La caféine, c’est la meilleure des drogues douces.

De consommation plutôt récente (moins d’un millénaire), le café a traversé les continents pour devenir (avec le thé comme challenger) LA  boisson incontournable pour rester vif et éveillé, avec cette touche de bienveillance partagée : le café est aussi une boisson sociale. Son avenir est lié à ses qualités gustatives constamment retravaillées, mais ses facultés  pharmacologiques n’ont pas dit leur dernier mot…

Premier article: le café, son histoire, sa culture, sa préparation. A suivre, la caféine, molécule de l’éveil, mais pas que …

Le ” p’tit café ” ‘est une boisson éminemment sociale.

Le café a tout d’abord été consommé sous forme de ses feuilles, mâchées ou en infusion, chez un peuple noir des montagnes éthiopiennes, tout comme son cousin le Khat.

Ce peuple Oromos était régulièrement agressé par des tribus côtières, et emmené en esclavage direction la côte, le Yémen et la péninsule arabique.

Le café a suivi ce chemin, et des plantations se sont développées au Yémen, toujours pour une utilisation sous forme de feuilles infusées ou mâchées.

Des religieux Soufis, très actifs, rapportaient alors de Chine des feuilles de thé, très appréciées des pèlerins musulmans  pour ses qualités tonifiantes et « d’ouverture de l’esprit » au cours des prières. Mais ce thé venait souvent à manquer, et la culture du café a pris alors un essor vertigineux, apportant la richesse dans toute la zone.

Rappelons au passage que le Yémen,  réputé désertique, était à l’époque « l’Arabie heureuse », grenier agricole pour toute la péninsule.

La légende veut que ce soit Al-Shadili, un Soufi célèbre, qui aurait le premier découvert la possibilité de boire des extraits de graines, en infusion après une torréfaction sommaire. On découvrait tout à la fois les arômes et une puissance nouvelle de la caféine. Et ces graines de café une fois grillées, on pouvait les conserver, et ils pouvaient  supporter le stockage et le voyage vers d’autres contrées musulmanes.

Ce sont les pèlerins, de retour de La Mecque, qui ont essaimé le goût du café dans tout le bassin méditerranéen, et il a fallu fournir ! Depuis le port de Moka, au Yémen, les navires tout comme les caravanes terrestres ont dès le XVème siècle transporté le café vers des consommateurs toujours plus nombreux.

Ce sont les Ottomans, gros consommateurs, qui ont introduit le café soit au cours de leurs conquêtes (Balkans, Hongrie), soit par le biais de leurs comptoirs commerciaux.

Le café était une bonne affaire, il y avait de la place pour bien des entreprenants, tels que les Vénitiens, les Hollandais, les Génois, ou les Marseillais.

La “cerise”, le fruit murissant du caféier

A Venise, les marchands ambulants sont bientôt remplacés par des lieux confortables, à Paris, la « liqueur arabesque » devient une boisson recherchée suite à la visite de

Soliman Aga, ambassadeur de Turquie auprès de Louis XIV … toutes les cours d’Europe suivent le mouvement.

Aux Amériques, la forte taxation du thé par les Anglais fait s’exprimer un sentiment de révolte (Boston Tea Party) et un boycott du thé anglais … une autoroute pour le café, non taxé, qui devenait aussitôt une boisson patriotique !

UNE PRODUCTION MONDIALISÉE

La culture du caféier est restée éthiopienne et yéménite durant deux siècles, puis s’est étendue selon plusieurs vagues :

  • une petite production en Inde, dans un cadre confessionnel musulman.
  • puis un investissement important des hollandais sur l’ile de Java, qui couplé à la puissance maritime de leur Compagnie des Indes, leur permet d’inonder l’Europe des productions indonésiennes. Le savoir-faire batave fait merveille, et c’est bientôt la Guyane (Surinam) qui prend le relais, grâce à une main d’œuvre servile venue d’Afrique.
  • avec un certain retard, la France implante cette culture sur l’ile Bourbon (ile Maurice), la Guadeloupe,  St Domingue, et la Guyane.
  • les autres colonies suivent, espagnoles à Cuba, anglaises en Jamaïque…

Primitivement issu de l’islamisation, la culture du café devient un enjeu commercial couplé à la colonisation (avec dans les deux cas des esclaves pour faire le travail …).

