000 personnes avec un budget de 70 millions de dollars. Dans quel port ?

Et puis il y a la disponibilité des matériaux : la pâte de bois nécessaire était en concurrence avec des besoins en papier et en carton, l’énorme quantité de liège (36000 tonnes) destinée à l’isolation n’était pas disponible… et quant au navire lui-même, il se serait traîné à six nœuds, soit à la traine des bateaux qu’il devait protéger !

On arrête tout !

Mais il y a d’autres raisons, stratégiques celles là : certaines données de guerre sont modifiées :

  • le Portugal s’est décidé à « prêter » les Açores aux Alliés, ce qui donne à mi-chemin une base aéronavale qui va permettre de protéger au plus près les convois.
  • d’autre part, le rayon d’action des bombardiers alliés s’est bien amélioré, ils peuvent désormais patrouiller des heures avant de débusquer des U-Boats qui ne font plus la loi …
  • et puis les besoins en acier pour Habakkuk sont considérés comme dispendieux : avec l’investissement d’un Habakkuk, on pourrait faire 5 porte avions traditionnels, lesquels sont désormais en production …

Alors on arrête tout !

Le prototype est laissé à l’abandon sur le lac Patricia, et il faudra trois ans pour qu’il dégèle entièrement et qu’il s’y enfonce doucement.

Quelques plongeurs ont la curiosité de s’y rendre en pèlerinage …

C’était une belle idée, mais sans doute une fausse bonne idée …

Jean-Yves Gauchet

Ce qui reste de l’épave de la maquette