Les molécules de la mort intéressent le Vivant …

Cadavérine, putrescéine, scatole, autant de molécules à l’odeur épouvantable produites par les tissus en décomposition et par les bactéries qui s’en gobergent. Ignorées, méprisées, maudites, ces molécules ont pourtant des vertus qu’on découvre.

La décomposition des tissus animaux, fongiques et végétaux produit une multitude de produits chimiques putrides. La cadavérine et la putrescine, qui portent bien leur nom, sont parmi les plus mémorables. Ces amines dites biogéniques sont des sous-produits de décomposition au cours desquels les acides aminés sont décomposés par les bactéries.

Les humains évitent l’odeur de la mort comme la peste.

En plus des amines biogènes, les composés soufrés volatils comme le disulfure de diméthyle, le trisulfure de diméthyle et le méthylmercaptan, qui sont produits par des bactéries à partir d’acides aminés soufrés, contribuent également à l’odeur de mort. Enfin, il ne faut pas oublier l’indole et le skatole, produits à partir de l’acide aminé tryptophane lors de la décomposition bactérienne.

Les humains évitent l’odeur de la mort comme la peste – littéralement, dans le cas des becs parfumés remplis d’herbes aromatiques et utilisés par les médecins de la peste du XVIIe siècle en Europe. Notre mépris pour ces odeurs est déclenché par un ensemble particulier de récepteurs odorants dans notre nez. 

Les mouches ont leurs propres récepteurs odorants qui sous-tendent leur attirance, plutôt que leur répulsion, pour les mêmes odeurs, jusqu’à un certain point.

Et pourtant, aussi ordonnée que puisse paraître notre relation avec ces produits chimiques de la mort, elle n’est pas si simple. Même ces produits chimiques ont deux faces.

La cadavérine, la putrescine et la spermidine apparentée, ainsi nommées parce qu’elles ont été trouvées pour la première fois dans le sperme humain, se trouvent non seulement dans les tissus en décomposition, mais également dans le poisson et les aliments et boissons fermentés. Parfois, les niveaux sont suffisamment élevés pour être toxiques.

Skatole porte bien son nom, produisant une odeur épouvantable une fois volatilisée. Le produit chimique peut être toxique s’il pénètre en trop grande quantité dans les poumons. Le skatole est également fabriqué par certaines plantes et, à faible concentration, contribue à donner aux huiles essentielles de jasmin et de fleur d’oranger leur odeur enivrante. Nous pouvons maintenant comprendre pourquoi, au XVIe siècle, le mot ivre a changé de sens de « empoisonné » à « ivre ». Skatole a aussi deux côtés.

Plus surprenant encore, nos corps (vivants) produisent de la cadavérine, de la putrescine et de la spermidine endogènes, car ces molécules jouent un rôle essentiel dans nos cellules. La spermidine est particulièrement intéressante. L’ajouter au régime alimentaire des modèles animaux de laboratoire a prolongé leur durée de vie de 15 à 30 pour cent. Dans les cellules humaines baignées de spermidine, le vieillissement ralentit également. Cependant, nous commençons tout juste à comprendre les mécanismes potentiels.

L’un des effets de la spermidine est qu’elle aide à maintenir nos gènes désactivés. À mesure que les cellules vieillissent, de plus en plus de gènes sont activés bon gré mal gré. Le déclenchement d’un trop grand nombre de gènes peut être problématique. La spermidine semble maintenir les cellules plus âgées à fonctionner comme elles le faisaient lorsqu’elles étaient plus jeunes en inversant dans une certaine mesure cette tendance.

De petits essais cliniques montrent qu’une augmentation de la spermidine dans l’alimentation améliore la fonction cognitive chez les patients atteints d’un type de démence. La spermidine peut également améliorer l’élimination des cellules endommagées, notamment celles contenant les plaques bêta-amyloïdes qui peuvent s’accumuler dans le cerveau des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer.

Source: nautile-us    

Article de Noah Whiteman, prof. de biologie à Berkeley.