En moins d’un siècle, la production est décuplée, de nouvelles souches, des méthodes différentes de culture et de préparation apparaissent, la tradition fait place à des techniques et à la financiarisation.

Fin du XVIIIème : abolitions de l’esclavage, changement de programme !

Dans un mouvement mondial, l’esclavage est aboli par la force (St Domingue) ou par les textes (Java, Bourbon, Brésil), et les grandes plantations arrêtent progressivement leur production, pour des cultures vivrières ou plus rentables (canne à sucre) .

Au Brésil, l’effondrement est de courte durée, car plus d’un million d’européens immigrés viennent prendre le relais des esclaves africains, les esclaves sont remplacés par des prolétaires dociles : le Brésil devient alors le premier producteur mondial.

En Afrique, les européens organisent dans leurs colonies des plantations liées financièrement à des grosses sociétés de négoce et de transformation, avec pour produit phare le café Robusta, moins bon mais plus productif. Pour les français, au Togo, Cameroun,  ou Bénin, pour les anglais le Kenya, l’Ouganda ou le Burundi …

Au passage, notons que les français ont alors « hérité » de cafés (robusta) très médiocres, et que notre culture culinaire et gustative est très pauvre dans ce domaine du café.

PRÉPARATION ET TORRÉFACTION

Les grains de café vert sont les graines du fruit de cette rubiacée (même famille que le quinquina, le kratom, le gardénia, ou l’uncaria) qu’on appelle, lors de la récolte, des cerises.

Les deux variétés les plus cultivées sont

  • le robusta, une plante résistante à la chaleur et aux maladies, avec un arôme plutôt âpre, et un taux en caféine élevé. La caféine, tout comme la nicotine pour le tabac, a de bonnes capacités insecticides, et plus la plante en contient, plus elle se protège.
  • L’arabica, descendant en ligne directe des premières cultures éthiopiennes, est plus fragile, et son rendement est faible : il ne convient pas aux zones tropicales sèches et demande des soins constants, dont une taille régulière pour le restreindre à une hauteur d’homme.  Sa teneur en caféine ne dépasse pas 1,5 %. Plus coûteux à produire, il est le café le plus recherché grâce à sa palette d’arômes délivrés lors de la torréfaction.

La fructification du café sur pied prend environ sept mois pour donner des  drupes (fruits à péricarpe charnu et noyau interne) qui comprennent une pulpe externe non consommable, et deux noyaux internes. Ces fruits sont appelés cerises, les noyaux sont des fèves. On suit leur degré de maturation en observant leur couleur (la couleur rouge vif étant la plus favorable pour un bon café).

Le robusta, qui est cultivé pour un rendement maximum sans prétentions gustatives, est cueilli en un seul passage, alors que l’arabica nécessite plusieurs cueillettes où l’on choisit les cerises mûres à point …

C’est alors le temps de la préparation.

Les cerises de café sont traitées très rapidement après la cueillette, avec un double but : se débarrasser de l’enveloppe, et obtenir des fèves bien sèches pouvant se conserver.

Les cafés de types robusta, dans les régions tropicales, sont traités par voie sèche : les cerises sont étalées sur des claies et remuées régulièrement jusqu’à ce que la pulpe se fendille pour être décortiquée.

Les cafés de type arabica sont traités par voie humide : la pulpe des fruits est laissée en fermentation, puis les fèves sont lavées, nettoyées et séchées.

Le séchage à l’air libre

Si les cerises à la cueillette  contiennent 65% d’humidité, on tombe à 10% après séchage pour une conservation sans risques.

Car, en particulier pour l’arabica, le café des connaisseurs, la torréfaction doit se produire au plus près de la consommation, afin de profiter des arômes volatiles les plus subtiles, mais qui s’échappent rapidement.

Les fèves sèches seront donc conservées des mois, parfois des années (s’ajoute l’incidence de la spéculation, très active pour le café) et il ne s’agit pas de risquer les moindres traces de moisissures.

La torréfaction crée et libère les arômes.

Le peu d’eau (10%) résiduelle dans les fèves va se transformer en vapeur lors de cette cuisson très contrôlée : les grains de café sont placés dans un cylindre rotatif et chauffés jusqu’à  (secrets de fabrication) 240°C.

Cette vapeur chaude va agir avec les différents constituants (lipides, sucres, protéines de la gemmule) dans un cadre contraint (forte épaisseur des parois cellulaires) et de multiples réactions chimiques se mettent en route : réactions de Maillard qui donnent un goût de caramel, cyclisation de molécules linéaires (sucres ou acides gras) pour donner des corps aromatiques dont certains sont très volatiles, d’autres plus condensés qui donnent du corps au produit.

Dans chaque grain en torréfaction, les cellules végétales aux parois épaisses supportent une pression interne extrême (plus de 20 atmosphères !), ce qui facilite des réactions chimiques qu’on n’atteint jamais en pâtisserie ou en confiserie … Un crépitement (éclatement de ces cellules) accompagne le temps de torréfaction.,. et le volume du grain aura doublé, alors que son poids aura perdu 20% (l’eau, plus des composés volatiles).

Cette torréfaction, c’est le savoir faire secret bien occulté des fabricants de café.

Elle peut se conduire par étapes selon le type de café et le résultat attendu.

Une torréfaction brève et intense ne permet pas la maturation complète des polyphénols, donc un reliquat d’amertumes désagréables. Un intérêt pourtant : le grain de café reste plus lourd, alors qu’il est vendu au kilo …

A l’inverse, une torréfaction trop longue va laisser filer bien des arômes volatiles, le café risquera d’être fadasse.

La température joue également : trop forte, elle tue les arômes, trop basse, elle ne permet pas l’accomplissement des cascades métaboliques aromatiques…

Une palette infinie de saveurs

Comme pour les parfums ou pour les vins, les arômes du café sont dépistés, analysés, quantifiés par chromatographie en phase gazeuse, en spectrométrie de masse, qui détectent les molécules séparément.

Mais ce sont des « nez », des testeurs professionnels aux papilles affutées,  qui sauront donner un avis  éclairé sur la qualité d’un café, sur d’éventuelles corrections à faire pour la torréfaction suivante, ou sur l’assemblage optimal estimé entre plusieurs fournées de torréfaction.

Infusion, décoction, filtration, ou percolation ?

Le café une fois torréfié, il faut le consommer au plus vite avant qu’il ait laissé échapper une partie de ses arômes…

Le « café à la turque » est une décoction, c’est à dire une dissolution dans l’eau bouillante (en général à trois reprises) du café moulu. Bien qu’on y rajoute du sucre, le résultat est un mélange en suspension où le marc (résidus solide) s’accroche à la langue … for connoisseurs only !

Il y a de nombreux modèles de cafetières, qui vont laisser infuser le café dans de l’eau tiède à pression normale avant de séparer la boisson du marc de café. Le plus simple des procédés repose sur les filtres en papiers, mais le temps de contact eau/café est très limité, une bonne partie des arômes est perdue, et reste dans le marc.

La percolation consiste à expédier sous pression (9 atmosphères)  de l’eau à 95°C dans une petite quantité de café (dose individuelle) pour en retirer les arômes en quelques secondes. La puissance du phénomène permet d’entraîner des molécules grasses normalement non miscibles, pour donner une mousse onctueuse en surface de la tasse qui sera caractéristique du café dégusté.

Article prochain: la caféine, molécule de l’éveil, mais pas que ….